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  • Un #barrage suisse sème le chaos en #Birmanie

    L’#Upper_Yeywa, un ouvrage hydroélectrique construit par le bureau d’ingénierie vaudois #Stucky, va noyer un village dont les habitants n’ont nulle part où aller. Il favorise aussi les exactions par l’armée. Reportage.

    Le village de #Ta_Long apparaît au détour de la route en gravier qui serpente au milieu des champs de maïs et des collines de terre rouge, donnant à ce paysage un air de Toscane des tropiques. Ses petites demeures en bambou sont encaissées au fond d’un vallon. Les villageois nous attendent dans la maison en bois sur pilotis qui leur sert de monastère bouddhiste et de salle communale. Nous sommes en terre #Shan, une ethnie minoritaire qui domine cette région montagneuse dans le nord-est de la Birmanie.

    « Je préférerais mourir que de partir, lance en guise de préambule Pu Kyung Num, un vieil homme aux bras recouverts de tatouages à l’encre bleue. Je suis né ici et nos ancêtres occupent ces terres depuis plus d’un millénaire. » Mais Ta Long ne sera bientôt plus.

    Un barrage hydroélectrique appelé Upper Yeywa est en cours de construction par un consortium comprenant des groupes chinois et le bureau d’ingénierie vaudois Stucky à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest, sur la rivière #Namtu. Lors de sa mise en service, prévue pour 2021, toutes les terres situées à moins de 395 mètres d’altitude seront inondées. Ta Long, qui se trouve à 380 mètres, sera entièrement recouvert par un réservoir d’une soixantaine de kilomètres.

    « La construction du barrage a débuté en 2008 mais personne ne nous a rien dit jusqu’en 2014, s’emporte Nang Lao Kham, une dame vêtue d’un longyi, la pièce d’étoffe portée à la taille, à carreaux rose et bleu. Nous n’avons pas été consultés, ni même informés de son existence. » Ce n’est que six ans après le début des travaux que les villageois ont été convoqués dans la ville voisine de #Kyaukme par le Ministère de l’électricité. On leur apprend alors qu’ils devront bientôt partir.

    Pas de #titres_de_propriété

    En Birmanie, toutes les #terres pour lesquelles il n’existe pas de titres de propriété – ainsi que les ressources naturelles qu’elles abritent – appartiennent au gouvernement central. Dans les campagnes birmanes, où la propriété est communautaire, personne ne possède ces documents. « Nous ne quitterons jamais notre village, assure Nang Lao Kham, en mâchouillant une graine de tournesol. Nous sommes de simples paysans sans éducation. Nous ne savons rien faire d’autre que cultiver nos terres. »

    Le gouvernement ne leur a pas proposé d’alternative viable. « Une brochure d’information publiée il y a quelques années parlait de les reloger à trois kilomètres du village actuel, mais ce site est déjà occupé par d’autres paysans », détaille Thum Ai, du Shan Farmer’s Network, une ONG locale. Le montant de la compensation n’a jamais été articulé. Ailleurs dans le pays, les paysans chassés de leurs terres pour faire de la place à un projet d’infrastructure ont reçu entre six et douze mois de salaire. Certains rien du tout.

    Ta Long compte 653 habitants et 315 hectares de terres arables. Pour atteindre leurs vergers, situés le long de la rivière Namtu, les villageois empruntent de longues pirogues en bois. « La terre est extrêmement fertile ici, grâce aux sédiments apportés par le fleuve », glisse Kham Lao en plaçant des oranges et des pomélos dans un panier en osier.

    Les #agrumes de Ta Long sont connus loin à la ronde. « Mes fruits me rapportent 10 800 dollars par an », raconte-t-elle. Bien au-delà des maigres 3000 dollars amassés par les cultivateurs de riz des plaines centrales. « Depuis que j’ai appris l’existence du barrage, je ne dors plus la nuit, poursuit cette femme de 30 ans qui est enceinte de son troisième enfant. Comment vais-je subvenir aux besoins de mes parents et payer l’éducation de mes enfants sans mes #vergers ? »

    Cinq barrages de la puissance de la Grande Dixence

    La rivière Namtu puise ses origines dans les #montagnes du nord de l’Etat de Shan avant de rejoindre le fleuve Irrawaddy et de se jeter dans la baie du Bengale. Outre l’Upper Yeywa, trois autres barrages sont prévus sur ce cours d’eau. Un autre, le Yeywa a été inauguré en 2010. Ces cinq barrages auront une capacité de près de 2000 mégawatts, l’équivalent de la Grande Dixence.

    Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un plan qui a pour but de construire 50 barrages sur l’ensemble du territoire birman à l’horizon 2035. Cela fera passer les capacités hydroélectriques du pays de 3298 à 45 412 mégawatts, selon un rapport de l’International Finance Corporation. Les besoins sont immenses : seulement 40% de la population est connectée au réseau électrique.

    L’Etat y voit aussi une source de revenus. « Une bonne partie de l’électricité produite par ces barrages est destinée à être exportée vers les pays voisins, en premier lieu la #Chine et la #Thaïlande, note Mark Farmaner, le fondateur de Burma Campaign UK. Les populations locales n’en bénéficieront que très peu. » Près de 90% des 6000 mégawatts générés par le projet Myitsone dans l’Etat voisin du Kachin, suspendu depuis 2011 en raison de l’opposition de la population, iront à la province chinoise du Yunnan.

    Les plans de la Chine

    L’Upper Yeywa connaîtra sans doute un sort similaire. « Le barrage est relativement proche de la frontière chinoise, note Charm Tong, de la Shan Human Rights Foundation. Y exporter son électricité représenterait un débouché naturel. » L’Etat de Shan se trouve en effet sur le tracé du corridor économique que Pékin cherche à bâtir à travers la Birmanie, entre le Yunnan et la baie du Bengale, dans le cadre de son projet « #Belt_&_Road ».

    Le barrage Upper Yeywa y est affilié. Il compte deux entreprises chinoises parmi ses constructeurs, #Yunnan_Machinery Import & Export et #Zhejiang_Orient_Engineering. Le suisse Stucky œuvre à leurs côtés. Fondé en 1926 par l’ingénieur Alfred Stucky, ce bureau installé à Renens est spécialisé dans la conception de barrages.

    Il a notamment contribué à l’ouvrage turc #Deriner, l’un des plus élevés du monde. Il a aussi pris part à des projets en #Angola, en #Iran, en #Arabie_saoudite et en #République_démocratique_du_Congo. Depuis 2013, il appartient au groupe bâlois #Gruner.

    Le chantier du barrage, désormais à moitié achevé, occupe les berges escarpées de la rivière. Elles ont été drapées d’une coque de béton afin d’éviter les éboulements. De loin, on dirait que la #montagne a été grossièrement taillée à la hache. L’ouvrage, qui fera entre 97 et 102 mètres, aura une capacité de 320 mégawatts.

    Son #coût n’a pas été rendu public. « Mais rien que ces deux dernières années, le gouvernement lui a alloué 7,4 milliards de kyats (5 millions de francs) », indique Htun Nyan, un parlementaire local affilié au NLD, le parti au pouvoir de l’ancienne Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi. Une partie de ces fonds proviennent d’un prêt chinois octroyé par #Exim_Bank, un établissement qui finance la plupart des projets liés à « Belt & Road ».

    Zone de conflit

    Pour atteindre le hameau de #Nawng_Kwang, à une vingtaine de kilomètres au nord du barrage, il faut emprunter un chemin de terre cabossé qui traverse une forêt de teck. Cinq hommes portant des kalachnikovs barrent soudain la route. Cette région se trouve au cœur d’une zone de #conflit entre #milices ethniques.

    Les combats opposent le #Restoration_Council_of_Shan_State (#RCSS), affilié à l’#armée depuis la conclusion d’un cessez-le-feu, et le #Shan_State_Progress_Party (#SSPP), proche de Pékin. Nos hommes font partie du RCSS. Ils fouillent la voiture, puis nous laissent passer.

    Nam Kham Sar, une jeune femme de 27 ans aux joues recouvertes de thanaka, une pâte jaune que les Birmans portent pour se protéger du soleil, nous attend à Nawng Kwang. Elle a perdu son mari Ar Kyit en mai 2016. « Il a été blessé au cou par des miliciens alors qu’il ramenait ses buffles », relate-t-elle. Son frère et son cousin sont venus le chercher, mais les trois hommes ont été interceptés par des soldats de l’armée régulière.

    « Ils ont dû porter l’eau et les sacs à dos des militaires durant plusieurs jours, relate-t-elle. Puis, ils ont été interrogés et torturés à mort. » Leurs corps ont été brûlés. « Mon fils avait à peine 10 mois lorsque son papa a été tué », soupire Nam Kham Sar, une larme coulant le long de sa joue.

    Vider les campagnes ?

    La plupart des hameaux alentour subissent régulièrement ce genre d’assaut. En mai 2016, cinq hommes ont été tués par des soldats dans le village voisin de Wo Long. L’armée a aussi brûlé des maisons, pillé des vivres et bombardé des paysans depuis un hélicoptère. En août 2018, des villageois ont été battus et enfermés dans un enclos durant plusieurs jours sans vivres ; d’autres ont servi de boucliers humains aux troupes pour repérer les mines.

    Les résidents en sont convaincus : il s’agit d’opérations de #nettoyage destinées à #vider_les_campagnes pour faire de la place au barrage. « Ces décès ne sont pas des accidents, assure Tun Win, un parlementaire local. L’armée cherche à intimider les paysans. » Une trentaine de militaires sont stationnés en permanence sur une colline surplombant le barrage, afin de le protéger. En mars 2018, ils ont abattu deux hommes circulant à moto.

    Dans la population, la colère gronde. Plusieurs milliers de manifestants sont descendus dans la rue à plusieurs reprises à #Hsipaw, la ville la plus proche du barrage. Les habitants de Ta Long ont aussi écrit une lettre à la première ministre Aung San Suu Kyi, restée sans réponse. En décembre, une délégation de villageois s’est rendue à Yangon. Ils ont délivré une lettre à sept ambassades, dont celle de Suisse, pour dénoncer le barrage.

    « L’#hypocrisie de la Suisse »

    Contacté, l’ambassadeur helvétique Tim Enderlin affirme n’avoir jamais reçu la missive. « Cette affaire concerne une entreprise privée », dit-il, tout en précisant que « l’ambassade encourage les entreprises suisses en Birmanie à adopter un comportement responsable, surtout dans les zones de conflit ».

    La Shan Human Rights Foundation dénonce toutefois « l’hypocrisie de la Suisse qui soutient le #processus_de_paix en Birmanie mais dont les entreprises nouent des partenariats opportunistes avec le gouvernement pour profiter des ressources situées dans des zones de guerre ».

    La conseillère nationale socialiste Laurence Fehlmann Rielle, qui préside l’Association Suisse-Birmanie, rappelle que l’#initiative_pour_des_multinationales_responsables, sur laquelle le Conseil national se penchera jeudi prochain, « introduirait des obligations en matière de respect des droits de l’homme pour les firmes suisses ». Mardi, elle posera une question au Conseil fédéral concernant l’implication de Stucky dans le barrage Upper Yeywa.

    Contactée, l’entreprise n’a pas souhaité s’exprimer. D’autres sociétés se montrent plus prudentes quant à leur image. Fin janvier, le bureau d’ingénierie allemand #Lahmeyer, qui appartient au belge #Engie-Tractebel, a annoncé qu’il se retirait du projet et avait « rompu le contrat » le liant au groupe vaudois.

    https://www.letemps.ch/monde/un-barrage-suisse-seme-chaos-birmanie
    #Suisse #barrage_hydroélectrique #géographie_du_plein #géographie_du_vide #extractivisme
    ping @aude_v @reka

  • Il manque 80 millions de femmes en Chine et en Inde, estime Human Rights Watch
    https://www.liberation.fr/planete/2019/01/19/il-manque-80-millions-de-femmes-en-chine-et-en-inde-estime-human-rights-w

    #viol #misogynie #hommerie

    A eux seuls, les deux pays les plus peuplés du monde comptent ainsi un trop-plein d’hommes, avec pour corollaire une « pénurie de femmes mariées », explique Heather Barr. Derrière ces termes un peu barbares se cache une amère réalité, celle des atroces méthodes auxquelles recourent certains hommes pour parvenir à conclure un mariage (forcé) et assurer leur descendance. Dans les Etats en conflit du Kachin et du Shan, au nord de la Birmanie, par exemple, des trafiquants attirent parfois les jeunes femmes en leur faisant miroiter une vie fantasmée en Chine, où elles seront finalement rachetées entre 3 000 et 13 000 dollars (selon l’âge et l’apparence) par des familles en quête d’une épouse pour leur fils.

    « Une fois achetées, ces femmes et filles sont généralement enfermées dans une pièce et violées de manière répétée, afin de les mettre enceinte rapidement pour qu’elles puissent donner un bébé à la famille. Après avoir accouché, certaines sont autorisées à repartir, mais contraintes de laisser leurs enfants derrière elles », dénonce Heather Barr, qui s’appuie sur les investigations d’Human Rights Watch. Si l’avortement sélectif est en principe interdit en Inde et en Chine, il est difficilement détectable et encore fréquemment pratiqué, empêchant la résorption du déséquilibre hommes-femmes. Ces deux pays, « et d’autres touchés, doivent agir de toute urgence pour atténuer les effets du déclin du nombre de femmes, et examiner attentivement les conséquences de cette pénurie, y compris en relation avec la traite et les violences à l’égard des femmes », écrit-elle.

  • En Thaïlande, les moines rendus obèses par l’afflux d’offrandes sucrées AFP - 22 Novembre 2018 - RTBF
    https://www.rtbf.be/info/societe/detail_en-thailande-les-moines-rendus-obeses-par-l-afflux-d-offrandes-sucrees?i

    Chaque jour, des milliers de moines bouddhistes font la tournée des offrandes à travers la Thaïlande. Les boissons sucrées et gâteaux industriels qu’ils récoltent les rendent souvent obèses, un phénomène devenu un vrai problème de société dans le royaume.


    « Avant de venir ici et de me mettre au régime, je pouvais à peine marcher 100 mètres sans me sentir fatigué », explique à l’AFP Pipit Sarakitwinon, venu faire un « check-up » dans un hôpital spécialisé dans le traitement des moines. Ces derniers sont plus de 300.000 dans ce pays majoritairement bouddhiste de près de 70 millions d’habitants.

    Il se réjouit d’être passé de 180 à 150 kilos depuis qu’il s’est mis à la diète en début d’année.

    La tradition de faire des offrandes en nature aux moines est très ancrée en Thaïlande, mais aussi en Birmanie ou au Cambodge voisin, où les statues de Bouddha le montrent joufflu.

    Mais la classique obole de riz s’est transformée en paniers de « junk-food », des chips aux boissons énergétiques, dans ce pays où les scandales de moines vivant grand train ou détournant de l’argent à des fins personnelles n’ont pas découragé les fidèles de leur faire des dons, considérés comme de « bonnes actions » portant chance.

    On continue de voir, y compris dans des grandes villes comme Bangkok, des moines aller pieds nus à l’aube à travers les rues.

    Mais nombre d’entre eux reçoivent les dons sans bouger de leur temple. Et, dans les supermarchés, des rayons entiers sont consacrés à ces offrandes toutes prêtes, empilées dans un seau jaune.

    « S’ils mangent notre nourriture et en sont satisfaits, nous pensons que la nourriture sera ainsi transmise à nos défunts bien aimés », explique Prachaksvich Lebnak, un haut responsable du ministère de la Santé. « Certains leur offrent même des cigarettes », se désespère-t-il.

    L’ennemi : les boissons sucrées
    Ce goût pour des offrandes trop grasses, trop sucrées ou trop salées, donne des taux de diabète et d’hypertension au sein du clergé bouddhiste qui affolent les autorités sanitaires, dans un pays où plus généralement l’obésité progresse.

    Selon une étude réalisée cette année dans le nord-est de la Thaïlande, l’un des États les plus touchés par l’obésité en Asie, sur plus de 3.500 moines examinés, 15% étaient obèses. L’universitaire Jongjit Angkatavanich affirme même, études à l’appui, que les taux d’obésité montent à 48% chez les moines interrogés.

    L’ennemi à abattre : les boissons sucrées que les moines boivent en grande quantité, n’étant pas autorisés à manger de nourriture solide après midi.

    Les autorités sanitaires essayent de les sensibiliser aux bases de la diététique.

    Dans un hôpital de Bangkok qui leur est consacré, un grand panneau à l’entrée leur explique que « l’eau est la meilleure des boissons ». « Vous devriez consommer moins de six cuillères de sucre par jour », lit-on sur ce panneau qui dresse une liste des boissons sucrées les plus courantes, comme le thé vert, les sodas ou les boissons énergétiques, avec le nombre de cuillères de sucre par bouteille.

    Charte de la Santé des moines
    En décembre 2017, la junte militaire au pouvoir en Thaïlande a publié une Charte de la Santé des moines, les enjoignant à prendre soin de leur corps.

    Des initiations à la diététique sont organisées, y compris à travers les monastères de province, pour tenter de changer leurs habitudes alimentaires.

    Le problème, c’est qu’ils sont censés accepter toutes les offrandes car « selon l’enseignement de Bouddha, tout ce qui est offert doit être accepté », rappelle Phra Rajvoramuni, un moine ayant participé à la rédaction de la charte.

    Par ailleurs, en Thaïlande, les moines sont censés ne pas faire de sport.

    Dans ce cas, « ils devraient faire de l’exercice, comme de la marche méditative, faire le ménage du temple le matin, balayer le sol » de façon dynamique, suggère Phra Rajvoramuni, le moine qui a co-écrit la charte.

    Pipit a suivi le conseil. Il marche davantage et s’efforce de manger moins. « Maintenant, assure-t-il, je fais plus attention à la nourriture offerte par les villageois. »

    #sucre #alimentation #religion #Thaïlande #bouddhisme #obésité

  • La collapsologie : un discours réactionnaire ? | #Jean-Baptiste_Fressoz
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/07/la-collapsologie-un-discours-reactionnaire_1690596

    Le thème de l’#effondrement de la civilisation industrielle, très présent dans les années 70, revient actuellement en force. Depuis la parution du best-seller Collapse de Jared Diamond en 2006 (Effondrement, Gallimard), il ne se passe guère un mois sans qu’un nouvel essai, un article ou une tribune, nous prédise un « effondrement » à court terme des grandes structures productives et politiques du monde industriel. Cette vogue de l’effondrement - à laquelle ne se réduit pas la pensée écologique contemporaine - est bien entendu liée à la crise environnementale : la sixième extinction des espèces, le réchauffement prévisible de 3 °C en 2100, et, plus généralement, la perturbation des cycles biogéochimiques, bref, ce que les scientifiques du système Terre appellent « l’#anthropocène ». Mais « effondrement » est-il le bon mot ? Est-ce la bonne manière de désigner et donc de penser ce qui nous arrive ? Sans avoir une opinion tranchée, j’y vois au moins quatre problèmes.

    Premièrement, le terme d’effondrement est beaucoup trop anthropocentrique. Car de quel effondrement parle-t-on ? Celui de la nature est déjà largement consommé : les humains et leurs bestiaux représentent 97 % de la biomasse des vertébrés terrestres ; il ne reste que de 10 % des poissons de grande taille par rapport à l’entre-deux-guerres ; en Allemagne, les insectes ont diminué de trois quarts en trente ans. En se focalisant sur l’effondrement à venir de la civilisation industrielle, le risque est de se rendre aveugle à tous les effondrements de la nature qui sont en cours et même déjà très avancés.

    Deuxièmement, le discours de l’effondrement est très « occidentalocentré ». Dit plus simplement : c’est une #écologie de riches. Ce que nous vivons est infiniment plus pervers : le changement climatique accentue les autres formes de violence et d’inégalités. Suprême injustice, il est causé par les riches et persécute surtout les pauvres des pays pauvres. Et c’est d’ailleurs cette caractéristique qui explique l’apathie générale. Quand on voit l’océan d’indifférence dans lequel se noient des dizaines de milliers de réfugiés en Méditerranée, comment espérer mobiliser en invoquant le paysan du Bangladesh chassé de chez lui par la montée des eaux ? La « pédagogie de la catastrophe » est une illusion démentie par l’histoire : qui, à part dans les pays concernés, se souvient du cyclone Bhola (au moins 300 000 morts au Bangladesh en 1970), du typhon Nina (170 000 morts en Chine en 1975) ou du cyclone Nargis (130 000 morts en Birmanie en 2008) ? Et en Europe, qu’est-ce qu’ont changé les 70 000 morts de la canicule de 2003 ? Il faut reconnaître au capitalisme sa résilience extraordinaire face aux désastres de tout ordre.

    Troisièmement, le discours actuel de l’effondrement mélange deux choses : la perturbation du système Terre et la sixième extinction, qui sont avérées, et l’épuisement des ressources fossiles qui est sans cesse repoussé à plus tard. Le problème est que ces deux phénomènes jouent à des échelles temporelles très différentes : selon les climatologues, pour ne pas dépasser + 2 °C en 2100, il faudrait laisser sous le sol les deux tiers des réserves de pétrole, de gaz et de charbon économiquement exploitables (1). Dit autrement, le capitalisme fossile se porte à merveille, il est dans la force de l’âge, son effondrement est peu probable, et c’est bien là le tragique de la situation.

    Quatrièmement, le discours de l’effondrement dépolitise la question écologique. Un peu comme les intellectuels marxistes des années 70 attendaient l’effondrement du capitalisme sous le poids de ses contradictions internes (la fameuse baisse tendancielle du taux de profit), il ne faudrait surtout pas attendre l’effondrement du capitalisme fossile parce que « la nature » le décidera. La lutte écologique ne doit pas mobiliser contre, mais pour l’effondrement, du moins celui du capitalisme fossile.

    Tous ces problèmes, l’effondrement les doit à ses origines intellectuelles et politiques. Au début du XIXe siècle, les élites libérales issues de la Révolution française utilisent déjà ce discours pour réprimer les usages de la nature - les communs forestiers en particulier - des masses paysannes libérées des obligations féodales. Au même moment, en Angleterre, Malthus expliquait qu’il fallait couper les aides aux pauvres pour éviter qu’ils ne prolifèrent dangereusement. Tout au long des XIXe et XXe siècles, l’effondrement est avant tout porté par les chantres de l’industrie et de l’Empire : c’est l’économiste Stanley Jevons qui s’inquiète pour la domination de la Grande-Bretagne à court de charbon ; c’est Paul Leroy-Beaulieu qui justifie le pillage des ressources coloniales au nom de l’effondrement prévisible de l’Europe ; c’est la commission Paley établie par Truman qui organise le drainage des matières premières du tiers-monde ; et c’est encore le Club de Rome, un assemblage d’industriels et de savants de la guerre froide qui a curieusement séduit la contre-culture (2), et dont les travaux ont joué un rôle certain dans l’élaboration du programme chinois de l’enfant unique (3). Remarquons pour finir que dans les années 90, quand la question climatique émerge dans l’espace public, le discours de l’effondrement a d’abord fait turbiner une clique de consultants travaillant pour le Pentagone, des néomalthusiens affolés par leurs fantasmes racistes - des hordes brunes de réfugiés climatiques - et voulant aussi prévoir les nouveaux terrains de déploiement de l’armée américaine dans un Global South en proie au collapse généralisé. Si en France on connaît surtout la « #collapsologie » de gauche, celle d’Yves Cochet, de Pablo Servigne et de Raphaël Stevens qui tentent de construire une politique post-apocalyptique émancipatrice, il ne faut pas oublier que l’effondrement a, au cours de sa longue histoire, nourri les passions politiques les plus nauséabondes.

    « Mal nommer un objet, disait Camus, c’est ajouter au malheur de ce monde. » En étant optimiste, on pourrait dire de l’effondrement que sa fonction politique est encore indécise. Il pourrait devenir le clairon d’une mobilisation générale pour le climat, mais il pourrait aussi renforcer l’option nucléaire et demain, qui sait, la géoingénierie. L’effondrement disparaît et réapparaît, recule ou revient en force en s’ajustant aux futurs successifs. En attendant, les catastrophes se multiplient partout, et surtout en dehors d’une civilisation occidentale qui depuis deux siècles n’a cessé d’admirer sa puissance au prisme de son effondrement.

    (1) « Unburnable Fossil-Fuel Reserves », de Michael Jakob et Jérôme Hilaire, Nature, vol. 517, 2015, p. 150-152.
    (2) Le Club de Rome est financé par la famille Agnelli (la Fiat), piloté par l’industriel Aurelio Peccei et Jay Forrester, l’inventeur de l’ordinateur numérique pour les besoins du programme nucléaire américain, y joue un rôle central.
    (3) Fatal Misconception : The Struggle to Control World Population, de Matthew Connelly, Heron and Crane, 2008.

  • Gaîté Lyrique | Données fantômes : ce qui n’est pas compté et qui compte
    https://gaite-lyrique.net/article/donnees-fantomes-ce-qui-nest-pas-compte-et-qui-compte

    Certaines données sont collectées, d’autres sont manquantes. Qu’est-ce qui préside à ce choix ? L’artiste et chercheuse nigérienne-américaine Mimi Onuoha interroge les façons dont les individus sont catégorisés. Elle s’attache à mettre en évidence que la collecte, l’enregistrement et l’archivage des données sont liés aux questions de contrôle et de pouvoir.

    Le fait qu’un groupe de fans inconditionnels de la comédie musicale Hamilton ait créé un document partagé recensant l’intégralité des paroles avant même que la bande originale du spectacle ne soit commercialisée méritait par exemple de figurer dans cette liste. Autre exemple : en 2016, un utilisateur de Reddit a mis à disposition les métadonnées de toutes les histoires publiées à ce jour sur fanfiction.net, un site connu pour ses fictions écrites par des fans.

    Et ainsi de suite : le nombre de ballons de football produit quotidiennement par l’usine Wilson Sporting Goods de la ville d’Ada, dans l’Iowa (soit 4000 en 2008) ; le nombre de hot-dogs avalés par les Américains à chaque fête de l’Independance Day (soit 150 millions selon les dernières estimations) ; l’emplacement de toutes les toilettes publiques d’Australie (plus de 17000)."
    Qu’est-ce qu’une donnée ?

    "Mitchell Whitelaw, universitaire australien, définit les données comme « des mesures extraites du flux de la réalité ». En général, lorsqu’on pense à de grands ensembles de données, il s’agit de choses importantes : le recensement d’une population, les données de l’Organisation mondiale de la santé, et toutes les informations amassées par les grandes entreprises comme Google, Amazon ou Facebook.

    De ce point de vue, cette définition est admirablement concise et efficace. L’emploi du verbe « extraire » désigne avec pertinence les données comme des matières premières. De la même manière que Shosana Zuboff parle de « capitalisme de surveillance » en expliquant que le capitalisme actuel monétise des données recueillies par le biais d’une surveillance généralisée, la formulation de Mitchell Whitelaw évoque la conception des entreprises : les données sont des ressources à exploiter. Dans une société capitaliste, enregistrer des données ne peut être que bon pour les affaires. Le monde est ainsi enregistré, classifié, rendu déchiffrable, rentable.

    Plus loin dans le livre, les auteurs soulèvent un point déterminant de cette classification du monde. « Aucun système de classification n’est capable d’organiser la réalité pour tout le monde », préviennent-ils. « Exemple : le rouge, l’orange et le vert des feux tricolores ne fonctionnent pas pour les personnes non voyantes, elles ont besoin d’un signal sonore. Si l’on considère ces schémas de classification comme le moyen d’organiser le passé, il est facile d’oublier ceux qui en ont été exclus. »

    Quant à ma liste, son rapport direct avec ces concepts d’extraction de ressources et de surveillance omniprésente n’est pas forcément évident. Elle regroupe des ensembles de données qui sont peut-être assez inédits, mais ils sont le summum de la quantification, ce sont des faits extraits de pans insolites de la réalité. Une définition plus simple me vient à l’esprit.

    Données : choses que nous mesurons et qui comptent à nos yeux.

    C’est ce qui fait toute la beauté de cette étrange liste. Si la définition de Mitchell Whitelaw décrit le monde comme n’étant qu’une immense source de matières premières à extraire pour remplir les cellules bien alignées d’un fichier Excel, la mienne affirme l’inverse : tous les ensembles de données sont créés par des êtres humains dans un but bien précis.❞

    Missing Datasets : les informations manquantes

    "Voici quelques exemples de données que nous ignorons :

    Le nombre de personnes vivant dans des sous-locations illégales à New York,
    La traçabilité des armes vendues aux États-Unis et les informations sur leurs propriétaires,
    Le nombre de gens expulsés des États-Unis selon l’État où ils vivaient,
    Le nombre de Rohingyas en Birmanie.

    J’emploie le terme « Missing Datasets », pour désigner ces informations manquantes, angles morts d’un monde qui semble aujourd’hui criblé de données. Autant de fantômes qui font penser à la liste scotchée sur un coin de mon bureau. Ces données représentent tout autant la réalité de notre monde, summum d’une quantification qui a été mise de côté. Nous ne mesurons que les choses qui nous intéressent suffisamment. Les données manquantes ont aussi de la valeur, mais elles ne peuvent pas être mesurées.

    La complexité et le désordre de ces données sont passionnants, car elles trahissent un certain type de pouvoir. Une absence toujours remarquée laisse entrevoir le spectre d’un autre monde, où les priorités seraient différentes. Aucune donnée n’existe sur les violences policières faites aux Amérindiens, mais que se passerait-il si c’était le cas ?

    Ces données manquantes n’apportent aucune réponse, mais elles font office de rappel cinglant : nous sommes responsables de la manière dont nous cataloguons le monde. En choisissant les données à prendre en compte et en leur allouant une crédibilité, nous déterminons les limites de notre monde. Si tel est le cas, alors nous sommes aussi capables de changer cet état de fait, et à chaque instant, de changer notre monde."

    #Données #Données_manquantes #Classification

    merci @fil, c’est passionnant

  • Tsunami en Indonésie : « Les ONG étrangères peuvent être un fardeau » - Libération
    https://www.liberation.fr/planete/2018/10/11/tsunami-en-indonesie-les-ong-etrangeres-peuvent-etre-un-fardeau_1684725

    Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, justifie la décision de Jakarta de privilégier l’aide locale. Selon lui, l’arrivée de milliers de secouristes internationaux peut mener à une « catastrophe dans la catastrophe ».

    Dix jours après le tremblement de terre suivi d’un tsunami survenu sur l’île des Célèbes en #Indonésie, le bilan continue de s’alourdir, avec plus de 2 000 morts, 80 000 sans-abri et 5 000 disparus, nombre d’entre eux ayant été ensevelis par le phénomène de liquéfaction des sols qui a englouti un pan entier de la ville de #Palu. Après avoir déclaré la semaine dernière qu’elles acceptaient de l’aide venue de l’étranger, les autorités indonésiennes ont finalement annoncé jeudi compter 10 000 secouristes sur le terrain et ne pas avoir besoin d’assistance extérieure, à part pour les quatre priorités qu’elles ont identifiées, soit des tentes, des appareils de traitement d’eau, des générateurs et des véhicules. Depuis quelques jours, la presse se fait l’écho du désarroi des petites associations de pompiers ou de médecins qui avaient fait le voyage. Comme d’autres équipes venues d’Europe, elles se sont retrouvées bloquées par les autorités, leurs chiens de recherches mis en quarantaine, leurs dons de médicaments refusés, et ont dû revenir en France sans avoir pu accéder à la zone sinistrée. Seuls des Pompiers de l’urgence internationale, qui collaboraient depuis dix ans avec l’organisation locale Jakarta Rescue, semblent avoir pu travailler sur place, recherchant en vain des survivants dans les décombres de l’hôtel Mercure. Rony #Brauman, un des pionniers de l’humanitaire, président de Médecins sans frontières France de 1982 à 1994 et désormais directeur d’études à la fondation #MSF, défend la position de #Jakarta.

    Que pensez-vous du choix indonésien de limiter l’aide internationale ?

    Les autorités ont raison de filtrer l’arrivée des #ONG étrangères, qui peuvent être plus un fardeau qu’une aide. Lors du tsunami de 2004, le débarquement de milliers de secouristes inexpérimentés et désordonnés avait été une catastrophe dans la catastrophe. Les administrations locales ont déjà fort à faire, elles doivent s’occuper des routes encombrées, de la sécurité, du manque d’eau, d’essence, de logements. Il leur est impossible de gérer des centaines d’ONG qui vont peser sur les ressources locales et qui n’ont souvent pour elles que leur bonne volonté, le besoin de s’assurer un crédit en termes d’image ou, plus rarement, des motivations crapuleuses [se rendre sur les lieux d’une catastrophe permet de faire un appel aux dons, ndlr]. D’où l’importance d’une autorité locale qui organise, cadre, dirige. Ce n’est pas agréable de se faire imposer un lieu et une forme d’action, mais c’est indispensable.

    MSF n’a pas envoyé d’aide aux Célèbes, à part une mission d’évaluation des besoins. Est-ce par choix ou parce que l’Indonésie refuse ?

    Un peu des deux. Nous avons une très longue expérience des catastrophes naturelles et nous savons que, sauf exception notable, les premiers secours d’urgence sont assurés par les forces locales et par les structures politiques, religieuses ou militaires. La solidarité collective s’organise spontanément. Plus tard, les ONG peuvent prendre le relais, pallier la fatigue et l’épuisement. Mais la coordination avec le pouvoir local et les Nations unies est indispensable. Même si la société est bouleversée par un événement inattendu, on ne peut pas débarquer comme ça au bout du monde.

    Que pensez-vous des critiques émises contre le pouvoir indonésien, accusé à mots couverts de laisser mourir sa population ?

    Elles tiennent de l’arrogance et de la présomption, lesquelles peuvent prendre des proportions effarantes. Il y a dix ans, lors du cyclone en Birmanie, certaines ONG avaient publié des bilans cataclysmiques. Des éditos assassins accusaient le pouvoir birman de mettre en danger un million de personnes. Il y a même eu des menaces d’intervention par la force de la part des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou de la France. Or le risque de famine et d’épidémie était nul, et la société et l’armée avaient pris en main la distribution d’eau potable et de nourriture. Même si les chiffres sont forcément très imprécis, c’est immoral d’exagérer sciemment les besoins pour mieux se mettre en valeur.

    Lors de ces catastrophes, a-t-on tendance à mettre en lumière l’aide occidentale ?

    L’aide locale ne se voit pas sur les images, les gens sont habillés comme les autres, ont la même allure. L’information est souvent centrée sur les équipes venues de l’étranger. En #Haïti, une seule personne désincarcérée par des pompiers occidentaux avait accaparé les médias, qui semblaient ignorer que 1 500 autres survivants avaient été sortis à mains nues par les habitants. Au Sri Lanka, en 2004, une bande de terre de 50 à 200 mètres avait été touchée par le tsunami. Dès les premières 24 heures, le pays avait mobilisé un millier de médecins et d’infirmiers qui connaissaient la langue, l’organisation de soins et la pharmacopée locales. Malgré cette réponse forte, on continuait d’envoyer depuis l’étranger des équipes médicales inutiles.

    Mais n’y avait-il pas urgence à soigner les blessés à Palu ?

    Contrairement à un mythe infondé, même si les besoins médicaux ont un aspect spectaculaire, ce n’est pas le problème fondamental. Haïti a été une exception en 2010, puisqu’il y a eu un très grand nombre de blessés en quelques minutes à Port-au-Prince à cause de l’habitat construit en dur avec de mauvais scellements. Les structures locales n’étaient pas capables de répondre à des attentes aussi spécifiques que des interventions chirurgicales orthopédiques. Nous avions donc effectué 15 000 procédures chirurgicales d’urgence pour environ 10 000 blessés [les patients peuvent avoir plusieurs blessures]. A Palu, la plupart des victimes sont mortes écrasées dans l’effondrement des immeubles ou noyées par le tsunami. Les autres ne sont en général que légèrement blessées ou ont perdu leur logement. La question des abris est un enjeu primordial. Le manque de sommeil est rarement évoqué, pourtant, si les gens ne peuvent pas dormir à cause de la pluie ou du vent, ils vont tomber malades, devenir agressifs…

    Sur place, des journalistes racontent que les habitants, affamés et assoiffés, espéraient pourtant de l’aide étrangère…

    A l’évidence, le gouvernement indonésien n’a pas mis en place un dispositif d’information à destination de la population de Palu. Les délais d’arrivée des vivres, de l’eau potable, des générateurs sont difficiles à juger faute de connaissance des réalités de terrain. La mobilisation et le transport de grandes quantités de matériels et de biens de survie prennent toujours du temps, en fonction de la localisation des dégâts, de l’état des ports et des aéroports, de l’isolement des villages gravement touchés… Et seules les armées disposent des moyens logistiques nécessaires.

    La menace du choléra est souvent agitée pour justifier une intervention extérieure. Est-ce un mythe ?

    En tant que médecin, j’ai été frappé de voir les Indonésiens regrouper les corps et les enterrer rapidement après les avoir recouverts de chaux, comme si on croyait encore à la génération spontanée de micro-organismes meurtriers. Les cadavres en grand nombre sont une source d’anxiété, dégagent une odeur intenable mais ils ne génèrent pas de risque épidémique. Certes, une canalisation peut se rompre, entrer en contact avec des corps en décomposition, ce qui créera des foyers de gastro-entérites très désagréables et des problèmes sérieux pour les bébés et les personnes fragiles. Et s’il y avait déjà du #choléra sur place, le séisme ne va pas arranger les choses. Mais c’est tout. Cette croyance qui date de l’Antiquité a des conséquences juridiques, financières et psychologiques importantes : sans les rites funéraires, la sublimation de la mort n’aura pas lieu ; si le décès de leurs proches n’est pas déclaré, les survivants vont se trouver face à des casse-tête juridiques, etc. On pourrait attendre des autorités sanitaires qu’elles rétablissent la vérité. Or les ONG et les agences des Nations unies contribuent à partager et diffuser un mythe potentiellement problématique.

    De crise en crise, le secteur de l’humanitaire apprend-il de ses erreurs ?

    Depuis une vingtaine d’années, les choses ont tendance à s’améliorer, grâce à des dispositifs d’information et aux critiques. Il ne faut pas tout jeter par-dessus bord. Comme les ressources locales ne sont pas inépuisables, une assistance internationale bien organisée peut se révéler extrêmement utile dans un deuxième temps, en amenant par exemple des moyens de télécommunication, du matériel de construction ou de l’aide alimentaire si les récoltes sont détruites. Je pense qu’il faudrait créer un système d’accréditation des organisations non gouvernementales pour les situations d’urgence, qui serait basée sur des critères d’expérience, de logistique et d’autonomie matérielle totale.
    Laurence Defranoux

    #humanitaire #rapport_colonial

  • Birmanie : l’article qui a conduit deux journalistes de Reuters en prison
    https://www.lemonde.fr/international/article/2018/09/13/birmanie-l-article-qui-a-conduit-deux-journalistes-de-reuters-en-prison_5354

    Les dix captifs rohingyas, attachés les mains dans le dos et reliés les uns aux autres par une cordelette, regardent leurs voisins bouddhistes creuser une sépulture. Nous sommes le 2 septembre au matin. Quelques instants plus tard, les dix seront morts, deux tombés sous les coups de machette de villageois bouddhistes, les autres sous les balles de soldats.


    Un vieil homme d’Inn Din nous a remis trois photographies prises entre l’arrestation des dix hommes par des soldats, dans la soirée du 1er septembre, et leur exécution, le 2 septembre, peu après 10 heures du matin.

    « Une tombe pour dix hommes, résume Soe Chay, un ancien soldat retiré dans le village qui dit avoir été l’un de ceux qui ont creusé la fosse. Quand ils ont été enterrés, certains poussaient encore des cris. » Cette tuerie est l’un des épisodes de la violente crise qui secoue depuis des mois l’Etat d’Arakan, dans le nord de la Birmanie. Depuis la fin du mois d’août, près de 690 000 Rohingya ont fui leurs villages et franchi la frontière du Bangladesh.

    Le 3 septembre, les deux reporters birmans attachés au bureau de Reuters de Rangoun ont été condamnés chacun à une peine de sept années de réclusion pour « violations de secrets d’Etat ». Dix jours plus tard, Aung San Suu Kyi, la dirigeante birmane, a justifié leur condamnation, estimant qu’ils avaient « enfreint la loi » en enquêtant sur ce massacre.
    Les audiences du procès vont rapidement montrer à quel point sont fragiles les charges qui pèsent contre eux. A la barre des témoins, des policiers donnent des versions fantaisistes ou vagues des conditions de l’arrestation des deux journalistes. Surtout, un capitaine de la police révèle qu’un de ses subordonnés a été chargé par un haut gradé de « piéger » les deux reporters.

  • Zomia ou l’art de ne pas être gouverné
    https://www.philomag.com/les-livres/lessai-du-mois/zomia-ou-lart-de-ne-pas-etre-gouverne-6995

    Observez sur une carte cette grande zone montagneuse frontalière s’étirant des hautes vallées du Vietnam aux régions du nord-est de l’Inde, traversant le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et la Birmanie et se prolongeant vers le Nord sur quatre provinces chinoises. Le territoire n’a d’unité ni administrative, ni ethnique, ni linguistique. Pourtant, cette étendue de 2,5 millions de kilomètres carrés a été identifiée en 2002 par l’historien Willem Van Schendel : c’est Zomia, une zone difficilement accessible, restée insoumise durant des siècles à toute forme d’autorité gouvernementale. Aux yeux de plusieurs anthropologues, Zomia incarne une ultime résistance à l’ordre géopolitique contemporain et permet de relancer le débat sur les normes qui régissent les collectivités humaines.

    Pour James C. Scott, qui travaille depuis les années 1980 sur les formes de résistance à la domination – notamment dans The Weapons of the Weak (Yale University Press, 1985, non traduit) qui prend pour sujet d’étude les paysans vietnamiens –, Zomia constitue un objet de pensée incontournable. Ayant abrité jusqu’à 100 millions de personnes issues de minorités ethniques et linguistiques variées, elle ne peut être appréhendée à partir des concepts de « frontières » ou de « zones de souveraineté ». Politiquement acéphale, elle semble avoir déjoué, depuis l’invention de l’État moderne et jusqu’à la première moitié du XXe siècle, toutes les logiques d’annexion et d’« enclosure » qui ont eu prise sur les populations de la plaine. On y pratique une agriculture nomade sur abattis-brûlis, on y cultive les avantages de l’oralité, en tenant toujours à distance un certain modèle de civilisation sédentaire ancré dans l’écriture et l’assujettissement à une autorité supérieure. Mais cette indiscipline a un prix : les populations zomianes sont considérées comme « parias », non encore civilisées. Pourtant, et c’est la thèse de James C. Scott, les Zomians sont moins des barbares que des fugitifs de la civilisation qui, « dans la longue durée, incarnent un rejet délibéré de l’État dans un monde d’États auquel ils sont adaptés tout en se tenant hors de leur atteinte ».

    Compilant une vaste documentation historique sur l’Asie du Sud-Est précoloniale et coloniale, Scott cite et prolonge les thèses de Pierre Clastres dans La Société contre l’État (Minuit, 1974) qui mettaient en évidence le refus de l’État des peuples autochtones dans l’Amérique du Sud d’après la Conquête. L’enjeu anthropologique est de taille, puisqu’il s’agit d’asseoir l’idée selon laquelle « vivre en l’absence de normes étatiques a été la norme de la condition humaine » : une norme à laquelle elle eût d’ailleurs pu se tenir, avec profit. Car le mode de vie des populations zomianes est au fond, affirme Scott de façon provocatrice, particulièrement adapté aux « post-sujets », « post-sédentaires », que nous sommes. Le drame étant que les jours de Zomia sont comptés, maintenant que les réseaux de communication et de télécommunications ont décuplé le pouvoir d’intrusion de l’État dans les zones autrefois inatteignables. Ces hautes terres abritaient peut-être une « humanité du futur »… mais elle s’est progressivement éteinte à partir de 1945. Et aujourd’hui, elle a en réalité disparu. Les détracteurs de Scott ont alors beau jeu de qualifier sa tentative d’« histoire postmoderne du nulle-part », on peut plutôt y lire les bases anthropologiques d’une utopie postétatique qui continue, depuis les années 1970, d’inspirer ses défenseurs.
    Agnès Gayraud

    #autonomie #communs #commune #communisme #société_contre_l'Etat #Zomia

  • L’#expansionnisme #japonais, partie 1 : des facteurs #économiques.

    Il y a 75 ans, #Pearl #Harbor précipitait les #États-Unis pendant la guerre.
    http://www.lepoint.fr/monde/il-y-a-75-ans-pearl-harbor-precipitait-les-usa-dans-la-guerre-07-12-2016-208
    Publié le 07/12/2016
    Vu le 03/06/2018

    Nous pouvons d’abord avec cet article de l’AFP, déterminer le lien entre la tournure des événements de la Seconde #Guerre mondiale avec la réaction des États-Unis à la suite de l’#attaque surprise de Pearl Harbor, et l’expansionnisme #japonais.
    Cependant il est intéressant de remarquer également que cette #expansion (de la Mandchourie à l’Indochine française à partir de 1931 puis six moi après Pearl Harbor à Hong Kong, Singapour, aux Philippines, à Bornéo, à Sumatra, à Java, et en Birmanie) est liée à « la recherche de #ressources #énergétiques et de #matières premières ».

    https://www.fascinant-japon.com/empire-soleil-levant-expansionnisme-japonais-showa-hiro-hito-japon
    Vu le 03/06/2018

    En effet, si nous consultons cet autre article (comportant une #chronologie et une #carte,) nous pouvons avoir plus de précisions sur le lien entre #économie et expansionnisme au #Japon. En effet, à la fin du 15ème shogunat, l’Empire fondé sur la constitution Meiji de 1889 subit la grande dépression et choisit par là même d’opter pour une politique #fasciste : précisément pour des raisons économiques. D’abord parce que la guerre permet à l’#industrie #militaire de relancer l’économie mais aussi à cause du manque de ressources de l’île (tel le fer, le pétrole et le charbon) qui ne permettait pas de rivaliser avec l’Ouest européennes qui les leur fournissait jusqu’alors, d’où le choix de la #colonisation.

    Formose (Taïwan) en 1895 et la Corée en 1910 avaient été annexées pour leur potentiel agricole. Le fer et le charbon de Mandchourie, le caoutchouc d’Indochine et les vastes ressources chinoises étaient les cibles principales pour l’industrie.

  • Un rouage dans la machine | Joe Freeman
    https://making-of.afp.com/un-rouage-dans-la-machine

    Maungdaw, Etat Rakhine (Birmanie) — A peine avions-nous posé le pied au bas de l’avion que les caméras tournaient déjà. Pas les nôtres. Celles du gouvernement. Nous sommes à la mi-mars et je me trouve en compagnie d’un petit groupe de journalistes dans une visitée organisée par le gouvernement de l’Etat septentrional de Rakhine, l’épicentre de la crise des Rohingyas en Birmanie. Source : Making-of

  • Se battre pour Badawi | Alexandre Sirois
    http://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/alexandre-sirois/201804/19/01-5161787-se-battre-pour-badawi.php

    #raif_badawi #arabie_saoudite #canada

    Ceux qui ont reçu la #citoyenneté canadienne honoraire :

    1. Raoul Wallenberg, diplomate suédois qui s’est illustré par ses actions durant l’Holocauste 1985

    2. Nelson Mandela, activiste antiapartheid et ancien président d’Afrique du Sud 2001

    3. Tenzin Gyatso, actuel dalaï-lama 2006

    4. Aung San Suu Kyi, emprisonnée pour avoir soutenu la démocratie en Birmanie et lauréate du prix Nobel 2007

    5. Aga Khan, imam des 15 millions de musulmans Shia Ismali 2010

    6. Malala Yousafzai, militante et lauréate du prix Nobel 2017

  • Peuples autochtones : défendre leur droit à la terre | Secours Catholique

    https://www.secours-catholique.org/actualites/peuples-autochtones-defendre-leur-droit-a-la-terre

    Bangladesh : Rencontre avec le défenseur des GarosEn Amazonie, sensibiliser aux droits
    Publié le 16/04/2018
    EcouterListen with ReadSpeaker
    Peuples autochtones : défendre leur droit à la terre

    Les peuples indigènes se voient régulièrement chassés de leurs territoires, les multinationales convoitant leurs ressources. De l’Amazonie à l’Asie, le Secours Catholique s’engage aux côtés de ces populations pour qu’elles puissent faire valoir leur droit à la terre.

    « Les peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs territoires (…) Ils ont le droit de contrôler les ressources qu’ils possèdent ». Onze ans après l’adoption par l’ONU de cette déclaration des droits des peuples autochtones, le pillage de leurs terres se poursuit à un rythme effrayant.

    C’est une véritable course aux ressources naturelles (bois, minerais, sols) à laquelle se livrent des entreprises de l’agriculture intensive et de l’extractivisme avec la bénédiction des Etats.

    « L’Amazonie est à titre d’exemple envahie par ce qu’on appelle une « République du soja » de 46 millions d’hectares, une catastrophe pour l’environnement en terme de déforestation ; et pour les peuples autochtones chassés. » explique Joël Da Costa, référent Amazonie pour le Secours Catholique.
    ateliers de géolocalisation et cartographie

    Or, « cet accaparement des terres ôte leurs moyens de subsistance. Défendre leur droit à la terre permet de ne pas les faire plonger dans la pauvreté et de respecter l’environnement, vu que ces communautés autochtones ont des savoirs traditionnels respectueux des écosystèmes » poursuit Sara Lickel, chargé de plaidoyer.

    C’est pourquoi le Secours Catholique s’engage en Amazonie mais aussi en Asie (Vietnam, Birmanie, …).

    A travers les projets de divers partenaires, l’association aide notamment les peuples à délimiter juridiquement leurs territoires : « des ateliers de géolocalisation et de cartographie permettent ainsi à ces populations de revendiquer leurs droits fonciers avec des documents précis après des autorités » note Joël Da Costa.

    #cartographie_participative #peuples_autochtones #premières_nations

  • En Birmanie et au Sri Lanka, polémiques sur le rôle de Facebook
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/04/11/en-birmanie-et-au-sri-lanka-polemiques-sur-le-role-de-facebook_5283906_3234.

    Le réseau social est accusé d’avoir laissé se propager des messages haineux contre les minorités musulmanes en négligeant son travail de modération. Alors que des violences intercommunautaires se propageaient en mars dans le centre du Sri Lanka, des militants de ce pays ravagé par près de trois décennies de guerre civile alertaient Facebook au sujet de plusieurs messages haineux contre la minorité musulmane. L’un de ces posts appelait à « tuer tous les musulmans, sans épargner un seul enfant, parce (...)

    #Facebook #manipulation #domination #Islam #discrimination

  • #Birmanie : le retour impossible des #Rohingyas
    https://www.mediapart.fr/journal/international/030418/birmanie-le-retour-impossible-des-rohingyas-0

    Une réfugiée rohingya sur les collines de Cox Bazar, au #Bangladesh, le 22 mars 2018. © Reuters / Mohammad Ponir Hossain. Alors que la mousson s’apprête à transformer en « bombe sanitaire » le camp du Bangladesh où se sont réfugiés les survivants des massacres de musulmans par l’armée birmane, la destruction systématique de leurs villages abandonnés et leur transformation en bases militaires rendent impossible tout futur rapatriement.

    #International #ONU

  • Fake news et ingérence russe : les deux années qui ont ébranlé Facebook
    https://www.nouvelobs.com/monde/20180213.OBS2131/fake-news-et-ingerence-russe-les-deux-annees-qui-ont-ebranle-facebook.htm

    Parallèlement, l’équipe de campagne de Trump exploite à fond les possibilités de Facebook et de ses propres fichiers sur ses sympathisants, en envoyant des messages publicitaires ciblés. Trump balance des textes comme « Cette élection est truquée par les médias qui diffusent des accusations fausses et dénuées de réalité, et des mensonges éhontés, pour faire élire Hillary la pourrie ! » Ce genre de messages obtient des centaines de milliers de « J’aime », de commentaires et de partages, et l’argent afflue.

    Alors que les messages plus nuancés de la campagne d’Hillary Clinton obtiennent moins d’écho. « Au sein de Facebook, presque tout le monde parmi les dirigeants voulaient que Clinton gagne, mais ils savaient que Trump utilisait mieux la plateforme. S’il était un candidat pour Facebook, elle était une candidate pour LinkedIn », note « Wired ».

    Une nouvelle espèce d’arnaqueurs en ligne apparaît, diffusant des articles viraux et totalement bidonnés. Ils ont vite remarqué que les sujets pro-Trump marchent très bien, et sortent par exemple un article prétendant que le pape soutient Donald Trump, qui obtient près d’un million de réactions sur Facebook.

    Les dénégations initiales de Zuckerberg ont énervé une chercheuse en sécurité, Renée DiResta, qui étudie depuis des années la diffusion de la désinformation sur la plateforme. Elle a noté que si on rejoint un groupe anti-vaccins, l’algorithme propose d’adhérer à des groupes complotistes comme ceux croyant que la Terre est plate ou des adeptes du Pizzagate.

    En mai, DiResta publie un article où elle compare les diffuseurs de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux aux manipulations du trading haute fréquence sur les marchés financiers. Pour elle, les réseaux sociaux permettent à des acteurs malveillants d’opérer à grande échelle, et de faire croire avec des bots et des comptes sous fausse identité à des mouvements importants sur le terrain.

    Avec Roger McNamee, un actionnaire de Facebook furieux des réponses pleines d’autosatisfaction qu’a renvoyées l’entreprise à ses courriers d’alerte, et Tristan Harris, ancien de Google devenu célèbre pour pointer les dangers des services numériques, les trois dénoncent dans les médias les dangers que ferait peser Facebook pour la démocratie américaine.

    Le réseau social est aussi accusé d’avoir permis la diffusion de propagande mortelle contre les Rohingyas en Birmanie et d’avoir servi les méthodes brutales de Duterte à la tête des Philippines. Mais ses résultats sont plus florissants que jamais.

    Janvier 2018. Mark Zuckerberg annonce, comme chaque début d’année, ses bonnes résolutions. Et cette fois il ne s’agit pas de ses habituels défis personnels (apprendre le chinois mandarin, lire 25 livres, etc.), mais de « réparer Facebook », reconnaissant que l’entreprise a un rôle à jouer « qu’il s’agisse de protéger notre communauté contre les abus et la haine, de se défendre contre l’ingérence de nations-Etats, ou de s’assurer que le temps passé sur Facebook est du temps bien employé » (un terme qu’on dirait emprunté à Tristan Harris).

    Comment va évoluer Facebook ? Selon un dirigeant cité par « Wired » :
    ""Toute cette année a complètement changé son techno-optimisme [de Mark Zuckerberg]. Ça l’a rendu beaucoup plus paranoïaque quant aux façons dont des gens peuvent abuser de ce qu’il a construit.""

    #Facebook #Politique

    • ah ah ah, au moment ou est souligné également le vol et stockage de données de communication téléphonique par FB via android franchement ce type a été depuis le début le vrp de la surveillance de masse :/

  • La séance du dimanche : « Enfants rohingyas, la double peine »
    https://quartierslibres.wordpress.com/2018/02/04/la-seance-du-dimanche-enfants-rohingyas-la-double-peine

    Après avoir quitté leur village en flammes et s’être exilés au Bangladesh, Nour-Mohamed et sa famille luttent désormais pour leur survie. Ils font partie des 650 000 Rohingyas qui ont fui la Birmanie à l’automne et se sont installés dans les camps de réfugiés, sur la rive occidentale de la rivière Naff. Dans leur fuite, ils ont perdu un enfant. Source : Quartiers libres

  • Rohingyas : « Pour m’enfuir, j’ai dû ramper sur les cadavres des femmes et marcher sur les flammes » - Libération
    http://www.liberation.fr/planete/2017/10/15/rohingyas-pour-m-enfuir-j-ai-du-ramper-sur-les-cadavres-des-femmes-et-mar

    Epuisés par l’interminable marche pour gagner les camps du #Bangladesh, des musulmans birmans racontent l’horreur qui s’est abattue à la fin août sur leurs villages. Les exécutions de masse, les viols, les disparitions .

    Sayed Karim est un petit homme maigre et timide qui dit avoir 30 ans mais en paraît 50. Il est arrivé sur l’île bangladaise de Shah Porir Dwip le 6 octobre, après avoir marché des jours durant avec sa femme et ses cinq enfants à travers les rizières et la jungle épaisse de sa Birmanie natale. « Le 29 août, l’armée et la BGP [des gardes-frontières sous l’autorité de la police, ndlr] ont encerclé Marola, notre village dans le district de Maungdaw, raconte-t-il. Pendant deux jours, ils ont tiré sur les gens, mis le feu aux maisons et emmené les plus belles femmes dans leur camp. Seules quelques-unes sont revenues. » L’épouse de Sayed Karim n’a pas eu la force de parcourir les derniers kilomètres. Elle est morte en accouchant d’un bébé mort-né, et il l’a enterrée le matin même.

    Depuis l’attaque d’une trentaine de postes de police dans l’Etat Rakhine voisin, le 25 août, par de petits groupes rebelles, les Rohingyas subissent une répression d’une violence inouïe. « Un nettoyage ethnique », selon les Nations unies. Au moins 536 000 personnes, soit la moitié des membres de cette minorité musulmane, ont déjà fui la Birmanie. Contrairement aux déclarations de la chef du gouvernement, la Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, les « opérations militaires » contre les « terroristes » n’ont pas pris fin le 5 septembre. Si aucun témoin ne fait état de tueries depuis le 1er septembre, les incendies massifs de villages continuent : il suffit de longer sur quelques kilomètres la rivière Naf pour voir d’épaisses colonnes de fumée s’élever sur l’autre rive.

    Sur le sable mouillé, de grandes barques noires aux pointes recourbées vers le ciel attendent la marée. Les montagnes escarpées, d’un vert profond, de l’Etat #Rakhine se détachent sur le ciel plombé. Depuis Shah Porir Dwip, quinze minutes suffisent aux passeurs pour gagner l’estuaire du fleuve Naf jusqu’à la Birmanie, une traversée si dangereuse qu’une centaine de réfugiés y ont déjà trouvé la mort. Pour le trajet, ils exigent 10, 20, voire 100 euros par famille. Ou, faute de mieux, un bracelet en or ou une vache cédée à vil prix. Chaque jour, les trafiquants ramènent leur cargaison humaine sous l’œil des gardes-frontières bangladais, bien que la frontière soit officiellement fermée.

    Pour rejoindre le point d’accueil de Sabrang, tenu par l’armée bangladaise, les réfugiés, épuisés, effrayés, doivent encore payer un petit bateau et peiner dans la glaise épaisse. Serrés les uns contre les autres, ils attendent d’être chargés dans des camions en direction des camps. La grande majorité sont des femmes et des enfants. Montas Begum, 40 ans, a quitté six semaines plus tôt le village d’Alel Than Kyaw, à Maungdaw. Depuis, elle est sans nouvelles de son mari et de son fils : « Le 25 août, l’armée a tiré et mis le feu à nos maisons. Le maire, Zaw Too, a réuni les jeunes bouddhistes dans le monastère, leur a distribué des machettes et des couteaux, et les a emmenés égorger tous les musulmans qu’ils rencontraient. »

    Depuis le 25 août, l’Etat Rakhine est quasiment inaccessible aux humanitaires, aux observateurs extérieurs ou aux journalistes. Mais les attaques de postes de police par des jeunes armés de bâtons et de couteaux semblent n’avoir été que le prétexte d’une opération de nettoyage ethnique planifiée depuis des mois. Alertées par des rapports sur des tensions en Arakan et un nombre anormal de Rohingyas arrivés en juillet et en août, les ONG au Bangladesh se préparaient à faire face à une arrivée massive de 60 000 personnes sur six mois. Elles sont arrivées en une nuit.

    Dans les hôpitaux débordés comme dans les replis de la monstrueuse marée de bâches noires des camps qui chaque jour engloutit un peu plus le paysage, tous les récits se recoupent. Un mot d’ordre semble avoir été donné par la junte : débarrasser l’ouest de la Birmanie de toute sa population rohingya. Une consigne appliquée localement avec plus ou moins de cruauté. Parfois, les soldats ont tiré en l’air et attendu que les gens s’enfuient avant d’incendier les maisons. Souvent ils ont mitraillé les murs fragiles et visé les fuyards. Dans ses exactions, l’armée est en général accompagnée de gardes-frontières, parfois de civils bouddhistes. Des rescapés de Thinga Nak, un village de Buthidaung (dans la partie la plus occidentale de la Birmanie), décrivent un hélicoptère qui s’est posé dans le camp militaire quelques minutes avant que les violences n’explosent. La preuve, selon eux, que l’ordre est venu d’un haut gradé. Même si des maisons appartenant à des hindous, infime minorité de la même origine bengalie que les Rohingyas, ont aussi été brûlées, les musulmans sont clairement visés.

    Kyaung Taung, le 25 août

    Le récit de Fariza, rencontrée sur le bord de la route où elle errait sous la pluie à la recherche de nourriture pour son bébé, est édifiant. Depuis sa maison de son bourg de Kyaung Taung, elle a une vue plongeante sur la cour d’une caserne du bataillon d’infanterie légère 552. De sinistre réputation, l’unité est réputée pour sa propension à persécuter, racketter, user du travail forcé contre la population musulmane. Le 25 août, avant l’aube, des rebelles rohingyas ont tenté de pénétrer dans le quartier général, déclenchant une opération de vengeance sauvage contre les habitants alentour. Quelques heures après, Fariza a vu l’armée mettre à l’abri tous les habitants bouddhistes et hindous avant d’attaquer le village au lance-roquettes.

    Maung nu para, le 27 août

    Dans le camp de Kutupalong, sous la touffeur d’une bâche noire, un jeune homme somnole. Mohammed ul-Hassan a 18 ans et de larges balafres sur le ventre. Avec un sourire timide, il remonte le fil du dimanche 27 août, dans son village de Maung Nu Para, situé à quelques kilomètres de Kyaung Taung. « A 9 heures du matin, des soldats et des policiers sont entrés chez moi et m’ont arrêté avec mes deux frères. Ils nous ont traînés, nus, les bras serrés derrière le dos, jusqu’à un terrain vague. Des dizaines et des dizaines d’autres musulmans s’y trouvaient déjà, agenouillés, le visage dans la boue. Un soldat m’a donné un coup de botte dans le visage pour me faire asseoir. » La plaie près de son œil gauche est refermée, après un mois dans un hôpital d’une mission chrétienne au Bangladesh. « Sous mes yeux, les soldats abattaient un par un les prisonniers, y compris des enfants et des vieillards. Ceux qui ne mourraient pas sur le coup étaient égorgés. Ils ont tiré deux balles à bout portant sur chacun de mes frères et moi. Ils sont morts sur le coup, j’ai perdu connaissance. Quand j’ai rouvert un œil, un soldat m’a tiré dessus. » Laissé pour mort, il réussit à s’enfuir et retrouve un autre de ses frères qui s’était caché au grenier.

    Ce jour-là, Mohamed Shuwip, 27 ans, a perdu trente-deux membres de sa famille. Il décrit comment il a vu les militaires traîner au sol des dizaines de cadavres et les charger dans trois camions. Pour rejoindre le Bangladesh, il a porté son petit frère, le corps couvert de plaies béantes, durant quatorze jours. Calotte blanche et longue barbe, le mollah du village dessine sur un bout de carton la géographie précise des lieux et explique avoir vu une bâche jetée sur les corps qui n’avaient pas trouvé de place dans les camions.

    La société rohingya perpétue un islam très conservateur, qui pousse certaines jeunes femmes à se voiler entièrement le visage. Malgré le tabou que représentent les violences sexuelles, la plupart des récits recueillis montrent une utilisation du viol à grande échelle par l’armée birmane contre sa population. Pour le médecin Rafi Abul Siddique, qui intervient dans les camps pour l’ONG Friendship, « la plupart des filles de moins de 18 ans ont été violées. Les mères n’ont pas toujours été épargnées ». Montas Begum, qui a fui Alel Than Kyaw, dit avoir profité du moment où « les hommes entraient dans les maisons pour chercher les femmes » pour se sauver. Mais elle énumère les victimes autour d’elle : « Yasmina ma voisine, Tasmina dont le mari a été égorgé, Hafya, Zouhoura, Lalou, Roukhia… »

    L’ONG Mukti est spécialisée dans les violences faites aux femmes. Au camp de Kutupalong, la psychologue Rimi Akhter est assise au côté de quelques femmes qui viennent trouver auprès d’elle une boisson et un peu de réconfort. « Avant l’été, seules deux ou trois femmes par jour confiaient avoir subi des violences sexuelles, en général dans le cadre conjugal, même si on avait d’autres cas, comme une fille de 15 ans abusée par des soldats pendant trois nuits, explique la psychologue. Mais depuis le 25 août, sept à dix patientes témoignent chaque jour de viols commis par l’armée birmane - jamais la police ou les milices. Trois d’entre elles ont été abusées durant plusieurs jours par treize soldats. » A toutes celles qui sont enceintes de leurs bourreaux, Rimi Akhter propose un avortement.

    Tula Toli, le 30 août

    Sofia (1) est une des rares à accepter de raconter son calvaire, dans l’obscurité d’une tente, le regard fixe au-dessus de larges cernes noirs. Sur ses bras, son visage, ses pieds et ses mains où finit de s’effacer du vernis à ongles rose, de larges traces de brûlures. Elle a 15 ans et décrit l’enfer qui s’est abattu le 30 août sur Tula Toli (Maungdaw), village pris en tenailles entre les soldats au nord et les policiers et les milices au sud. « On a été rassemblés le long de la rivière, à genoux, les mains dans le dos. Les soldats ont commencé à abattre les gens un par un, et les bouddhistes rakhines passaient derrière pour les égorger. Un premier groupe de femmes a été extrait de la foule et emmené. Puis ça a été mon tour, avec cinq autres femmes, dont certaines accompagnées de leurs enfants. Sur le chemin, on a croisé des soldats qui revenaient avec des couteaux ensanglantés. J’étais terrorisée. Quand ils nous ont poussées dans une maison, j’ai reçu un grand coup sur la tête. » Elle garde, sur l’arrière du crâne, la cicatrice d’un coup de machette. « Quand j’ai repris conscience, un soldat me traînait. Un autre arrachait à ma mère ses boucles d’oreilles et son collier en or. Je n’ai aucun souvenir des heures qui ont suivi. Quand je me suis réveillée, la maison brûlait. Pour me sauver, j’ai dû ramper par-dessus les cadavres des femmes et marcher sur les flammes. Dehors, il y avait une femme nue sur le sol. Je me suis cachée dans les toilettes toute la nuit, puis j’ai marché jusque dans les collines sur mes pieds brûlés. Ensuite, des gens m’ont portée jusqu’au Bangladesh. »

    Sur les hauteurs du camp de Balukhali, un autre habitant de Tula Toli pleure doucement, son neveu de 7 ans serré contre lui. Mohamed Suliman a échappé aux assassins en traversant la rivière à la nage. « Un hélicoptère survolait la plage. Des groupes de soldats se sont succédé dans les maisons où avaient été enfermées les femmes. Ensuite, ils ont creusé un grand trou et enterré les corps. » L’homme nous tend une photo de sa famille : sa femme, sa deuxième fille et sa benjamine de 12 ans ont trouvé la mort ce jour-là. « Je voudrais plutôt mourir empoisonné que continuer cette vie », supplie-t-il.

    Les habitants de l’Etat Rakhine s’étaient habitués à voir les soldats leur confisquer un poulet ou un sac de légumes. Aujourd’hui, beaucoup décrivent avoir été entièrement été dépouillés de leurs biens - bijoux, argent, bétail, réserves de nourriture - avant d’être chassés. A l’hôpital de Malungat, un habitant qui veille sur son fils de 7 ans, gravement blessé, raconte comment des représentants de l’armée et de la police ont extorqué 1 million de kyats (625 euros) à sa communauté avant d’attaquer sauvagement le village de Aye Tah Li Yar.

    Les premiers réfugiés arrivés fin août étaient plutôt issus de familles aisées et bien informées. Dans certains cas, un proche de la diaspora réglait les passeurs depuis le Moyen-Orient, via une appli sur smartphone. Depuis, des groupes de centaines de personnes, incapables de payer, sont bloqués en Birmanie ou sur les bancs de sable du no man’s land. Des nouvelles alarmantes proviennent des camps du district de Rathidung, où des dizaines de milliers de Rohingyas sont privées d’aide alimentaire. Après les balles, c’est la faim qui pousse les #Rohingyas hors de leur pays.
    Laurence Defranoux envoyée spéciale au Bangladesh

    Un article qui date d’il y a quelques mois et qui est horrible à lire. Mais mieux vaut savoir.
    #génocide #massacres #viol #Birmanie #islam #musulmans #bouddhisme

  • Sénégal : décès du 7è khalife de la confrérie Mouride - La Redaction - Actualiteafrique.info
    http://actualiteafrique.info/societe/article/20180110-senegal-deces-du-7e-khalife-de-la-confrerie-mouride.html

    Janvier, peut-être un mois noir pour le Sénégal. Les larmes versées en hommage aux bûcherons tués la semaine dernière dans une forêt de la Casamance n’ont sans doute pas encore séché que le pays perd un autre de ses chers fils : Serigne Sidy Mokhtar Mbacke, septième khalife général de la puissante confrérie Mouride.

    Selon ses proches, Serigne Sidy Mokhtar Mbacke est décédé cette nuit de mardi à mercredi, des suites d’une longue maladie. Une maladie qui l’avait même empêché de participer au grand magal de Touba (ville à 194 km à l’est de Dakar), événement commémorant le départ en exil au Gabon d’Ahmadou Bamba, cet éminent théologien musulman qui fonda vers la fin du 19è siècle la confrérie mouride.

    Second petit-fils d’Ahmadou Bamba Serigne Sidy Mokhtar Mbacke était âgé de 92 ans. Comme son aïeul, il était d’une érudition frisant quasiment la démesure. Mais, dans son pays comme à l‘étranger, Serigne doit sa célébrité à ses prêches en faveur de la paix et des populations victimes de l’oppression. Comme il l’a fait en invitant les Rohingas de Birmanie au magal de l’année dernière.

    Et l’on pourrait comprendre pourquoi le président Sall qui a promis de se rendre à Touba, a annulé la réunion du Conseil des ministres de ce mercredi. Car il est question d’honorer cette « valeur qui a fait honneur à l’islam », selon un musulman de Pointe-Noire au Congo. Et présenter les condoléances à Serigne Bassirou Mountakha Mbake, successeur de Serigne Sidy Mokhtar Mbacke.

  • Jupiter fait la cour à Strasbourg, par Guillaume Berlat Proche&Moyen-Orient.ch

    « C’est la première fois que j’utilisais l’imagination comme arme de défense et rien ne devait m’être plus salutaire » (Les cerfs-volants, Romain Gary).
    Première fois pour un président de la République française, Emmanuel Macron qui se rend le 31 octobre 2017 à Strasbourg pour y discourir devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du Conseil de l’Europe que certains ont tendance à confondre avec la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dont le siège est à Luxembourg. Avant sa prestation devant ces 47 magistrats, on nous explique doctement que le chef de l’État est venu s’y expliquer sur les mesures prises pour lutter contre le terrorisme islamique (état d’urgence vivement critiqué par le Conseil de l’Europe dont il a été mis fin le 30 octobre 2017 et dont les principales mesures ont été intégrées dans la loi du 31 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme1.


    Avant d’aborder le contenu stricto sensu de l’intervention du chef de l’État devant la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg, il importe de fournir quelques informations sur la genèse du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il conviendra ensuite d’analyser les tenants et aboutissants de ce discours.

    DE QUELQUES RAPPELS INDIPSENSABLES SUR LE CONSEIL DE L’EUROPE ET DE LA CONVENTION EUROPÉENE DES DROITS DE L’HOMME
    L’histoire du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme mérite que l’on s’y arrête quelques instants compte tenu de la spécificité de cette institution européenne créée en 1949, l’une des premières à traduire dans les faits l’idée d’une construction politique à l’échelle du continent.

    Le Conseil de l’Europe victime de l’Union européenne
    À la fin des années 1950, le général de Gaulle compare le Conseil de l’Europe à « une belle endormie au bord du Rhin ». Quelle est cette institution européenne originale peu connue du grand public ? Première tentative de regroupement des États européens à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil de l’Europe naît en 1949 et son siège est installé à Strasbourg. L’organisation compte aujourd’hui 47 États membres, tous les pays d’Europe (Union européenne, Russie Turquie, Suisse, Norvège, Balkans…) à l’exception de ceux de l’Asie centrale, États qui adhérent à un certain nombre de valeurs édictées par sa charte constitutive, un socle d’environ 200 conventions et, surtout, la Convention européenne des droits de l’homme signée en 1950 qualifiée de « bijou de famille ».

    La France ne la ratifiera qu’en 1974 en raison des fortes réticences du Conseil d’État qui estimait incongrue qu’une juridiction internationale puisse censurer ses décisions marquées au sceau de la perfection. Le Conseil de l’Europe représente la première tentative de « paix par le droit » après 1945 (on connaît les limites de cette approche par la SDN). Elle repose sur le triptyque suivant : norme, contrôle de la mise en œuvre de la norme et sanction en cas de violation de la norme acceptée volontairement par l’État coupable. On doit y rajouter un volet coopération destiné à aider les États (ce fut particulièrement le cas après l’adhésion des anciens PECO dans les années 1990). Organisation interétatique, son organe délibérant est le comité des ministres (dans la pratique, les délégués des ministres, à savoir les ambassadeurs).

    Une assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) se réunit une semaine quatre fois par an et délibère des principaux sujets inscrits à l’ordre du jour du Conseil. Avec l’élargissement de ses membres et de ses compétences (adoption d’une charge des droits fondamentaux), l’Union européenne concurrence fortement le Conseil de l’Europe dont elle assure le financement d’une grande partie de ses programmes de coopération. Est envisagée l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme. Si le problème est réglé en théorie, il soulève d’immenses problèmes pratiques qui ne sont toujours pas réglés (mode de désignation du ou des juges européens, prééminence entre les deux cours, celle de Strasbourg et celle de Luxembourg, États membres du Conseil de l’Europe non membres de l’Union européenne…). L’affaire est loin d’avoir trouvé son épilogue juridique et politique.

    La Cour européenne des droits de l’homme victime de son succès
    La principale caractéristique du Conseil de l’Europe tient à l’existence d’une Cour qui peut être saisie directement (dans le passé existait le filtre du comité des ministres) par tout citoyen membre d’un des 47 États s’il s’estime coupable d’une violation d’un des principes fondamentaux édictés par la Convention européenne des droits de l’homme ou par ses protocoles annexes. La seule condition exigée pour ce citoyen est l’épuisement des voies de recours internes. Aujourd’hui, la Cour accumule un retard de plus de 65 000 dossiers en instance de traitement, dépassant l’exigence d’un délai raisonnable de jugement qu’elle impose aux États. En France, on ne peut porter une affaire à Strasbourg que si l’on attaque une décision définitive du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.

    C’est dire le parcours du combattant que doit suivre le citoyen sans parler – une fois que sa requête a été déclarée recevable par la Cour – des délais d’attente de jugement par la dite cour, environ trois ans. Les décisions sont rendues par un juge unique, une chambre ou la grande chambre. Il peut s’agir d’une décision de rejet, de non violation ou de violation. Dans cette dernière hypothèse, le comité des ministres est chargé de l’exécution de l’arrêt de condamnation. Patrie autoproclamée des droits de l’homme, la France ne figure pas parmi les meilleurs élèves de la classe2, quoi qu’on en dise à Paris dans les milieux bien informés, si l’on examine de près la jurisprudence de la Cour3. La France a fait l’objet, en 2010, de deux condamnations de son système judiciaire, motif que le parquet n’était pas un juge indépendant et impartial au sens de l’article 6 de la convention européenne (droit à un procès équitable).

    Depuis, notre pays n’a toujours pas procédé aux réformes constitutionnelles indispensables pour se mettre en conformité avec ces décisions. Plus récemment, les mesures prises en application de l’état d’urgence ont valu à la France quelques sévères remontrances en raison de leur caractère pérenne et attentatoire aux grands principes auxquels notre pays a souscrit dans les conventions les plus importantes au cours des dernières années. Dans ce contexte, la visite à Strasbourg d’Emmanuel Macron était attendue par les experts juridiques européens, moins par ceux de la politique internationale tant elle dérogeait aux canons traditionnels en termes de justice internationale.

    DE QUELQUES ÉLÉMENTS À RETENIR DE L’INTERVENTION D’EMMANUEL MACRON À STRASBOURG
    De cette intervention interminable (plus d’une heure), marque de fabrique jupitérienne et en faisant preuve de beaucoup de logique, on peut organiser la pensée du président de la République autour des principaux axes suivants4.

    La France, patrie des droits de l’homme
    Emmanuel Macron ne déroge pas à la règle en se livrant à Strasbourg à un vibrant plaidoyer sur la France patrie des droits de l’homme. Retenons ses propos in extenso : « Les Droits de l’Homme énoncés lors de la Révolution française, puis plusieurs fois réaffirmés, réinterprétés par les grands penseurs et les grands hommes d’État de notre pays sont indissociables de cette identité profonde qui commence bien avant. Il n’est pas indifférent que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ait été faite à Paris en 1948 ; et il n’est pas anodin qu’une ville française, Strasbourg, soit aujourd’hui votre port d’attache. Soyez assurés que pour nous, Français, cela revêt un sens très fort ». Tout y passe : René Cassin, le général de Gaulle, Winston Churchill… Cette présentation est complétée par un exercice d’auto-satisfaction de Jupiter sur la France à Strasbourg même s’il rappelle tous les sujets sur lesquels la jurisprudence de la Cour a fait évoluer la législation française (procédure pénale, interception téléphonique…).

    Preuve que la France n’était pas si parfaite que cela en matière de protection des droits de l’homme ! Mais le président de la République s’empresse de souligner que la France est attachée à l’exécution des arrêts de la Cour. Revenant aux activités de la juridiction strasbourgeoise qualifiée de « repère majeur pour les Européens », Emmanuel Macron souligne les trois défis que doit relever la Cour : relation entre souveraineté juridique et souveraineté de la Cour, menaces croissantes auxquelles notre époque doit répondre en inventant des équilibres juridiques et politiques nouveaux pour que soit garanti le respect des droits de l’homme et remises en cause de la protection des droit fondamentaux et de l’état de droit par des phénomènes contemporains au premier rang desquels le président de la République cite les évolutions scientifiques.

    Les défis actuels : le professeur de droit et de relations internationales
    Alors que la démocratie semblait être un bien acquis, l’actualité la plus récente démontre qu’elle est menacée, y compris dans un certain nombre de pays européens. Il est donc important que les États membres du Conseil de l’Europe se saisissent du problème pour tenter de lui donner les réponses idoines sans quoi l’édifice pourrait un jour se fissurer. Le président de la République souligne, évoluant en permanence entre les problématiques des 47 États membres et celles de la France, les trois défis que l’Europe doit relever aujourd’hui : le terrorisme (qui ne doit pas déboucher sur une remise en cause de l’état de droit et qui a conduit la France à demander des dérogations aux règles habituelles), les flux migratoires (si la France ne souhaite pas remettre en cause le droit d’asile, elle entend combiner efficacité et justice dans le renvoi de ceux qui ne sont pas éligibles à ce statut) et les prisons (Emmanuel Macron rappelle que la France est loin d’être exemplaire mais qu’elle s’engage à faire mieux). Il insiste sur la dialogue indispensable entre juges nationaux et européens dont la clef réside dans la marge d’appréciation nationale laissée à chacun des États membres dans sa gestion interne des problèmes auxquels ils sont confrontés. La ratification prochaine du protocole 16 permettra à la France de parfaire ce dialogue en recourant à la possibilité de solliciter des avis de la Cour.

    Les défis futurs : la leçon faite aux juges
    En homme de prescience, Emmanuel Macron conclut son prêche (encore un nouveau) en explicitant aux 47 juges et à l’assistance nombreuse venue faire la claque au bord du Rhin, les défis futurs qui nous attendent. Les changements internationaux mettent en cause les équilibres antérieurs et le régime des droits de l’homme. Le président de la République critique ouvertement la Russie et la Turquie tout en prônant le dialogue avec ces deux pays devant une Cour dont le rôle n’est pas de juger le système politique d’un pays mais de juger des cas précis qui sont portées à son attention par un citoyen voire par un autre État. Il se croit obligé de citer la Syrie, la Libye et la Birmanie qui sont hors champ géographique du Conseil de l’Europe. Jupiter ne saurait s’imposer de quelconques limites géographiques à son action universelle et transcendante, pour ne pas dire omnipotente et omnisciente.

    DE QUELQUES REMARQUES SUR LE PLAIDOYER DE JUPITER FACE À SES JUGES
    Par simplicité, nous les regrouperons autour des deux principales rubriques suivantes : la forme et la substance.

    La forme : la cassure des codes
    Comme à l’accoutumée, le président de la République est incapable de résumer sa « pensée complexe » en une vingtaine ou une trentaine de minutes. Il inflige à l’assistance un discours interminable d’une heure. Il n’est qu’à lire la lassitude des magistrats de la Cour sur leur visage pour s’en convaincre. Le chef de l’État est pontifiant, répétitif, arrogant, prédicateur, donnant des leçons d’histoire, de philosophie, de droit à la terre entière sans se rendre compte un seul instant de sa fatuité. Le professeur Macron éduque les juges comme s’ils étaient des demeurés, peu informés du monde qui les entoure. Il leur explique ce que sont les droits de l’homme d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

    Tel le roi qui ne peut se déplacer sans ses courtisans au grand complet, Emmanuel Macron est accompagné à Strasbourg d’une cohorte impressionnante de ministres, responsables de grandes institutions françaises, représentants des juridictions judiciaires et administratives, de parlementaires, de conseillers en tous genres (Garde des sceaux, ministre chargée des Affaires européennes, président du Conseil constitutionnel, premier président de la Cour de cassation, Procureur général près de la Cour de Cassation, président de la section du contentieux du Conseil d’État qui préside le conseil d’administration de l’Opéra de Paris…).

    Tout cela fait sourire nos interlocuteurs étrangers qui y voient la preuve d’une France, monarchie républicaine ou République bananière selon ce que l’on voudra. Au passage, on vient vendre la candidature de Pierre-Yves Le Borgn’ au poste de commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe tel un vulgaire bateleur de foires. Est-ce du niveau d’un président de la République que d’agir ainsi alors que ceci relève du ministre des Affaires étrangères et de ses ambassadeurs ? Mais, nos folliculaires préférés, adeptes de la société de connivence, ne se permettent pas la moindre critique contre Dieu réincarné sous les traits d’Emmanuel Macron.

    La substance : la leçon de morale
    C’est là que le bât blesse pour l’observateur attentif qui ne se contente pas des résumés partiels et partiaux des journalistes qui se bornent à reprendre les éléments de langage (EDL) des communicants du Prince, se refusant à reprendre ligne par ligne le texte de l’intervention pour en analyser la structure générale et les principales orientations juridiques et politiques. Est-raisonnable qu’un président de la République s’adresse à une Cour en raison de la séparation des pouvoirs ? N’aurait-il pas été plus judicieux comme l’ont fait certains de ses prédécesseurs de s’adresser soit au comité des ministres, soit aux parlementaires de l’APCE pour leur apporter le message politique de la France tout en consacrant un développement substantiel au rôle de la Cour européenne des droits de l’homme ? Pourquoi se présenter en parangon de vertu en matière de droits de l’homme alors même que la France n’a toujours pas appliqué les deux arrêts structurels lui intimant l’ordre de rendre le parquet indépendant, ce qui n’est pas une question secondaire en termes d’organisation de la Justice dans notre pays ? Sept ans après, rien n’a encore été fait…

    Que d’arrogance insupportable sur la scène européenne alors même que l’on a dérogé aux principes fondamentaux posés par la Convention européenne pendant deux années en raison de l’état d’urgence ! Pourquoi venir stigmatiser les évolutions autoritaires en Russie et en Turquie devant une Cour ? Est-ce le rôle du président de la République de se transformer en procureur indépendant dans une enceinte qui juge en droit, en principe et non en opportunité ? Comment peut-on citer la Syrie, la Libye et la Birmanie (tous pays qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe) sans parler de l’Arabie saoudite, du Yémen où se passent des choses épouvantables sur le plan des droits de l’homme et où la France y a sa part ?5 Après la catastrophe libyenne, la France gagnerait à mettre la pédale douce sur le sujet des droits de l’homme alors que l’on parle de viols des opposants6.

    Comment peut-on dire qu’on ne croit pas dans l’opposition entre valeurs et intérêts lorsque l’on fait de la diplomatie économique sa priorité au mépris des droits de l’homme (Cf. la visite du maréchal Al-Sissi à Paris) ?7 Pourquoi ne pas évoquer l’enquête que va lancer la procureure de la CPI sur les hauts faits d’armes de l’OTAN et des Américains en Afghanistan, en particulier quelques crimes contre l’humanité ? Le décalage entre les paroles et les actes est une fois encore abyssal et aurait dû conduire le chef de l’État à adopter un ton plus mesuré, plus équilibré. La balance n’est-elle pas le symbole de la Justice ?

    Si le président de la République pensait tenir le haut du pavé médiatique par cette prestation inhabituelle devant la Cour européenne des droits de l’homme, il n’en est rien. Son intervention passe presqu’inaperçue en raison d’une actualité plus attractive pour les médias, à savoir la conférence de presse bruxelloise du leader catalan, Carles Puigdemont et l’attentat commis quelques heures plus tard à New-York par un terroriste d’origine ouzbek. Ainsi va la politique de l’essuie-glaces, un sujet en effaçant un autre à la vitesse de l’éclair et du buzz surtout à la veille du pont de la Toussaint. Pas la moindre trace dans les journaux, y compris les plus sérieux (du moins qui le prétendent) de la déclaration conjointe d’Emmanuel Macron et du secrétaire général du Conseil de l’Europe, le norvégien Thorbjorn Jagland (qu’il avait déjà rencontré à Paris le 31 août 2017) ! Il faut se rendre sur le site internet de l’Élysée pour y trouver la référence noyée dans un flot d’informations qui ne sont pas hiérarchisées8.

    Le président de la République est prisonnier du temps médiatique qu’il impose volontairement à son quinquennat comme l’a fait François Hollande en son temps avec le succès que l’on sait9. L’important est plus dans l’annonce que dans le contenu. Qui trop embrasse mal étreint. Mais, tout ceci ne change strictement rien à la popularité d’Emmanuel Macron qui stagne à 35% de Français satisfaits. Finalement, nos compatriotes ont encore du bon sens populaire qui fait défaut à notre élite arrogante qui vit dans sa bulle et dans les dîners en ville. Nouvel, et non ultime, épisode en date du feuilleton présidentiel, celui que nous pourrions intituler Jupiter fait sa cour à Strasbourg.

    Guillaume Berlat 13 novembre 2017
    1 Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, JORF n° 0255 du 31 octobre 2017, texte n° 1.

    2 Jean-Paul Costa, La cour européenne des droits de l’homme. Des juges pour la liberté, Dalloz, 2013.

    3 Vincent Berger, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Sirey, 11ème édition, 2009.

    4 Transcription du discours du président de la République, Emmanuel Macron devant la Cour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, www.elysee.fr , 1er novembre 2017.
    
5 Claude Angeli, Les clients de la France saccagent le Yémen, Le Canard enchaîné, 1er novembre 2017, p. 3.

    6 Cécile Allegra, Libye. Sur la piste des violeurs, Le Monde, 4 novembre 2017, pp. 12-13.

    7 Le général pas épinglé, Le Canard enchaîné, 1er novembre 2017, p. 8.

    8 Déclaration conjointe du président de la République, Emmanuel Macron avec le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland, www.elysee.fr , 31 octobre 2017.

    9 Solenn de Royer, Hollande, un mandat « chaotique » vu de l’intérieur, Le Monde, 3 novembre 2017, p. 10.

    Source : https://prochetmoyen-orient.ch/jupiter-fait-la-cour-a-strasbourg
    #Emmanuel_Macron #cour-européenne-des-droits-de-l’homme #CEDH #conseil-de-l’europe #APCE #pensée_complexe #discours-fleuve #fatuité #auto-satisfaction #Strasbourg #arrogance #juges #leçons #Droits_de_l’homme #crimescontre-l’humanité #OTAN

  • Le secret bien mal gardé d’Israël : les ventes d’armes à des régimes en guerre
    Yossi Melman | 20 novembre 2017
    http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/le-secret-bien-mal-gard-d-isra-l-les-ventes-d-armes-des-r-gimes-en-gu

    De la Birmanie au Soudan du Sud, en passant plus récemment par les États arabes du Golfe, Israël a essayé de garder secrètes ses ventes d’armes à des régimes engagés dans des conflits brutaux

    Israël se targue d’être une société libre et démocratique qui fait partie du monde occidental. Eh bien, pas exactement. Du moins dans deux domaines importants.

    Le premier, et le plus important, est l’occupation de la Cisjordanie sous le joug de l’armée israélienne et la privation de droits civils et démocratiques fondamentaux infligée à ses habitants palestiniens.

    Le second domaine dans lequel le manque de transparence est évident et dans lequel le gouvernement a tenté d’étouffer des informations concerne les exportations militaires et sécuritaires. Ici aussi, le censeur est omniprésent et réprime toute information susceptible d’embarrasser le gouvernement et l’appareil sécuritaire dans ses ventes d’armes à destination de dictateurs, de régimes voyous, de violateurs des droits de l’homme et d’autres gouvernements douteux. (...)

    #CommerceDesArmes

  • visionscarto.net | En Malaisie, la société civile au chevet des réfugiés rohingyas
    https://asile.ch/2017/10/16/visionscarto-net-malaisie-societe-civile-chevet-refugies-rohingyas

    En mai 2015, des charniers sont découverts dans la jungle thaïlandaise à la frontière Malaisienne. Les victimes étaient des Rohingyas (peuple musulman de Birmanie) réfugiés ayant fui la Malaisie et les violentes persécutions de ses militaires. Bien que majoritairement musulman, la Malaisie leur refuse l’asile et les considère comme des migrants économiques clandestins. Entre les […]