• #Casey sur la #colère

    "Si tu es en colère, c’est que tu n’es pas capable de raisonner logiquement puisque, en tout cas en Occident, la colère c’est l’ennemi de la #réflexion. Ça, c’est un truc paternaliste. C’est une façon de dire, en gros tu es #primitif, tu ne sais pas organiser ta pensée. Ça, c’est une façon de te disqualifier, une façon de disqualifier le #discours et c’est une façon aussi de s’assurer d’un certain #confort, c’est-à-dire : ’Je veux bien t’entendre, mais dis-le moi gentiment, que ça ne soit pas inconfortable’. Non, des fois c’est un crachat dans ta gueule que j’ai envie d’envoyer pour que tu comprennes. Ça, c’est réel, c’est aussi une envie de confort, c’est-à-dire que ton interlocuteur, dans sa toute puissance, dans sa grande #impunité, ce qu’il demande à l’oppressé c’est lui raconter son #oppression et sa #souffrance, mais vraiment en des termes qu’il puisse entendre, à savoir avec la douceur, l’amour et la gentillesse et la tendresse nécessaires.

    https://www.facebook.com/chloe.fraissebonnaud/posts/pfbid0bgHLuUR9PpFcx3wWVDkQUV35qoPYWt3YHAx3eB8MCXzuyuHDaUu6bwTQ74WG5Wmul
    (je ne trouve pas cette vidéo ailleurs que sur FB)

    #logique #paternalisme #disqualification #gentillesse #décolonial

    ping @cede @karine4 @_kg_

  • Première version d’un texte débutant par une critique de Lordon. Commentaires bienvenus !

    Vers un socle de subsistance

    Sous le nom de « salaire à vie » ou bien de « revenu de base », des propositions politiques entendent libérer l’individu de la servitude au marché de l’emploi. Les justifications à ces propositions sont diverses mais il nous semble qu’elles conduisent toutes à des bizarreries.

    Prenons comme exemple la proposition de « garantie économique générale » de Lordon, dans l’article « La transition dans la transition » paru en 2020 (1).

    Lordon défend sous ce terme les mêmes propositions que Bernard Friot sous l’expression de « salaire à vie ».
    Passons, dans un premier temps, sur le fait que Lordon défend l’argent et le marché comme ne devant pas être abolis, au motif qu’ils seraient les seuls moyens d’organiser le minimum de division du travail encore nécessaire dans une société communiste.

    Le salaire à vie, nous dit l’auteur, « délivre de toute obligation d’aller s’insérer dans la division du travail sous l’impératif reproductif de l’emploi ». Dès lors, « la question se pose notamment de savoir comment pourvoir les places à faire tenir dont personne ne voudra ».
    Les problèmes de pénuries et de désorganisations matérielles étant les pires ennemis de la révolution, « il faudra envisager une période transitoire (...) qui « gèlera » temporairement les assignations présentes à ces segments « indispensables » de la division du travail ». Dès lors comment différencier la période de transition de la marche normale du capitalisme ?

    Cette « assignation obligatoire » et transitoire à ne pas pouvoir quitter son emploi, est faite « au nom des nécessités de la division du travail, c’est-à-dire des intérêts de tous : il doit alors y avoir une contrepartie spéciale ». A savoir, nous dit Lordon, un salaire plus élevé.

    Mais qu’est-ce que cette « garantie économique générale », qui oblige -en période de transition- certains individus à tenir certains postes, en lieu et place de « la double tyrannie de la valeur d’échange et de l’emploi capitaliste » dans un monde où il y a toujours des salaires, et donc toujours des marchandises à acheter ? Certains devront absolument garder leur emploi pour que d’autres puissent refuser le leur sans crainte (la fameuse garantie), pour que ce soit le cas pour tout le monde, mais plus tard (la fameuse transition). On n’y comprend pas grand chose, si ce n’est que cette « garantie économique générale » est avant tout du pur verbiage. Prévoir et légitimer, comme le fait Lordon, l’obligation « transitoire » des gens à travailler pour une garantie générale en dit long sur le potentiel politique d’une telle proposition.

    Les incohérences qui en découlent devraient démontrer par l’absurde que les postulats de départ sont à reconsidérer.

    Un des ces postulats est à mon avis la nécessité d’imaginer une alternative générale au capitalisme, imposant d’élaborer une proposition située à un même niveau d’abstraction. D’où les problématiques de division de travail, par exemple, comme si les révolutionnaires devaient obligatoirement prendre en charge l’intégralité de la production capitaliste. La proposition de restreindre la question à la « subsistance » est une tentative pour gagner en concrétude et ne pas prendre le problème par n’importe quel bout. La question alimentaire et agricole est en la matière centrale. Nous y reviendront plus loin.

    J’aurais plutôt envie de questionner la notion même de « garantie ». Sous prétexte que le capitalisme précarise les gens en les soumettant au règne de la valeur marchande, le communisme a-t-il pour but de délivrer l’individu de l’inquiétude de la subsistance et de lui garantir « la plus grande tranquillité matérielle sur toute la vie », comme le dit Lordon (2) ? On le voit, dans le raisonnement absurde de Lordon à propos de la « transition », cette garantie est difficile à concevoir sans de puissants mécanismes de coercition, sinon d’obligation sociale. Il est en effet difficile de vouloir ne pas s’occuper des choses importantes de la vie, sans que d’autres s’en occupent par ailleurs. Et comme il y a des chances que cela ne se fasse pas de façon spontanée, Lordon n’hésite pas à substituer au marché capitaliste de l’emploi des propositions de « transition » aussi bizarres que rédhibitoires pour boucler logiquement un système politique bancal à la base.

    En fait, le communisme ne ressemble certainement pas à une vie de retraité généralisée à tous, comme le laisse entendre Friot, mais plutôt à une vie sociale où les moyens de subsistance essentiels ne sont jamais très loin de tout un chacun. Aussi bien en tant que consommateur qu’en tant que producteur. Si garantie il y a, elle relève bien plus de l’existence de cette « proximité » matérielle et sociale d’un tel socle de subsistance, que de l’abstraction d’un salaire à vie, gros d’une logique d’irresponsabilité à tous les niveaux. Irresponsabilité du consommateur qui en veut pour son argent, irresponsabilité du producteur qui -sans la contrainte capitaliste- a intérêt à en faire le moins possible, irresponsabilité du planificateur qui dispose d’un accès privilégié aux ressources en cas de pénurie.

    En la matière, la façon de produire sa nourriture de façon non-marchande est une source d’inspiration essentielle. Dès lors que des personnes participent sans coercition, dès à présent, au fait de se nourrir et de nourrir les autres, on visualise beaucoup mieux de quoi sera faite une « garantie non-économique générale », qui se passerait du marché de l’emploi capitaliste. L’abolition complète de l’argent et du marché n’est sans doute pas un préalable à cela, mais plutôt une conséquence logique d’une organisation se concentrant sur l’accès à tous aux biens essentiels. Refuser l’économie capitaliste n’impose peut-être pas, en effet, d’abolir l’argent et le marché. Par contre, dès lors que le société s’organise autour de l’accès de tous à la subsistance et à la sa production, nous ne sommes plus dans le cadre d’une société marchande faite de producteurs séparés, et que seule la monnaie ou un autre équivalent général permet de relier. Précisément, comme l’a montré André Orléan, pour des producteurs isolés, l’accès à la monnaie est une question existentielle (3). La valeur abstraite est ce qui caractérise les relations marchandes, comme ce qui motive au plus profond les sujets économiques parce qu’il y va de leur existence même.

    Dès lors, soit on accepte la société marchande dans son principe, et il faut donc accepter que la précarité de l’existence passe par l’accès à la monnaie. Soit on refuse cette forme de précarité comme fondement sociétal, mais alors on ne peut pas rester en société marchande. Il faut inventer autre chose.

    Les propositions du salaire à vie ou de garantie économique générale sont présentées comme l’aboutissement d’une transition post-capitaliste. Au contraire, ne sont-elles pas essentiellement, de même que celles du revenu de base, des solutions précaires et transitoires, qui permettent à une partie de la population de s’extirper du marché de l’emploi, afin de transiter vers des formes de société non-marchandes ?

    Par delà l’actualité contemporaine, gros d’inquiétudes quant à la pérennité de la vie quand diverses limites planétaires physiques sont déjà dépassées, l’existence est précaire et l’a toujours été. En déléguant à un petit nombre d’acteurs la production des biens essentiels, disposant dans les étals de quantités de denrées injustement bon marché, une partie privilégiée du monde a peut-être être eu le sentiment que son existence était garantie. A l’inverse, faire pousser ses propres légumes, s’occuper concrètement de quoi l’on tire sa subsistance, que l’on soit amateur ou professionnel, en bio ou pas, c’est toujours se confronter à maints incertitudes d’un monde non-humain, qu’il s’agisse du climat, des maladies ou des ravageurs.

    Est-ce un privilège que de ne pas être relié à ce monde vivant-là, de ne pas y être un minimum immergé ? Pour la majeure partie de la population, pour qui l’accès à une alimentation saine en quantité suffisante est devenu impossible, cela pourrait bien apparaître comme la question essentielle. Notre objectif n’est plus d’obtenir de l’argent indépendamment d’un emploi, mais de mettre en place un accès inconditionnel à un socle de subsistance. En nature, et non en valeur monétaire. Et de plus, cet accès doit impérativement être couplé à un accès, tout aussi inconditionnel, à son mode de production (4).

    Dès lors, l’accès inconditionnel à un socle de subsistance et à sa production devient une revendication concrète et précise : il s’agit d’accéder aux terres agricoles autour des villes et au-delà, à des savoirs-faire, des moyens matériels, ce qui demande une autre organisation de l’espace compatible avec cet accès, soit une abolition de la distinction entre ville et campagne (5). C’est dans cette optique que le temps arraché au marché de l’emploi a un sens, et c’est dans les marges de l’emploi, et non au centre (6), que s’expérimentent les balbutiements d’un socle de subsistance. C’est d’ailleurs assez logique : comment espérer une validation marchande de pratiques non-marchandes, quand l’économie verrouille toutes les initiatives en vue de prendre soin du vivant ?

    C’est ce mouvement vers une réappropriation de la production alimentaire, par tout un chacun, qui nous paraît constituer un chemin désirable, cohérent, possible.

    Ce socle ne reposera pas uniquement sur une autarcie alimentaire locale (7). Celui-ci devant être articulé avec un fonds commun de réserves et de ressources de sécurité en cas d’urgence. C’est ce que l’on pourrait appeler une cotisation sociale en nature, pour une distribution de l’aide également en nature suivant les besoins. Les institutions existantes de sécurité sociale pourraient donc être une source d’inspiration, non pas pour en étendre le fonctionnement, mais pour le transformer sous une forme pertinente pour notre époque. Il est temps de réfléchir et débattre de la nature marchande, et pas seulement capitaliste, de notre société.

    (1) https://blog.mondediplo.net/transition-dans-la-transition

    (2) https://blog.mondediplo.net/ouvertures

    (3) Monnaie, séparation marchande et rapport salarial, 2006
    http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Monnaie0612.pdf

    (4) C’est par exemple l’objectif des non-marchés de l’association le Jardin de Kodu, inspiré de _Bolo’bolo écrit en 1983. https://kodu.ouvaton.org/?NonMarches http://www.lyber-eclat.net/lyber/bolo/bolo.html

    (5) Pour approfondir cette question, on lira le passionnant article de Jasper Bernes, "Le ventre de la révolution : L’agriculture, l’énergie, et l’avenir du communisme – Jasper Bernes", 2020
    https://choublanceditions.noblogs.org/post/2022/01/13/le-ventre-de-la-revolution-lagriculture-lenergie-et-laven

    (6) Nous partageons ici pleinement les constats faits dans le livre Reprendre la terre aux machines de l’Atelier paysan (2021) de l’impasse de l’agriculture labellisée bio, en tant qu’alternative à l’intérieur de l’économie de marché, intrinsèquement incapable de nourrir toute la population et laissant s’installer une agriculture duale (une chimique pour la majeure partie de la population, une autre plus saine pour ceux qui un pouvoir d’achat suffisant). Pour des raisons économiques, la situation restera bloquée : il ne sera pas possible de sortir de l’agriculture industrielle et chimique dans ce monde marchand. Cependant, les auteurs n’imaginent pas d’autre porte de sortie qu’une captation de la valeur économique par les agriculteurs (au détriment des industries agro-alimentaire et de la distribution), par le biais d’une nouvelle sécurité sociale alimentaire, qui serait une nouvelle branche de la sécurité sociale, à financer par de nouvelles cotisations sociales (proposition directement inspirée de celle du salaire à vie de Friot et Lordon).

    (7) On sait que les flux, en matière alimentaire, sont actuellement totalement irrationnels quels qu’en soient les critères (ils sont rationnels d’un point de vue économique cependant, bien entendu, sans quoi ils n’existeraient pas). Même si chaque territoire a ses caractéristiques propre qui l’amène à s’orienter vers certaines cultures spécifiques, cela ne justifie aucunement le fait que, en France par exemple, n’importe quel territoire autour d’une ville donné alimente à 95 % celui des autres villes.

    #Lordon #Friot #post-capitalisme #post-monétaire #agriculture #subsistance #BoloBolo

  • Un recueil de textes en anglais, par une série d’auteurs allemands (dont Ernst Lohoff) sur le thème post-monétaire.

    Society after money. A dialogue

    https://nach-dem-geld.de/2019/society-after-money-released

    Auteurs

    Everything revolves around money. No individual or collective practice of any kind, no technological or scientific development seems to be conceivable without money. True, money has long been the object of criticism, but the idea of a “post- monetary society” sparks resistance and unease. And yet historical and anthropological studies (e.g. Le Goff 2011; Graeber 2012) show that money has certainly not always occupied the role that it has today—and that it could therefore change its position again. The project “Society After Money” (“Die Gesellschaft nach dem Geld”) was proposed in 2015, and approved for funding as of January 1, 2016 in the framework of the VW funding line “Original—isn’t it?/Constellations.” The aim was, firstly, to initiate dialogue between heterogeneous areas of knowledge, allowing their theories and critiques of money to cast light on each other. The second aim was to think in an open- ended way about the possibility of post- monetary forms of organization and production (cf. also Nelson and Timmermann 2011). But why did this seem relevant to us in the first place?
    In the present time, two self- descriptions overlap: on the one hand, there is talk of a “digital revolution,” a “media society,” “networks,” “Industry 4.0.” On the other hand, the present is described as particularly prone to crises: “financial crisis,” “economic crisis,” “planetary boundaries.” So on the one hand there is the description of radical changes in technology and media, and on the other hand, that of profound social dysfunctions. The project is based on the hypothesis that there is a connection, which can be described as the collision between digital media or digital technologies and the medium of money (in addition to other, older conflicts such as that between monetary accumulation and needs). This becomes clear in two respects. Firstly, it hardly seems possible to represent digital media products in the form of commodities. Digital goods are not scarce, since they can, in principle, be reproduced at will. A knowledge or information society based on money is a contradiction in itself. Secondly, there is increasingly urgent debate about whether universally programmable and therefore versatile digital technologies are not making so much labor superfluous, in all industries, that social reproduction by means of wage labor, i.e. labor in exchange for money, is becoming problematic (these problems are discussed in the article by Peter Fleissner1). These obvious problems with monetary mediation (and older problems relating to this) have repeatedly inspired imaginative selfdescriptions of society, especially in science fiction, which envisage a postmonetary future (see the chapter by Annette Schlemm).
    (...)

    #critique_de_la_société_marchande #post-monétaire

  • Il Lato Cattivo - La #France à la croisée des chemins ? Considérations intempestives sur la réforme des retraites
    https://tousdehors.net/La-France-a-la-croisee-des-chemins-Considerations-intempestives-sur

    Dans ce texte nous chercherons à répondre à la question « Où va la France ? » en nous référant tout particulièrement au projet de réforme du système de retraite (adopté jeudi 16 mars par le recours au 49.3) et au mouvement social qui s’y oppose. Il nous importe surtout de dire ce que les analyses courantes émanant directement du mouvement et de ses soutiens ne disent pas, en essayant de présenter un panorama plus large. C’est pourquoi, avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous semble opportun d’apporter quelques éléments de contexte, généralement peu connus et peu discutés, qui permettent à notre avis de mieux évaluer la signification et les enjeux du conflit, lesquels vont bien au-delà de la stricte question de l’âge de départ à la retraite.

    • Parmi les facteurs qui pourraient effectivement compliquer le financement du système de retraite français dans quelques années, il faut noter qu’à la fin des années 1980, en France, une entreprise qui embauchait un salarié au SMIC était soumise à de taux cotisations patronales s’élevant à 46% du salaire brut, identique en ceci à tous les autres salaires. Aujourd’hui, il varie entre 3 et 7 % selon la taille de l’entreprise. Comme nous l’avons déjà souligné, la politique de compression du salaire brut de certaines catégories de salariés (les moins qualifiés) pour favoriser l’embauche – dictée par l’impératif de l’enrichissement de la croissance en emploi – contribue directement à affamer le système de retraite, le système de santé et les caisses de l’assurance-chômage, car ces emplois ne s’ajoutent pas arithmétiquement à un stock d’emplois donné une fois pour toutes. Ainsi, poursuivre sur la voie d’un modèle de croissance intensif en travail, sans gains de productivité, ne peut que s’avérer incompatible, à terme, avec le système de protection sociale français.

    • Seul un changement rapide au sommet ou un revirement du gouvernement semblent pouvoir étouffer dans l’œuf la radicalisation interclassiste du mouvement, avec tous les avantages et inconvénients de l’affaire : d’un côté, de plus grandes marges d’action autonome par rapport au front syndical ; de l’autre, le risque que l’opposition à la réforme des retraites, avec son contenu économique et son enracinement social dans le prolétariat, se dilue dans une opposition générale à la figure-symbole de Macron.

    • La conclusion :ci-après.

      Texte très économiste sans grand rapport avec la communisation.

      Que la réforme des retraites soit finalement adoptée ou non, le roi est nu : le capitalisme français – s’il veut survivre – devra se montrer capable de se réinventer. Faut-il souhaiter qu’il y parvienne ? Faux problème. Des luttes prolétariennes ou interclassistes minimalement victorieuses, permettant à leurs protagonistes et à leurs semblables de reprendre confiance en leurs propres forces, créent aussi les conditions du réformisme – qu’on le veuille ou non. C’est contre le réformisme (formel ou informel) qui émerge des luttes que le capital formule le sien, en intégrant du premier les éléments qui lui sont utiles. Et lorsque le spectre des forces parlementaires ne parvient pas à en être l’interprète, d’autres forces le prennent en charge (l’histoire française le démontre suffisamment). Cela vaut, en principe, au moins les aires capitalistes centrales. Une crise sociale qui ne comporte pas aussi de solution réformiste n’est qu’une crise sans issue, sans éléments endogènes de résolution. De telles crises sont aujourd’hui une réalité quotidienne dans les aires périphériques de la planète. Si l’on devait s’apercevoir un jour qu’un pays comme la France (ou la Grande-Bretagne, pour n’en citer qu’un autre touché par des vagues de grèves à l’heure actuelle), jusqu’ici considéré comme un important pôle d’accumulation, est en proie à une telle crise, cela signifierait que le processus de périphérisation est presque irréversible, et en tout cas beaucoup plus avancé et profond que ce que suggèrent l’observation à la surface ou les indicateurs économiques officiels. Et dans ce cas, les Français, qui aiment à se voir comme une grande nation rayonnant sur les continents, se verraient réduits au rang de ce que notre « général », Friedrich Engels, appelait les peuples sans histoire. Ironie à part, la question est théoriquement stimulante, car dans l’histoire du mode de production capitaliste jusqu’à nos jours, rares sont les exemples de pays qui, ayant accédé au statut d’aire centrale, l’ont durablement abandonné. Mais l’avenir, même sur ce plan, promet de nous réserver des surprises... surtout en Europe.

  • De l’incertitude scientifique à l’ignorance stratégique
    Gwenola Le Naour & Valentin Thomas
    octobre 2022

    Cette ignorance institutionnalisée résulte le plus souvent de l’articulation entre des stratégies bien comprises de la part de différents acteurs (économiques), dont le manque d’information sur un risque permet de ne pas engager la responsabilité (McGoey 2012), et du fonctionnement ordinaire de normes et espaces scientifiques et réglementaires.

    Comment ces logiques opèrent-elles dans la région Rhônes-Alpes ? Formulé autrement, comment comprendre la persistance, au sein d’un territoire pollué, d’un tel « non-problème » de santé publique (Henry 2021) ? Il est possible de donner quelques éléments de réponse en regardant de près le contenu des rares rapports (co)produits par les acteurs publics et économiques privés sur les risques industriels et sanitaires dans la région.

    (...)

    Le rapport s’appuie en effet sur des Valeurs toxicologiques de référence (VTR), instruments standards de gestion du risque, dont les fondements reposent essentiellement sur l’extrapolation aux humains des résultats obtenus sur des animaux. Or, l’interprétation qui est faite de ces études de toxicologie animale dépend des protocoles et des rapports de pouvoir à l’œuvre dans les sous-espaces scientifique et réglementaire au sein desquels elles circulent et sont discutées (Thomas 2021). Telles qu’elles sont réalisées et interprétées pour élaborer ces Valeurs toxicologiques de références, ces études expérimentales ignorent ainsi les effets de deux éléments essentiels qui caractérisent les expositions humaines : les expositions répétées à des faibles doses de produits toxiques, et l’exposition à plusieurs substances à la fois ou de façon consécutive, parfois appelée « cocktail d’expositions » (Dedieu et Jouzel 2015). On voit bien là comment les intérêts directs de certains acteurs économiques privés se trouvent mis à l’abri par les savoirs routiniers des politiques réglementaires, sans qu’il y ait nécessairement besoin d’intervention de leur part.

    https://metropolitiques.eu/De-l-incertitude-scientifique-a-l-ignorance-strategique.html

    #pfas #lyon #pollutions-chimiques

  • Travail, retraite : par où la sortie ?

    On fait semblant d’y croire. On fait semblant de manifester contre une réforme, alors que ce qu’on voudrait -si on osait- c’est manifester contre le travail.

    Car, désolé, il n’y a pas d’autres manières d’exprimer clairement les choses. Être contre le travail aujourd’hui, c’est affirmer l’évidence de cet immense chantier devant nous, pour tout remettre à l’endroit. Un chantier impossible à entamer si on reste comme des imbéciles à courir après le fric. Car, aujourd’hui, où que l’on regarde, rien de constructif pour les humains et le vivant n’est finançable.

    https://rebellyon.info/Travail-retraite-par-ou-la-sortie-24526

  • Des centaines d’agriculteurs en tracteur manifestent à Paris après la décision du gouvernement de renoncer à autoriser les insecticides néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière.

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/08/interdiction-des-neonicotinoides-des-agriculteurs-manifestent-a-paris-contre

    A l’arrière de son tracteur, une pancarte « Macron menteur, oui aux NNI [néonicotinoïdes], oui au sucre français ».

    Miam le bon sucre !

    #néonicotinoïdes

    • Apparemment certains producteurs venaient juste de renouveler un contrat de 5 ans avec engagement de production.
      Il faut dire que le gouvernement comptait bien continuer à les autoriser à utiliser les néonicotinoïdes, avec une consultation publique en ce sens.

      « Je n’ai pas vu venir l’interdiction et si j’avais su, j’aurais révisé à la baisse mon contrat avec Tereos [ce groupe coopératif sucrier possède 44 sites industriels dont plus d’une dizaine dans les Hauts-de-France, et rassemble 12 000 associés coopérateurs pour un chiffre d’affaires de 5,1 milliards d’euros en 2021-2022]. Ces contrats, qui portent sur cinq ans, devaient être renouvelés avant le 31 décembre 2022 et l’interdiction par le gouvernement des néonicotinoïdes est tombée le 23 janvier. Je ne sais pas ce que je vais faire. En 2022, alors que leur usage était autorisé, par dérogation, j’ai pu faire 97 tonnes l’hectare. En 2020, quand ils étaient interdits, j’ai eu une perte de 10 % à 20 % », raconte l’agriculteur.

      https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/08/apres-l-interdiction-des-neonicotinoides-les-cultivateurs-de-betteraves-du-p

      Avant 2017 et depuis 1968, les producteurs de betteraves à sucre européens bénéficiaient d’un temps socialement nécessaire plus long que leurs concurrents via des quotas et des prix garantis.

      Avec la réforme de la PAC, tout s’arrête, mais le syndicat unique de la filière, la CGB, était optimiste avec un plan de hausse de la production de 20% et même une hausse de la productivité à l’hectare, pour exporter plus.

      La fin des quotas sucriers ouvre un boulevard pour la France, premier producteur européen de sucre. (2017)

      https://www.usinenouvelle.com/article/vers-une-production-record-de-betteraves-et-de-sucre-en-france.N62457

      Le temps socialement nécessaire (sur le marché mondial) pour produire une tonne de betterave est maintenant ~ de 2h par tonne avec un salaire horaire au SMIC (22€/t), et était de 2 h 15 du temps des quotas. Il faut donc gagner 15 min par tonne de betteraves pour continuer à produire de la betterave, par tous les moyens !

      Normal que les néonicotinoïdes soient indispensables pour produire de la valeur avec des betteraves à sucre. Tous les arguments les plus fallacieux sont bons pour justifier a posteriori cette production de valeur absurde, alors que le sucre n’est même indispensable à l’alimentation humaine, et qu’il cause diabète et obésité à travers le monde.

      Le discours du syndicat des producteurs de la betteraves, et des députés RN qui sont venus les soutenir, est de tout faire pour produire une tonne de betterave en 2h.

      https://twitter.com/MarionMarechal/status/1623343547914113026?s=20&t=_ekX1Lhl1lNCqkZ_FB5R4Q

      #critiquedelavaleur

    • Néonicotinoïdes : les capitalistes du sucre à la manœuvre

      [...] Le prétexte invoqué était que les #néonicotinoïdes représentaient la seule solution pour protéger leurs cultures contre la jaunisse, une grave maladie de la betterave transmise par les pucerons, qui peut diminuer fortement les #rendements, comme ce fut le cas en 2020.

      Il existe en fait des alternatives aux néonicotinoïdes, comme l’utilisation d’autres #insecticides, moins efficaces mais moins dangereux, ou bien la pratique de techniques culturales différentes, mais elles ne garantissent pas d’obtenir des rendements maximums chaque année. C’est là que le bât blesse car, pour les producteurs de #betteraves_à_sucre, des rendements élevés chaque année permettent de compenser les bas prix auxquels ils vendent leur #production.

      En effet ces #agriculteurs sont complètement inféodés aux groupes de l’industrie du sucre, comme le groupe coopératif ­#Tereos – qui n’a de coopératif que le nom –, qui achète les betteraves à sucre à 12 000 agriculteurs adhérents en France, en assure la transformation en sucre, amidon ou éthanol, intervient dans le monde entier et vient de réaliser plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

      Depuis la fin de la réglementation du secteur sucrier en Europe, survenue en 2017, les tarifs proposés par les industriels aux producteurs ne sont plus garantis par les États. Les capitalistes peuvent ainsi mettre en concurrence les betteraviers européens avec les agriculteurs du reste du monde (Brésil, Inde…) et pousser les prix à la baisse. Si la production européenne de la betterave est actuellement en crise, c’est du fait de la rapacité des industriels sucriers, et ce n’est pas l’utilisation de tel ou tel insecticide qui résoudra le problème.

      Le gouvernement semble pour le moment ne pas vouloir revenir sur sa décision d’appliquer l’interdiction des #nicotinoïdes à la betterave à sucre. Mais il n’en a pas pour autant terminé avec sa politique d’aide aux #betteraviers, qui finit immanquablement par bénéficier aux capitalistes du secteur. Le lendemain de la manifestation, il a annoncé que toutes leurs pertes seront indemnisées si la jaunisse frappe en 2023, une réactivité immédiatement saluée par le groupe Tereos.

      https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/02/15/neonicotinoides-les-capitalistes-du-sucre-la-manoeuvre_50496

      #capitalisme #indemnisation

    • Une critique intéressante de la promesse de substitution aux pesticides.

      Y a-t-il une alternative aux pesticides ?
      Alexis Aulagnier, 2021

      https://laviedesidees.fr/Y-a-t-il-une-alternative-aux-pesticides.html

      Suite à l’annonce du lancement d’Ecophyto, le ministère de l’Agriculture charge l’INRA de la rédaction d’une étude, intitulée Ecophyto R&D, qui doit identifier des scénarios de réduction de l’usage des pesticides et des solutions concrètes pour atteindre un objectif de réduction de moitié.
      (...)
      Les signataires de l’étude sont catégoriques : une réduction de 50% de la consommation de pesticides ne pourra passer que par une transformation en profondeur des exploitations agricoles. La publication de cette étude installe un horizon systémique pour les politiques publiques de réduction de l’usage des pesticides.
      (...)
      Pour le petit groupe d’agronomes chargés de mettre en place une première version du réseau Dephy, il est clair que cet instrument sera un lieu d’expérimentation pour les approches systémiques de l’agronomie. Ils insistent sur la nécessité de conduire des expérimentations systémiques, c’est-à-dire d’engager autant que possible les exploitations dans une reconception de leur organisation.
      (...)
      Le réseau Dephy devient le lieu d’un affrontement entre deux conceptions très différentes de l’agronomie et des savoirs que cette discipline doit produire pour accompagner la réduction de l’usage des pesticides. D’un côté, les agronomes systèmes entendent former des conseillers très qualifiés pour en faire les intermédiaires de transformations systémiques. De l’autre côté, la direction scientifique de l’institut souhaite avant tout rassembler un grand nombre de données pour favoriser l’identification de méthodes ou pratiques économes standardisées, puis en favoriser la diffusion. Elle prend des distances avec la notion de système puisque sa priorité est de mettre à jour des méthodes dont l’efficacité puisse être estimée en dehors d’un contexte particulier.
      (...)
      Des représentants de ces deux approches cohabitent temporairement, mais les tensions deviennent telles que la direction scientifique de l’institut prend la décision à la fin de l’année 2010 d’écarter les défenseurs des approches systèmes, accusés de se montrer inflexibles.
      (...)
      Cette inflexion s’incarne particulièrement dans l’émergence d’un nouveau levier d’action pour le plan Ecophyto : la mise au point et la promotion de substituts aux pesticides.

      L’intenable promesse de la substitution

      Très rapidement, les résultats du plan Ecophyto apparaissent comme extrêmement décevants. Alors que c’est une réduction de moitié qui était ambitionnée, les indicateurs de consommation sont à la stagnation, voire à l’augmentation dès l’année 2010. Les pouvoirs publics cherchent alors de nouvelles directions pour le plan Ecophyto. C’est dans ce contexte que le ministère de l’Agriculture s’intéresse à une solution nouvelle pour le plan : le développement des solutions de biocontrôle.
      (...)
      Un rapport consacré à ces méthodes est commandé par François Fillon, alors Premier ministre, à un député de sa majorité. La publication de ce document, à la tonalité très optimiste, installe le développement de substituts aux pesticides comme une réponse aux difficultés du plan. Lors de l’arrivée au pouvoir de Stéphane Le Foll en 2012, l’enthousiasme autour de ces méthodes ne se dément pas, bien au contraire.
      (...)
      Le développement des méthodes de biocontrôle présente enfin l’avantage de s’opposer aux approches systémiques, régulièrement taxées d’irréalistes par les organisations professionnelles agricoles. Face à la perspective lointaine et ambitieuse d’une reconception des exploitations, la promesse de la mise à disposition de substituts directs aux pesticides permet aux services du ministère de se montrer volontaires et concrets. Les solutions de biocontrôle, initialement marginales dans le plan Ecophyto, deviennent un leitmotiv dans la communication gouvernementale et sont opposées aux critiques adressées à l’égard du plan.

      Malgré cet enthousiasme politique, la déferlante de solutions alternatives n’a pas lieu et la substitution en tant que registre d’action n’éclipse pas la nécessité d’une réflexion sur le fonctionnement des exploitations. Les promoteurs mêmes du biocontrôle ne présentent pas ces solutions comme de stricts substituts. Une société savante, l’Académie du biocontrôle, est créée par des acteurs gravitant autour de l’IBMA. Elle rassemble des experts de ces méthodes issus de différents secteurs et propose notamment des formations à l’usage des méthodes de biocontrôle. Ses formateurs insistent sur l’incapacité des méthodes de biocontrôle à être utilisés comme des pesticides de synthèse et raccrochent ces solutions à la nécessité d’une réflexion de fond autour de la protection des plantes.

      Conclusion

      (...)
      la promesse de substitution est porteuse de forts effets de cadrage. Si ce levier d’action est privilégié par les pouvoirs publics, c’est parce qu’il permet de délaisser ou retarder des transformations plus profondes à la fois des exploitations et du modèle de développement agricole. Il produit en ce sens un effet dépolitisant. Les promesses de substitution sont nombreuses dans le champ de l’écologie : développement des énergies renouvelables, remplacement des voitures à moteur thermique par des véhicules électriques, etc.
      (...)
      De nombreux travaux en sciences sociales s’intéressent aux rapports d’affinité qui peuvent exister entre certaines connaissances et l’exercice de l’action publique. Les récents travaux sur l’enthousiasme politique autour du nudge sont à cet égard significatifs (Bergeron et al., 2018). Ils montrent comment des savoirs et méthodes venus des neurosciences sont aisément mobilisés dans l’action publique, en ce qu’ils sont porteurs d’une vision individualisante de problèmes publics. Mobiliser ces connaissances et les incarner dans des instruments permet d’éviter de s’attaquer à la racine collective de problèmes aussi divers que la malnutrition ou le réchauffement climatique. Un phénomène similaire de sélection de savoirs a eu lieu dans le cadre du plan Ecophyto : les options de l’identification de méthodes standardisées, puis celle de la substitution ont été favorisées puisqu’elles permettaient d’éviter les réflexions organisationnelles et structurelles liées à la mobilisation de connaissances systémiques.

      #agriculture #pesticides #plan-Ecophyto

  • Des œufs prélevés dans des poulaillers de particuliers contaminés par des polluants PFAS dans le Rhône

    La préfecture du Rhône a mis en garde, mardi 17 janvier, contre le taux élevé de substances polyfluoroalkylées et perfluoroalkylées (PFAS) retrouvées dans des œufs prélevés dans des poulaillers de particuliers à Oullins et Pierre-Bénite, au sud-ouest de Lyon, appelant à ne pas les consommer.

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/01/18/des-ufs-preleves-dans-des-poulaillers-de-particuliers-contamines-par-des-pol

    Heureusement l’Etat a dit à l’usine Arkema qu’elle avait jusqu’à fin 2024 pour arrêter la production des PFAS. En même temps, rien ne presse, c’est des polluants éternels !

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/12/17/des-militants-d-extinction-rebellion-penetrent-sur-un-site-arkema-pour-denon

    #PFAS

  • Utilité sociale ou valeur ?

    L’année dernière, un numéro de la revue Sociologie du travail était consacré à l’utilité sociale, dont beaucoup d’observateurs ont relevé qu’elle n’était pas corrélée au revenu monétaire, bien au contraire.

    https://journals.openedition.org/sdt/40619

    Voilà la conclusion de l’article de Robert Boyer :

    Ainsi, la reconnaissance du principe de l’utilité sociale n’est en rien un amendement marginal à une économie de marché : c’est plutôt une alternative, en fait assez radicale. La valeur accordée à la vie humaine devrait se répercuter dans la rémunération de tous les actifs qui contribuent au bien-être de la population. Mais la logique ne suffit pas à fonder un mode de développement car les choix politiques importent comme le montre la nouvelle présidence américaine. Une couverture sociale à vocation universelle peut-elle être le fondement d’une économie centrée sur l’innovation ? La fiscalité peut-elle être mobilisée pour redistribuer les rentes des monopoles, et ainsi mettre fin à la socialisation des risques et privatisation des profits ? Quelles sont les innovations organisationnelles qui permettraient l’épanouissement du mode de développement anthropogénétique ? Les luttes sociales et politiques décideront car nul impératif catégorique ne s’impose.

    Un autre article, de Maud Simonet, traite de différentes luttes contre le travail gratuit dans une perspective féministe.

    https://journals.openedition.org/sdt/40913

    Toutes ces critiques et propositions visant à mieux rémunérer certains emplois, ou même à rémunérer le travail gratuit, reposent sur le postulat qu’il est possible, à l’intérieur de l’économie marchande, de décider des logiques qui gouvernent le niveau de rémunération, ou encore ce qui est rémunéré et ce qui ne l’est pas. En somme, la valeur économique des activités serait une convention sociale, qu’il serait possible de modifier, par une entente des parties prenantes, sinon par des luttes sociales.

    Il me semble au contraire que la prémisse marchande -valoriser l’activité humaine par une contrepartie monétaire- est lourde de conséquences sur ce qu’il possible de valoriser ou non, monétairement, et à quel niveau.

    Les tâches qui peuvent être mécanisées, dont on peut améliorer la productivité, sont spécialement intéressantes dans une économie marchande, puisqu’elle permettent de gagner plus d’argent pour le même effort (le même temps de travail).
    Les autres tâches, celles qu’il n’est pas possible de faire plus rapidement (sauf à les dénaturer), sont moins intéressantes, surtout celles dont les compétences nécessaires ne sont pas rares.

    Ainsi, prendre soin d’une personne dépendante fait partie des tâches non-mécanisables. Tandis que créer des systèmes informatiques permettant à une seule personne de surveiller plusieurs personnes âgées dans un Ephad est une tâche mécanisable.

    Finalement, pour valoriser les tâches non-mécanisables au détriment des tâches mécanisables, il faut aller contre l’intérêt qu’il y a à gagner plus d’argent, alors que l’argent représente la richesse même, « cette chose qui ne sert à rien que de pouvoir obtenir de quoi servir à tout ». Il faut finalement s’extraire d’une logique sociale qui fait d’un bien particulier l’objet d’un désir généralisé.

    C’est finalement contradictoire dans les termes : vivre dans une société marchande et ne pas y vivre. C’est pourtant ce que nous enjoignent à faire les auteurs qui entendent sortir de l’économie de marché (dont les effets absurdes et destructifs sont maintenant suffisamment visibles), sans sortir de l’économie marchande.

    #utilité-sociale #travail

  • Aurélien Barrau à Supelec : a-t-on encore besoin d’ingénieurs ?
    Si vous avez déjà écouté AB, vous savez sa réponse.

    Mais ici une personne lui reproche de ne pas parler de capitalisme :

    https://youtu.be/r9vrU9g893o?t=3684

    La réponse de AB est assez décevante et même incohérente avec son discours qui enjoint à chercher des causes systémiques. L’URSS n’était pas communiste dit-il, mais n’était pas capitaliste non plus. Ce qui est faux. La loi de la valeur y existait tout aussi bien que dans les régimes capitalistes de marché : elle dit que la valeur d’une marchandise est fonction du temps socialement nécessaire à sa production. Cette loi entraîne mécaniquement, à chaque changement technologique, l’obligation de produire quantitativement plus de marchandises, à quantité de valeur identique.

    Ce n’est donc pas la technologie toute seule qui détruit le vivant, mais la technologie au sein d’une société où vendre son temps de travail est devenu la norme, à partir de laquelle émerge obligatoirement la valeur comme temps socialement nécessaire.

    On n’a pas besoin d’ingénieurs pour sortir de cette spirale d’autodestruction du vivant, c’est vrai. Mais ce n’est pas suffisant : il faut aussi inventer des formes sociales non capitalistes, donc remettre en cause l’évidence qu’il faille payer les gens quand ils rendent des services aux autres.

    #AurélienBarrau #critiquedelavaleur

  • Pourquoi donner quelque chose contre rien ?
    Alvin W. Gouldner
    Revue du MAUSS 2008/2 (n° 32)

    Un article passionnant qui traite de ce que l’auteur, Alvin W. Gouldner, nomme la norme de bienfaisance (nous devons donner ou recevoir l’aide dont on a besoin, contre rien), par opposition à la norme de réciprocité (nous devons aider ceux qui nous viennent en aide)

    Quelques extraits pour donner envie (mais ça vaut le coup de tout lire) :

    Il n’est pas excessif d’affirmer que bien peu de sociétés autres que la nôtre ont voué un tel culte à cette idée selon laquelle l’homme n’a droit qu’à ce qui lui est dû. Le marché ne constitue-t-il pas l’une des institutions les plus rationnelles que l’histoire ait développée pour assurer la combinaison des prestations réciproques entre les personnes ? Ne confie-t-elle pas non pas aux hommes, mais à un mécanisme impersonnel le soin de déterminer ce qui revient à chacun au regard de sa contribution propre ? Qu’un tel mécanisme n’ait pas suffi à instaurer la paix dans le monde industriel est un fait historique indéniable qui, en partie, montre bien les insuffisances de la norme de réciprocité ou de la conformité aux droits statutaires pour maintenir la stabilité des systèmes sociaux.

    (...)

    Lorsque l’on analyse la fonction de maintien des systèmes sociaux qu’exercent les normes de bienfaisance, l’une d’entre elles mérite une attention toute particulière. La norme de bienfaisance peut en effet constituer un mécanisme permettant de briser les cercles vicieux de la réciprocité. Il est fréquent, dans les systèmes sociaux régis par la norme de réciprocité, qu’une aide non retournée soit ressentie et de fait communément considérée comme un comportement hostile. Cela conduit souvent le partenaire lésé à rendre la pareille, ce qui, par voie de conséquence, conduit l’autre à se comporter de manière hostile, et c’est ainsi que leur interaction s’enferre dans un jeu de représailles et de conflits mutuels inextricables, au point qu’ils deviennent totalement étrangers l’un à l’autre. Il est extrêmement difficile de mettre un terme à de tels cercles vicieux. L’un des seuls moyens de s’en extirper consiste à faire preuve de magnanimité : l’un des partenaires doit « tendre l’autre joue », « tourner la page ». C’est justement cette magnanimité que la norme de bienfaisance encourage. En effet, dès lors qu’une telle norme est explicitée et reconnue, toute personne qui la fait sienne pourra « passer l’éponge » sans pour autant se considérer comme faible ou lâche. Elle pourra même, au contraire, penser qu’elle est d’une certaine façon supérieure et (du moins moralement) plus forte que son partenaire.

    Ce qui prend ici l’apparence d’une manifestation spontanée de magnanimité, résultant des motivations personnelles d’un individu singulier, a donc pour origine une norme culturelle. Lorsque quelqu’un passe pour être capable de s’extraire de tout un ensemble de forces sociales contraignantes qui l’enferment dans de tels cercles vicieux, de ne pas rendre coup pour coup, insulte pour insulte, il est souvent, et à juste titre, considéré comme quelqu’un qui possède des qualités personnelles hors du commun, comme s’il avait l’étoffe d’un héros. Il apparaît comme le héros de l’interaction. Sans pour autant minorer la signification et la valeur individuelle d’un tel acte – car tous les individus ne saisiront pas de telles opportunités avec le même empressement et le même courage –, reste que c’est avant tout le code moral, à travers sa dimension de bienfaisance, qui donne à l’individu, par ailleurs disposé à en faire usage, la force de s’arracher lui-même librement à de tels cercles vicieux.

    Les normes de bienfaisance servent également de « mécanisme de démarrage », en contribuant à initier les interactions sociales. Dans mon article précédent, je suggérais que la norme de réciprocité peut par elle-même jouer ce rôle dans la mesure où elle permet de moins hésiter à faire le premier pas. De façon comparable, mais avec plus de force encore, les normes de bienfaisance sont susceptibles d’exercer un tel rôle. En effet, elles incitent l’individu à donner sans que son geste soit motivé par la perspective d’une prestation en retour. On pourrait à cet effet recourir à une analogie un peu facile : la norme de bienfaisance est la clé de contact qui met en mouvement le mécanisme de démarrage – la norme de réciprocité –, qui à son tour fait tourner le moteur – le cycle des échanges mutuels. Mais si cette analogie peut sembler un peu approximative, c’est parce qu’il existe une interaction continue entre les normes de bienfaisance et de réciprocité.

    https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2008-2-page-65.htm

    #Gouldner #don #antiutilitarisme

  • Un article paru sur le site dedefensa affirme, à propos de Poutine :

    qu’il lui est très difficile d’accepter le fait que son pays est en guerre

    https://www.dedefensa.org/article/deconstruction-reconstruction-de-poutine

    Au delà de l’effet comique de cette affirmation - si on lui accole la vision d’un mouvement de troupes sans doute involontaire d’une armée de 100.000 hommes traversant une frontière - cet article m’a interpelé sur la facilité avec laquelle, de part et d’autre, beaucoup choisissent un camp grâce à une grille d’analyse toute prête, sans même apercevoir les absurdités qui en découle.

    Lire les propos pour moi aberrants de dedefensa m’aide à relativiser le sérieux avec laquelle un média comme Le monde répond aujourd’hui à un lecteur qui se demande pourquoi l’Allemagne refuse d’envoyer des chars à l’armée ukrainienne :

    Olaf Scholz a également insisté sur la nécessité d’éviter une confrontation directe entre la Russie et l’OTAN, or Moscou pourrait considérer la fourniture de telles armes comme une implication directe dans le conflit.

    #poutine #otan #dedefensa #lemonde

    • Même si je n’ai pas forcément envie de défendre bec et ongles « De Defensa », je note que la citation est extraite d’une autre citation d’Alexandre Mercouris (le rôle de DD se « limitant » à commenter Mercouris).
      Je cite le site (!) (en coupant) la suite qui permet de comprendre le raisonnement, qui est clairement plus complexe que ce que laisse entendre la citation reprise en extrait :

      « Mercouris développe son approche d’abord en parlant de l’évolution de la situation sur le terrain, avec constamment la patte de Poutine à partir de Moscou, signe de son attention excessive (...) Les arguments externes ne sont pas oubliés, surtout celui de ne pas mener une guerre trop brutale pour ne pas compromettre le rassemblement diplomatique et géopolitique autour de la Russie. Poutine a été aussi brillant dans ce domaine qu’il a été hésitant et fort incertain sur la conduite de la guerre. »

      Quant à la seconde partie de ta réflexion (Le Monde et l’Allemagne), désolé mais je n’ai pas bien compris !

  • « Notre système de retraite actuel empêche indirectement des millions de chômeurs de retrouver un emploi » Jérôme Mathis, Professeur d’économie

    Or les cotisations patronales et salariales gonflent considérablement le coût du travail. Un serveur de café qui gagne par exemple 1 600 euros net par mois coûte 3 200 euros à son patron, soit le double.
    (...)
    Une bonne partie de cet écart provient des sommes ponctionnées par les caisses de retraite. Ainsi, un professeur des écoles avec cinq ans d’ancienneté (dont le salaire net est de 1 750 euros) verse l’équivalent de son salaire net au seul financement des retraites. Ce ratio est même supérieur pour un professeur certifié hors classe en fin de carrière (dont le salaire net est de 2 900 euros) puisqu’il procure chaque mois plus de 3 000 euros aux caisses de retraite.

    C’est faux non ?

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/18/notre-systeme-de-retraite-actuel-empeche-indirectement-des-millions-de-chome

    #retraites #cotisations-sociales

    • En France
      https://www.toutsurmesfinances.com/retraite/retraite-les-taux-des-cotisations-des-salaries.html#Taux_des_cot

      Taux de cotisation 2021-2022 à l’assurance vieillesse plafonnée 15,45%
      Pour un salaire entre 1 et 3.428 euros bruts par mois 

      employé : 6,90%  patron 8,55%

      En Allemagne
      https://www.deutsche-rentenversicherung.de/Rheinland/DE/Presse/Pressemitteilungen/2021/211208_rentenwerte.html

      Beitragssatz weiterhin 18,6 Prozent, Beitragsbemessungsgrenze 2022 (plafonné à) € 7.050

      https://www.imacc.de/rentenversicherungsbeitrag-rentenversicherung-beitragssatz

      Rentenversicherung (allgemein) 18,6 % , Arbeitnehmer: 9,3 % Arbeitgener 9,3 %

      On découvre la différence essentielle v : En Allemagne un employé profite de ses propres cotisations et de celles de son employeur jusqu’à un salaire de € 7.050 alors qu’en France ce n’est le cas que pour un salaire maximum de € 3.428 brut. Pour arriver à une comparaison à peu près juste il faudrait encore comparer le montant de la retraite après tant d’années de cotisations.

      #retraites #France #Allemagne #cotisations

    • Mais notre économiste a pris l’exemple d’un fonctionnaire d’Etat où apparemment c’est bien ces taux qui s’appliquent (et qui sont bien plus élevés que ceux du secteur privé (1)) :

      11,10 % (part dite salariale) + 74,28 % (part dite patronale)

      https://retraitesdeletat.gouv.fr/professionnels/linformation-des-employeurs/les-taux-de-contributions

      (1) Sur une ancienne fiche de paie dans le privé, je vois que pour 1145 net il y a 417 qui vont aux retraites, soit 36% au lieu des 85% pour le fonctionnaire d’Etat.

    • pour 1145 net il y a 417 qui vont aux retraites

      Il y a sans doute une erreur d’interprétation de ces chiffres car le taux officiel pour 2022 en France est de 15,45%.

      Ne croyez pas les apôtres de la réforme des retraites. Ils sont prêts à tout pour faire passser les mesures d’appauvrissement, on l’a bien vu en Allemagne où un petit employé municipal a perdu à peu près 50 pour cent de sa retraite par rapport à ses prédécessurs arrivés à l’age de la retraite il y a 25 ans.
      Au pourcentage réduit de la retraitre par rapport au salaire de vie s’ajoutent les pertes en retraites complémentaires subventionnées à l’époque. Pour les berlinois (de l’Ouest) il faut ajouter la perte des avantages qu’on allouait aux braves gens de la ville frontière contre le communisme.
      Leur compagnons d’infortune de Berlin Est ont vu leurs droits de retraite réduits par l’introduction de la Deutsche Mark à un taux trop élevé sans compensation.
      En fin de compte 50 pour cent des retraités à Berlin touchent une retraite en dessous du montant des aides sociales (Gundsicherung im Alter). C’est le destin que le gouvernement Macron prépare aux les Francaises et Francais.

      Bref, là tous les retraités ordinaires sont dans la merde.
      Je parle en connaissance de cause.

    • Il y a sans doute une erreur d’interprétation de ces chiffres car le taux officiel pour 2022 en France est de 15,45%.

      Oui mais c’est un taux qui s’applique sur le salaire brut (dans mon cas 1512€). Il faut aussi ajouter les cotisations sécurité sociale déplafonnée (0,4%+1,9%) et dans mon cas la complémentaire tranche 1 (4%+6%).

    • Je donne ma langue au chat. Chez nous il y a les charmants collégues spécialistes de la question pour tout nous expliquer dans le détail.

      https://berlin.service-verdi.de

      Wir bieten unseren ver.di-Mitgliedern in Berlin ein umfangreiches Angebot an kostenlosen Beratungen zu folgenden Themenbereichen an, die von ehrenamtlichen Beratungsteams durchgeführt werden.

      Arbeitslosengeld I
      Bürgergeld
      Grundsicherung im Alter & Wohngeld
      Rentenfragen & VBL
      Schwerbehinderung

       :-)k++

    • @deun on dirait que le mec mélange un peu privé et public. Dans le privé, c’est vrai qu’un salaire de 1500 euros nets dans la poche du salarié « coûte » en gros le double au patron, soit environ 3000 euros qui sortent de la poche de l’entreprise ; en revanche, la répartition du coût total qu’il donne est fantaisiste - à mon avis, et pour le privé au moins.

      Sur 3000 euros qui sortent de la poche de l’entreprise, y a :
      – le net pour le salarié = 1500
      – l’impôt sur le revenu à la source (selon taux fourni par le fisc)
      – les charges salariales = a.) sécu et b.) caisses de retraite
      – les charges patronales = idem, a.) sécu, b.) caisses de retraite
      – les assurances mort obligatoires
      – la mutuelle d’entreprise obligatoire
      – la cotisation chômage

      dans le tas, la retraite (régime général + caisse complémentaire) représente certainement le plus gros poste - suivi de près par la sécu - mais jamais ça fait 1500 euros ;

      sur un bulletin de salaire à 1500 euros nets :
      – retraite : part salarié = 220, patronale = 350
      – sécu (santé) : part salarié (CSG/RDS) = 200, patronale = 310

      soit un total "retraite" salarié+patron = 570

    • Dans le privé, c’est vrai qu’un salaire de 1500 euros nets dans la poche du salarié « coûte » en gros le double au patron, soit environ 3000 euros qui sortent de la poche de l’entreprise

      Euh non, pas vraiment :

      Les cotisations sociales sont constituées d’une part patronale qui n’apparaît pas sur les fiches de salaires et d’une part salariale qui y apparaît et dont le montant est la différence entre le salaire brut et le salaire net. La part patronale contient des cotisations de santé, de chômage, d’allocations familiales et d’assurance vieillesse. Le montant des charges patronales se situe entre 25% et 42% du salaire brut duquel on soustraie encore 23% à 25% de charges salariales pour obtenir le salaire net que perçoivent les salariés.

      (source : https://www.l-expert-comptable.com/a/532287-montant-et-calcul-des-charges-patronales.html)

      La part salariale ne sort pas de la poche des patrons d’entreprises. Elle est déduite du salaire brut, donc elle sort de la poche de l’employé·e.

      Dans l’exemple que tu donnes sur la cotisation retraite, c’est 350 € qui sort de la poche de l’entreprise et 220 € de la poche du salariée.
      Après, ce que l’on compte comme masse salariale, c’est la somme totale salaire net + cotisations patronales + cotisations salariales. Mais c’est fallacieux (normal, c’est de la compta), car la part salariale (versée à l’URSAFF par l’entreprise) n’est pas versée aux salarié·es.

    • Oui, la distinction entre cotisation salariale et cotisation patronale n’a pas de sens. Quand on est employeur et qu’on verse un salaire, on paie le tout à l’Ursaff en un seul paquet, point. Il y a pas d’histoire de poches du salarié ou du patron, c’est la même poche et c’est un versement obligatoire.

      Concernant l’article de Monde c’est quand même un peu la honte de laisser paraître des erreurs aussi grossières concernant la part des prélèvements dédiés aux retraites.

    • Certes. D’aucuns diront que les cotisations salariales, c’est du salaire « différé ». C’est à dire que les cotisations servent (normalement) à fournir des services à ces salariés : santé, retraite, assedic, allocations familiales ... Quant aux cotisations patronales, non, ce n’est en aucun cas de l’extorsion. Faut-il y voir une participation du patronat à la « maintenance » de la « force reproductive du capital » ? Là, c’est un autre débat. Quoique ...

    • @deun

      la distinction entre cotisation salariale et cotisation patronale n’a pas de sens.

      oui, cette distinction n’a tellement pas de sens que c’est affiché en GROS sur les bulletins de salaire depuis que j’en ai.

      @sombre

      La part salariale ne sort pas de la poche des patrons d’entreprises. Elle est déduite du salaire brut, donc elle sort de la poche de l’employé·e.

      ça c’est un point de vue un peu virtuel, paske celui qui sort les soux, au final, c’est l’entreprise ; perso, j’ai jamais touché un salaire brut de ma vie - rajoute que maintenant même le fisc demande aux entreprises de prélever les impôts sur le revenu, y a en gros plus rien qui ne sort, en pratique, de la poche des salariés.

      Les cotisations sociales sont constituées d’une part patronale qui n’apparaît pas sur les fiches de salaires

      ça c’est factuellement faux : sur tous les bulletins de salaire que j’ai vus depuis quelques années, les charges patronales apparaissent très clairement ; cherche « exemple fiche de paye » et regarde les images que te donne google.

    • sur tous les bulletins de salaire que j’ai vus depuis quelques années, les charges patronales apparaissent très clairement

      Exact (j’avais pas relevé, mais ceci dit, la source est un cabinet d’expert comptable,comme si c’était « vertueux » de cacher à l’employé ce que verse son patron pour la protection sociale).

      ça c’est un point de vue un peu virtuel, paske celui qui sort les soux, au final, c’est l’entreprise ; perso, j’ai jamais touché un salaire brut de ma vie.

      Et pourtant, l’entreprise te doit cet argent. Comment expliques-tu que sur ces cotisations salariales, une part non négligeable soit imposable (CSG) ? C’est évident que c’est bien le salarié qui est assujetti à l’impôt sur le revenu et non l’entreprise. Après, on pourrait imaginer (mais ce serait encore un autre débat) que le patron te verse cette part salariale avec ton net. Donc, me diras-tu, oui, ça sort bien de ses poches. Mais d’une façon comme d’une autre, cet argent fait partie de ton salaire. Et prétendre le contraire reviendrait à dire que « le travail coûte trop cher ». D’ailleurs que penser des dispositifs d’exonérations de charges initiés par de nombreux gouvernements depuis des lustres ?
      (Spoiler : #starve_the_beast)

    • La forme des bulletins de salaire a été modifiée/imposée pour améliorer la compréhension et lisibilité.
      Dans les négos salariales, on discute « salaire brut », et non « salaire net ». Il s’agit de salaire brut salarial, le salaire brut avant paiement des cotisations salariales.
      A une époque, dans mon métier, toucher 50K€ annuels, c’était au bout de 10 ou 15 ans en étant cadre et ingénieur, et dans une grosse boite. En ce moment, avec 10 ou 15 ans, ils réclament 60, 70, 80... Savoir ça, et suivre au quotidien les discussions sur l’état de l’enseignement, de la santé, des services aux personnes... c’est un petit peu déstabilisant. Et finalement, je comprends le confort de l’apolitisme bourgeois qui fait comme s’il n’y avait aucun rapport entre son propre salaire, et le salaire des autres.

  • Ce que la dématérialisation fait au travail social | Hubert Guillaud @hubertguillaud
    https://hubertguillaud.wordpress.com/2022/11/28/ce-que-la-dematerialisation-fait-au-travail-social

    Nadia Okbani dresse le même constat chez les agents de la CAF. La dématérialisation a commencé par une diversification des modes de contacts, ou ouvrant au contact par mail ou en ligne. Puis, le mode de contact numérique a été rendu obligatoire pour certaines démarches, comme la prime d’activité et les aides personnalisées au logement étudiant. Désormais, la norme, c’est la démarche en ligne. Et pour mieux l’imposer, c’est l’accueil physique dans les agences qui a été modifié. Désormais, le rendez-vous prévaut. On n’a plus accès aux agents à l’accueil des Caf, mais à des ordinateurs dans un espace de libre service. Bien souvent, il n’y a plus d’accueil assis, hormis pour ceux qui attendent leur rendez-vous. Il y a bien des conseillers présents, mais ceux-ci ne maîtrisent pas la gestion des droits, ils ne sont là que pour accompagner les usagers à faire leur démarches en ligne ou à prendre rendez-vous sur un ordinateur. Les conseillers présents sont formés en 14 semaines, quand il faut 18 mois de formation à un agent pour maîtriser la complexité des prestations. Dans ces espaces, les publics attendent, s’impatientent. Certains gèrent leurs démarches. Les conseillers activent les publics pour qu’ils réalisent leurs démarches seuls. Or, bien souvent, les publics viennent pour des questions précises et n’obtiennent pas de réponses puisqu’ils n’accèdent pas à ceux qui pourraient les leur apporter. Prendre un rendez-vous en ligne est lui-même compliqué. Bien souvent, il n’y a pas de créneau qui sont proposés (les rendez-vous sont libérés à certains moments de la semaine, et c’est l’information capitale : à quel moment faut-il se connecter pour espérer avoir un créneau de rendez-vous). Certains motifs qu’il faut renseigner pour en obtenir un, ne fournissent pas de rendez-vous. D’autres au contraire ouvrent plus facilement un accès, comme le fait de déclarer être enceinte. Souvent, l’agent vous appelle la veille du rendez-vous au prétexte de le préparer, rappeler les documents nécessaires à apporter… bien souvent, c’est pour tenter de trouver une raison de l’annuler. Quant aux rendez-vous pour un RSA, les 20 minutes maximum que les agents peuvent passer avec un usager, fait qu’ils sont décomposés en plusieurs rendez-vous, quand ils ne sont pas sans cesse reportés. Au final, constate Nadia Okbani : “ce sont les publics les plus précarisés qui sont les plus éloignés des agents les plus compétents, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin”, d’abord parce que leurs situations sont souvent compliquées et nécessitent des savoirs-faire pour dénouer l’écheveau complexe des droits auxquels ils pourraient avoir accès.

  • Nous sommes des autoproducteurs. Qu’est-ce que ça veut dire ?

    Commençons par définir le terme. L’autoproduction est la production d’objets ou de services, par des agents qui n’ont normalement pas vocation à produire ces objets ou services. Tout est dans le « normalement ». L’autoproduction ne peut pas se comprendre sans un regard sur les normes sociales. Autoproduire est idéalement un acte incongru voire de révolte dans tel ou tel domaine, quand la majorité des gens font appel à des professionnels pour les domaines en question. A l’inverse, une production dans un domaine où la norme n’est pas de recourir à des professionnels n’est pas de l’autoproduction. Par exemple, le fait pour des parents de s’occuper de leurs enfants n’est pas de l’autoproduction car c’est normal de le faire (contrairement par exemple au type de société décrit dans le roman Le meilleur des mondes).

    Parce qu’elle est relative à des normes, l’autoproduction contient un potentiel de subversion des normes sociales touchant à la production, à l’économie. Mais dans une société marchande, ce potentiel est en permanence annulé. Ainsi, tout un pan d’une certaine « économie domestique » est pleinement articulée à l’économie marchande : cuisine, jardinage, bricolage... « L’autoproduction est l’avenir » est par exemple le slogan d’une chaîne de magasins de jardinage. Les magasins de bricolage et de jardinage sont des secteurs économiques à part entière alimentant des formes d’autoproduction, dont le potentiel subversif de la société marchande est largement neutralisé.

    Dans chaque domaine, l’autoproduction est donc tolérée par la société marchande à la condition qu’elle reste dans certaines limites.

    Une limite essentielle à percevoir est la suivante : elle conduit à réduire l’autoproduction au simple fait de faire soi-même et pour soi-même, ou pour ses proches. Tant que l’autoproduction est ainsi réduite à de l’autoconsommation, on comprend que l’acte même d’autoproduire est socialement isolé, séparé. Et c’est par cette séparation que l’autoproduction peut tout bonnement alimenter l’économie marchande la plus classique, destinée à équiper des foyers de consommation isolés les uns des autres, pour rendre possible la production par des non-professionnels à l’échelon individuel ou micro-domestique. Ces équipements non-professionnels sont dimensionnés pour correspondre à cet échelon et pour se loger dans un espace domestique de taille réduite. Car produire pour soi-même c’est nécessairement produire en petites quantités. Et donc aussi très inefficacement par rapport au même domaine quand il est pris en charge par des professionnels.

    Dans cette autoproduction réduite à de l’autoconsommation, c’est le rapport social général de la société marchande qui demeure fondamentalement inchangé, puisque c’est toujours le travail et l’argent qui restent le fondement de l’organisation matérielle. Cette autoproduction consiste à assembler, en bout de chaîne, les éléments produits par l’économie, pour obtenir à la fin un produit fini directement consommable.

    Dans une optique de critique des affres du capitalisme et de volonté d’en sortir, cette mécompréhension du rapport social aboutit à la stratégie de s’extraire de la société à une toute petite échelle (une ou quelques familles), comme s’il s’agissait de retourner à l’ancienne « économie domestique » paysanne et préindustrielle consistant à dépendre le moins possible de l’extérieur de l’espace domestique. Le foyer moderne, unité de consommation marchande équipée de diverses machines, est ainsi vu comme l’équivalent du foyer paysan de l’époque préindustrielle, sans tenir compte du fait qu’historiquement celui-ci n’a pas pu résister au déploiement du capitalisme. La vision d’une société de producteurs-autoconsommateurs indépendants, et donc séparés, n’est pas le bon levier pour imaginer comment sortir du capitalisme.

    Pour récupérer le potentiel subversif de l’autoproduction, il y a une stratégie sociale consciente à réfléchir et à construire, qui s’inspirerait de la robustesse des réalisations matérielles de l’ancienne économie domestique paysanne tout en les dégageant de l’illusion conservatrice que les formes sociales préindustrielles (ou plus, modestement, antérieures à l’époque contemporaine) peuvent servir de point d’appui pour renverser le rapport social capitaliste.

    Par exemple, une production à petite échelle et en petite quantité, tournée vers l’autoconsommation dans un cercle social restreint (la famille, le clan), ne peut pas servir de point d’appui pour contrer la marchandise. Le minimum que nous puissions faire pour subvertir l’autoproduction marchande, le do it yourself bourgeois, c’est d’autoproduire pour les autres plutôt que pour nous-mêmes. Tout en conservant bien entendu la dimension non-monétaire de l’autoproduction, puisque le paiement en argent viendrait réintroduire la logique sociale marchande, la monnaie étant « l’expression de la totalité sociale » (« Monnaie, séparation marchande et rapport salarial », André Orléan (1)) d’un monde fait de producteurs séparés.

    Pour sortir de sa dimension marchande, l’autoproduction a également intérêt à se « désembourgeoiser », dans la mesure où le fait d’autoproduire dans une société marchande relève d’un privilège, puisque cela nécessite des ressources en temps, en argent, en savoir-faire inégalement distribuées. Selon le PADES (« Autoproduction accompagnée, innovation sociale et sociétale », Guy Roustang, mars 2012(2)), ce ne sont ainsi pas les classes les plus populaires qui ont le plus recours à l’autoproduction, alors que le manque de ressources financières pourrait être une motivation à y avoir recours.

    Dans le contexte actuel où il y a des raisons de s’inquiéter de la pérennité des approvisionnements marchands en produits alimentaires ou en énergie (comme alimentant nos moyens de nous chauffer, de nous déplacer), les solutions techniques et sociétales qui se présentent spontanément vont malheureusement dans le sens d’un repli sur l’individu et la petite échelle sociale.

    On fantasme ainsi un effondrement de certaines réalisations matérielles du capitalisme, alors que son rapport social, lui, ne tend pas à s’effondrer puisqu’il n’est même pas pensé, et encore moins critiqué. Face à cela il y aurait du sens à ce que des collectifs d’autoproducteurs naissent et affirment leurs interdépendance à l’intérieur de chaque collectif et entre collectifs, échangent au minimum sur leurs expériences respectives, et dans le meilleur des cas cherchant à boucler leurs productions les unes sur les autres, à les rendre complémentaires, par delà les ancrages locaux par ailleurs évidemment nécessaires, et pour ainsi former un seul grand collectif ou une fédération partageant un même contrat social et universel (on pourrait s’inspirer du SILA de Bolo’bolo(3)).

    Pour qu’une autoproduction anticapitaliste s’épanouisse, bien des ressources sont indispensables : de grands espaces en ville, des grands terrains à cultiver, des moyens de se déplacer entre les deux, du temps libéré des contraintes au travail marchand. Elles sont plus que la société marchande peut nous donner spontanément et gentiment. Elles sont pourtant une priorité puisqu’elles conditionnent le démarrage d’une autoproduction solidaire (qui dépasse l’échelle de l’autoconsommation domestique), et donc aussi le passage d’un capitalisme qui fait semblant de s’effondrer à une autre forme de société. A défaut de produire beaucoup, faisons circuler nos productions hors de l’échelle locale et sans monnaie, afin d’expérimenter ou d’amorcer un rapport social général alternatif à la société marchande.

    Notons aussi que, aujourd’hui, la motivation à autoproduire ne rencontre évidemment pas forcément des motifs politiques, dans le sens d’une transformation sociale d’ampleur. L’autoproduction n’est pas nécessairement subversive, et cette ambivalence fait aussi son intérêt. Le fait de « faire soi-même » peut répondre à un besoin profond de confiance en soi comme de reprendre pied, dans un monde incertain, où le sens de la production à l’intérieur des professions perd de son caractère d’évidence, et où un vif sentiment d’impuissance envahit lentement l’ensemble du corps social.

    Cette recherche de sens peut évidemment prendre une forme qui la rend totalement compatible avec la société marchande, spécialement par la tendance à la sophistication et à l’excellence technique, qui sont la condition pour « vivre de sa passion », c’est-à-dire atteindre une clientèle argentée seule capable de valider économiquement des productions artisanales à faible productivité. Face à cette tendance, il sera utile d’évoquer publiquement la nature du désastre capitaliste en cours, et les consensus que l’on peut espérer voir se dégager, concernant les domaines prioritaires où nous avons le plus intérêt à développer l’autoproduction d’aujourd’hui.

    (1) http://www.touteconomie.org/sites/default/doc_bib_eco/45_272.pdf
    (2) http://www.padesautoproduction.net/Documents/APA-innovation%20societale.pdf
    (3) http://www.lyber-eclat.net/lyber/bolo/sila.html

    #autoproduction #critique_de_la_société_marchande

    • #Sitopia. How Food Can Save the World

      Sitopia is the sequel to Hungry City. It explores the idea, first developed in Hungry City, that food shapes our lives, and asks what we can do with this knowledge in order to lead better ones. In essence, it is a practical, food-based philosophy.

      Food is the most powerful medium available to us for thinking in a connected way about the numerous dilemmas we face today. For countless millennia, food has shaped our bodies, lives, societies and world. Its effects are so widespread and profound that most of us can’t even see them; yet it is as familiar to us as our own face. Food is the great connector – the staff of life and its readiest metaphor. It is this capacity to span worlds and ideas that gives food its unparalleled power. Food, you might say, is the most powerful tool for transforming our lives and world that we never knew we had.

      While Hungry City explored how the journey of food through the city has shaped civilisations over time, Sitopia starts with a plate of food and travels out to the universe. Its structure thus consists of a series of overlapping scales, in which food is always central. Food animates our bodies, homes and societies, city and country, nature and time – seven scales that form the chapters in the book. This idea came from a drawing I did in 2011, in order to understand food’s place in our world. The drawing showed me how food’s effects at various scales interact in myriad interconnected ways. From the cultural norms into which we are born spring personal tastes and preferences that affect our individual health and pleasure, but also the vibrancy of local economies, global geopolitics and ecology. This interconnectivity made the book tricky to write, since every chapter overlapped with every other. As I wrote, however, a hidden structure began to reveal itself: as well as radiating out from food like ripples from a pond, the chapters, I realised, were mirrors of one another, so that Chapter 1 (Food) was mirrored by Chapter 7 (Time), in the sense that the former dealt primarily with life, while the latter was concerned with mortality. Similarly, Chapter 2 (Body) explores how out of synch with our world we have become, while Chapter 6 (Nature) offers a solution: to re-engage with the natural world. Chapter 3 (Home) examines our relative lack of a sense of belonging, while Chapter 5 (City and Country) shows how by rethinking the ways we inhabit land, we can regain our sense of home. It is not insignificant that this mirroring effect should have revolved around the central Chapter 4 (Society), which I came to realise was indeed pivotal, since the manner in which we share is key to all the rest.

      These two drawings – the original sketch exploring the scales of food and the chapter structure – were key to the creation of Sitopia. The first was the direct inspiration for the book and the second, drawn about half-way through the writing process, became pivotal to my understanding, not just of the book’s narrative structure, but of the way in which it echoes that of our experienced world. The Allegory of Sitopia, which illustrates many of these themes, was kindly drawn for me by the wonderful artist Miriam Escofet and forms the frontispiece of the book.

      https://www.carolynsteel.com/sitopiabook
      #livre #alimentation #nourriture

    • Carolyn Steel : « L’habitat idéal pour un animal politique est d’avoir un pied en ville et l’autre à la campagne »

      Dans son nouveau livre, l’architecte urbaniste britannique plaide pour une réorganisation de la #ville à partir des besoins en alimentation.

      Architecte urbaniste britannique, Carolyn Steel voit dans la nourriture « la clé de la ville » mais constate que « nous n’en parlons pas, nous ne voyons pas d’où elle vient ». Paru en mars 2020, Sitopia. How Food Can Save the World (« Sitopie. Comment la nourriture peut sauver le monde », Chatto & Windus, non traduit) invite à repenser villes, multinationales, écologies et relations humaines. Ambitieux projet qu’elle justifie en écrivant que « la nourriture, le support omniprésent de la civilisation, a toujours façonné le monde, pas toujours pour le mieux ».

      Votre travail vous a fait découvrir ce que vous appelez le « #paradoxe_urbain ». Qu’entendez-vous par là ?

      J’ai étudié l’architecture, où nous parlions sans arrêt des villes et de l’#urbanisation croissante sans jamais aborder les enjeux liés à la #campagne, soit l’autre face du phénomène. C’est là qu’a lieu la #production_agricole sans laquelle nous n’existerions pas.

      Aristote souligne notre dualité fondamentale en disant que nous sommes des animaux politiques. Nous avons besoin de la société et de nourriture provenant du milieu naturel. Les villes produisent le côté politique, mais pas ce qui nous rend heureux et nous permet de prospérer en tant qu’animaux. Voilà le paradoxe urbain.

      L’habitat idéal pour un animal politique est d’avoir un pied en ville et l’autre à la campagne. Les riches ont toujours fait ça. C’est bien entendu ce que nous voulons tous mais la plupart d’entre nous n’en ont pas les moyens. Ça devient un problème de design : comment on peut concevoir un environnement dans lequel les animaux politiques peuvent s’épanouir et apprendre. En reconnaissant le paradoxe, nous pouvons transformer notre manière de concevoir les espaces dans lesquels nous vivons.

      Comment expliquez-nous qu’on ne prête pas davantage attention à la manière de nourrir nos villes ?

      La nourriture pâtit d’un gros problème d’invisibilité. Jadis, les animaux étaient conduits jusqu’en plein centre. Les marchés renforçaient la relation entre villes et campagnes de manière vivante.

      Mais nous avons perdu tout ça avec les chemins de fer qui ont rendu possible le transport de nourriture rapidement et sur de longues distances. Pour la première fois, on pouvait construire des villes loin des côtes et des rivières. Cela a marqué le début de l’urbanisation massive. Les gens ignoraient de plus en plus d’où provenait leur alimentation.

      Nos ancêtres savaient que le contrôle de la nourriture constituait une forme de pouvoir. Aujourd’hui, une poignée de multinationales en a plus que certains Etats-nations. La conséquence la plus grave est l’illusion que la nourriture créée par l’industrialisation peut être « bon marché ».

      Cela engendre une #catastrophe_écologique. Nous traitons les animaux avec cruauté et les travailleurs agricoles presque comme des esclaves (parfois littéralement). La production industrielle de nourriture, facteur de déforestation, est responsable pour un tiers de l’émission des gaz à effet de serre.

      Vous développez ces points dans votre premier livre, Ville affamée. Avec Sitopia que vous venez de publier, vous allez plus loin. Qu’entendez-vous par « économie sitopienne » ?

      L’idée de Sitopie, du grec sitos, « nourriture », et topos, « lieu », m’est venue à la fin de Ville affamée. J’ai réalisé que nous vivions dans un monde façonné par la nourriture, mais mal façonné. Elle est la meilleure connexion entre nous et nous rapproche aussi du monde naturel. La traiter comme un bien de peu de prix et en externaliser les coûts met nos valeurs sens dessus dessous. Je propose d’aller vers un système de nourriture fondé sur sa valeur réelle. Premier gain, si nous répercutions à nouveau ses coûts réels sur son prix, les produits artisanaux et écologiques nous sembleraient de véritables aubaines, puisque ce sont les seuls qui internalisent de tels coûts.

      Ensuite, nous nous rendrions compte qu’une partie de la population n’a pas les moyens de se nourrir. C’est pourquoi je propose le contrat social « sitopien » : je mange bien, tu manges bien aussi. Mon image d’une bonne société est celle où nous nous asseyons et mangeons ensemble autour d’une table. C’est reconnaître que manger, c’est ce qui nous unit aux autres et à l’ensemble du système écologique. Construire notre société autour du partage d’un bon repas tous les jours, telle est l’idée de base.

      Ça n’est pas une idée entièrement nouvelle…

      Elle s’inspire en effet du concept de cité-jardin, inventé en 1898 par Ebenezer Howard à l’issue d’une crise agricole provoquée, en Grande-Bretagne, par des importations à bas coûts de céréales américaines. Comme le Brexit auquel je m’oppose.

      L’idée était de construire de nouveaux centres urbains, petits et compacts sur des terres agricoles achetées à bas prix du fait de la dépression. Ce ne serait pas le propriétaire qui s’enrichirait (comme à la ville), mais la ville qui achèterait les terres agricoles pour la communauté et les mettrait à disposition de ses membres moyennant une rente foncière. A mesure qu’elle augmenterait – c’est inévitable si vous construisez une nouvelle ville au milieu de nulle part –, l’argent serait utilisé pour financer les transports publics, la santé, etc. Une sorte d’Etat-providence à l’échelle d’une ville.

      Valoriser la nourriture mènerait, selon vous, à une renaissance rurale. Comment voyez-vous le futur des villes ?

      Il y a, d’abord, l’aspect spatial. Plus les villes grandissent, plus les campagnes s’éloignent pour ceux qui vivent en leur centre. Je propose de rétablir la relation entre la ville et sa région, et d’introduire l’espace de production de nourriture dans la ville. L’Europe est pleine d’espaces inefficaces structurés par le béton, qui pourraient devenir productifs. Nombre de terrains pourraient être convertis en jardins, vergers, fermes communaux. Bien entendu, cela ne pourra jamais nourrir la ville dans sa totalité mais ça peut redonner aux gens accès à la nature.

      Comment voyez-vous l’impact du Covid-19 sur le système alimentaire que vous dénoncez ?

      Il y a eu un aspect positif. Dans les pays riches, on a redécouvert le plaisir de manger. Les gens ont disposé de plus de temps. Ils se sont mis à cuisiner avec leurs enfants mais aussi pour leurs voisins. Ils ont veillé au bien-être de la dame âgée en bas de la rue. La nourriture a retrouvé son pouvoir de rassemblement.

      Mais le négatif est peut-être plus important. La pandémie est venue exacerber les inégalités et beaucoup de gens ont dû se rabattre sur les banques alimentaires.

      Par ailleurs, de nouvelles connexions se sont créées entre consommateurs et producteurs mais personne ne veut faire les récoltes en Grande-Bretagne (ce qui fait ressortir la fragilité du pays). Nous sommes une société qui refuse littéralement de se nourrir. Si vous payez 30 livres par heure pour récolter des carottes, je peux vous dire que vous en trouverez des gens ! Une fois de plus, la valeur est biaisée.

      Quelles conséquences tout cela pourrait-il entraîner ?

      De nombreux petits producteurs, petites entreprises alimentaires et petits restaurants indépendants ne survivront pas au profit des Starbucks, McDonald’s, Amazon et Google. Cela m’attriste et me bouleverse, mais c’est presque inévitable.

      J’espère, par contre, sincèrement – c’est plus un souhait qu’autre chose – que les Sitopiens qui comprennent la valeur de la nourriture et son pouvoir utiliseront le Covid-19 pour dire : nous avons découvert ce qui compte vraiment dans la vie, avoir un emploi décent, de quoi manger et un toit sur la tête. Nous avons les moyens d’assurer ça.

      Le New Green Deal [« nouvelle donne verte »] va dans ce sens. Il y a là une chance unique de bien faire les choses.
      Vous incitez à accepter la complexité pour comprendre le rôle essentiel de la nourriture, mais vous en faites une voie unique pour comprendre le monde. N’est-ce pas contradictoire ?

      Vous avez mis le doigt sur ce que j’aime le plus avec la nourriture. Elle est à la fois la chose la plus simple – si simple qu’on peine à la voir – et la plus complexe. Un outil, un moyen et une manière de penser et d’agir. Toutes ces questions reviennent à bien se traiter les uns les autres, à être dans une société égalitaire.

      Pour y parvenir, vous faites appel aux anarchistes et à une conception différente de la taxe foncière…

      Ils ont eu une grande influence sur Ebenezer Howard et sa proposition de cité-jardin. L’idée de base – elle vient de Proudhon – consiste à distinguer la « propriété individuelle privée » (proprietorship), qui permet de dire « c’est ma terre à perpétuité, elle n’appartient à personne d’autre », et la « possession » de la surface dont j’ai besoin pour cultiver et/ou pour vivre… mais qui appartient, en dernière instance, à la société. C’est une conception différente de la propriété foncière qui ouvre la porte à un nouveau type d’imposition, notamment pour les villes.

  • Le fiu fait partie de l’existence tahitienne authentique. Il existe toujours dans les îles les plus reculées de Polynésie, là où la nature garde encore une bonne part de sa puissance d’inspiration. Le fiu, c’est l’instauration naturelle immédiate de la grève sauvage. Le fiu est cette puissance naturelle d’inertie qui s’empare de l’individu dans n’importe quelle situation et fait de lui un absent. Indisponible, inintéressé, injoignable. Je suis là mais je n’y suis plus. Je ne viendrai pas travailler, il y a urgence absolue à ne rien faire.
    Le fiu est généralement défini, dans les dictionnaires falsifiés, comme un état d’âme proche du spleen, alors qu’il serait à tout prendre bien plus proche de la vacuité bouddhique.
    Il est cet appel naturel performatif par quoi l’individu court-circuite le stress, la frénésie, la contrainte. La dissolution radicale, soudaine et irrépressible, de tous les problèmes attachés au sérieux de l’existence et de tout le sérieux attaché à ces problèmes. Le fiu est l’ennemi du productivisme, de la rentabilité, du temps compté, du travail aliéné.
    Il est la forme naturelle primitive du refus tout puissant de toute contrainte.
    https://observatoiresituationniste.com/2022/08/07/le-fiu-tout-puissant

  • La fonction répressive du plein emploi
    https://www.mediapart.fr/journal/economie/120822/la-fonction-repressive-du-plein-emploi

    De l’emploi, mais des revenus en berne et une activité au ralenti. La situation est complexe. Pour essayer de la comprendre, Mediapart propose une série de deux articles. Aujourd’hui : pourquoi le nouveau plein emploi n’est pas le paradis des travailleurs.

    #L'étrange_plein-emploi #croissance,_plein_emploi,_chômage,_conjoncture,_Inflation,_productivité

    • La fonction répressive du plein emploi, Romaric Godin
      De l’emploi, mais des revenus en berne et une activité au ralenti. La situation est complexe. Pour essayer de la comprendre, Mediapart propose une série de deux articles.

      Aujourd’hui : pourquoi le nouveau plein emploi n’est pas le paradis des travailleurs.

      Pourquoi la croissance de l’#emploi ne parvient-elle pas à renforcer la position des salariés et à conduire à des augmentations de #salaire ? Pour tenter de trouver une réponse, il faut comprendre en quoi l’explication la plus évidente n’est pas pertinente. Car la croissance à elle seule ne suffit pas à expliquer l’évolution de l’emploi. Autrement dit, les économies actuelles créent plus d’emplois qu’elles ne créent de « richesses », ces jobs sont donc le fruit d’une réduction globale de la productivité du travail.

      Les chiffres, de ce point de vue, sont sans équivoque. En France, par exemple, le PIB du deuxième trimestre 2022 est supérieur de 0,9 % à celui du dernier trimestre 2019, alors que l’emploi est supérieur de 3,5 %. On a donc produit un peu plus avec beaucoup plus d’employés. Aux États-Unis, la productivité du travail dans le secteur non agricole calculée par le bureau fédéral du travail a reculé de 4,6 % au deuxième trimestre et de 7,7 % au premier trimestre.

      Ces chiffres expliquent en grande partie l’incapacité de la courbe de Phillips (lire le premier volet de la série : Le Lien brisé entre emplois et inflation) à fonctionner aujourd’hui. Si les emplois créés le sont dans un contexte d’activité faible, la condition même d’existence de ces emplois est de ne pas coûter trop cher.

      Pour le dire autrement : la croissance des salaires est largement déterminée par la croissance de la productivité. Lorsqu’une unité de travail permet de produire plus, le profit est plus grand, et, en théorie, une partie de ce profit peut être rendu au travail. Dans ce cas, la progression du salaire réel est possible puisque le #capital peut se rémunérer sur les gains de productivité.

      Mais lorsque ces gains sont faibles ou n’existent pas, voire, comme actuellement, lorsque la #productivité se réduit, la profitabilité des entreprises dépend nécessairement de la compression des salaires et, lorsque cela est possible, de la hausse des prix. C’est ainsi que l’on peut se trouver dans une situation comme la nôtre : de l’emploi, mais pas de hausse des salaires réels.

      La vraie question se déplace alors. Pendant deux siècles, les gains de productivité ont été la condition sine qua non de la croissance, des créations d’emplois et de l’amélioration des salaires réels. Certes, les luttes sociales et les réglementations étaient nécessaires pour arracher des concessions dans le partage de la valeur ajoutée, mais ces concessions étaient possibles et même largement souhaitables pour le développement de la consommation et donc de nouveaux marchés.

      Ce moteur semblant très largement éteint ou réduit, le système économique se mue progressivement en un régime différent où il faut plus de main-d’œuvre, parce que la croissance du chiffre d’affaires dépend plus directement du travail (on doit travailler plus pour produire plus et non plus travailler moins pour produire plus), mais où il faut aussi de la main-d’œuvre meilleur marché.

      Ce phénomène n’est pas nouveau, le ralentissement des gains de productivité a commencé voici cinq décennies. Et c’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’essentiel des réformes néolibérales visant à affaiblir le travail et à « libéraliser » l’emploi. Mais ce phénomène structurel s’est encore accéléré après les crises de 2008 et 2020.

      La nature des emplois créés

      Dans un contexte où il faut vendre plus et produire moins cher, sans gains de productivité, la solution réside dans l’élargissement du domaine du marché à des activités gérées jusqu’ici par la puissance publique ou la sphère domestique (services à la personne, transports, énergie, etc.) et dans l’élargissement des sources d’approvisionnement vers des pays à faible coût de main-d’œuvre. Et cela modifie profondément la structure de l’emploi et son rapport général macroéconomique.
      Jusque dans les années 1970-80, les emplois détruits par les gains de productivité étaient remplacés par d’autres emplois industriels, fruit du réinvestissement des profits et des perspectives de demande alimentées par la hausse des salaires. Mais dans ce « nouveau monde », cette logique ne prévaut plus. Les emplois grignotés par les maigres gains de productivité industrielle se retrouvent dans les secteurs de services, ce qui abaisse la productivité globale. Dans un premier temps, cela crée du chômage massif qui, par ailleurs, aide à discipliner le monde du #travail.

      Puis, progressivement, le nouveau système économique se met en place. La marchandisation de la vie quotidienne s’accélère et avec elle les activités de services à la personne. Parallèlement, comme l’a indiqué l’économiste Jason E. Smith dans un ouvrage traduit récemment en français (et présenté ici), les besoins de l’économie se concentrent sur le développement massif de deux domaines principaux. D’une part, celui chargé de contrôler et de rendre plus efficaces les travaux de services où l’on doit gagner le peu de productivité qu’il est possible de réaliser. D’autre part, tous ceux chargés de renforcer la circulation de la production.

      Toutes ces activités se résument à deux grands secteurs d’emplois : les services à la personne (livraison, santé, assistance à l’enfance ou à la vieillesse, etc.) et les services aux entreprises (encadrement, sécurité, informatique, marketing, publicité, etc.). En fin de processus, lorsque la marchandisation et la mondialisation ont atteint un niveau très élevé, ces emplois occupent tout l’espace économique. Les chiffres récents viennent confirmer cette hypothèse.

      En France, les services marchands représentent 72,6 % des créations d’emplois entre le dernier trimestre 2019 et le deuxième de 2022, soit plus de 547 000 emplois. L’industrie, sur la même période, a détruit 12 000 emplois. Et si l’on s’en tient au premier trimestre, pour lequel nous disposons du détail des créations d’emplois, on constate que la plus forte hausse en pourcentage depuis fin 2019 est le secteur « information-communication » (+ 7,2 %), tandis que la plus forte hausse en valeur absolue revient aux « services aux entreprises » (188 400 emplois, soit 29 % du total du secteur privé).

      Mais la France n’est pas isolée. Aux États-Unis, le même phénomène se constate également. Dans le dernier rapport sur l’emploi de juillet, le secteur qui produit le plus d’emplois est celui des services aux entreprises avec, entre février 2020 et juillet 2022, pas moins de 986 000 emplois créés, soit davantage que l’ensemble du secteur privé sur la même période (+ 629 000).

      Gérer les contradictions

      Le problème, c’est que ces emplois sont par nature peu productifs. Ils sont donc nécessaires au fonctionnement de l’économie, mais font peser un risque sur la rentabilité future des entreprises. En régime capitaliste, la productivité est la mesure avancée de la croissance à long terme.

      Mais à présent, la situation est délicate : pour tenter de renforcer la rentabilité de l’économie, seuls les services du type de ceux que l’on a décrits peuvent se développer et doivent ainsi augmenter leur chiffre d’affaires, donc embaucher. Mais ces embauches, en raison de leur faible productivité intrinsèque, pèsent de plus en plus sur la rentabilité. C’est une fuite en avant et une contradiction interne majeure qui ne peut se résoudre que par des moyens de contournement.

      Depuis 2008, l’argent facile assuré par les banques centrales pour les entreprises permettait d’assurer un moyen de dépasser temporairement cette contradiction. C’est ce qui a donné lieu au phénomène bien connu d’entreprises « zombies », entreprises peu productives, voire peu rentables, qui survivaient grâce aux crédits ou au soutien d’actionnaires réalisant sur les marchés de confortables plus-values par ailleurs.

      À cela s’ajoutait une pression sur les gouvernements pour baisser les impôts sur les entreprises ou renforcer les subventions. En France, on se souvient évidemment du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), pérennisé en 2019 sous forme de baisses de cotisations, mais on pourrait aussi évoquer la baisse des impôts de production ou de l’impôt sur les sociétés et les diverses exonérations de cotisations sociales. Tout cela permet de maintenir la rentabilité d’entreprises peu profitables mais riches en emplois.

      Avec la crise sanitaire, ce phénomène s’est généralisé et amplifié via de généreuses aides publiques qui ont formé une forme de « sécurité sociale des entreprises ». Et sans doute cette générosité publique n’est-elle pas pour rien dans la reprise de l’emploi. Les zombies sont plus vivants que jamais.

      Mais cette situation n’améliore pas pour autant celle des salariées et salariés, en lutte constante pour leur survie, dans ces entreprises qui exercent une pression sur les rémunérations et les conditions de travail. Ce n’est pas pour rien que les problèmes liés à l’intensification du travail sont de plus en plus fréquents dans les sociétés occidentales. Il faut gagner là où cela est possible de plus en plus de productivité, mais si ces gains sont minimes voire nuls, la pression sur le personnel est immense.
      Lorsque survient l’inflation importée par un choc externe, la pression sur ces entreprises et leurs salariés se fait encore plus forte. Une partie des entreprises peuvent augmenter leurs prix, mais sans gains de productivité, cette augmentation n’est pas redistribuée au personnel mais utilisée pour redistribuer aux actionnaires ou investir dans les activités de contrôle et de circulation.

      On a la preuve de ce phénomène en regardant la nature de l’investissement au premier semestre en France. Sur les six premiers mois de l’année, l’acquis de croissance de l’investissement en biens manufacturés du secteur privé non financier, autrement dit l’investissement productif, est de - 2,2 %, le même acquis pour l’investissement en services marchands est de + 5,4 %. Et les postes « services aux entreprises » et « information-communication » mènent la hausse.

      Le plein emploi répressif

      Dès lors, les créations d’emplois s’expliquent, mais aussi l’incapacité de ces créations à tirer les salaires vers le haut. Car la situation de contradiction interne sur les salariés se poursuit plus que jamais. Se met alors en place un système où le salarié est piégé : inflation ou pas, il est toujours trop cher (comme l’est la protection sociale).

      On semble donc assister à une nouvelle forme de « plein emploi ». Jusqu’ici, le #plein_emploi était la terreur des classes dirigeantes. En 1943, dans un texte célèbre, Aspects politiques du plein emploi, l’économiste Michał Kalecki estimait que les classes dominantes ne pouvaient accepter le plein emploi, qui renversait le rapport de force naturel au sein du capitalisme. La crise des années 1970 est venue confirmer cette analyse qui, au reste, était traduite sur le plan économique par la courbe de Phillips.
      Qu’en est-il aujourd’hui ? Cette crainte du plein emploi est toujours d’actualité, on l’a vu, et les banques centrales mènent une politique de lutte contre l’inflation en tentant de faire remonter le chômage. Mais le plein emploi a pris aujourd’hui une nouvelle forme et cela change tout.
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      Par la nature des emplois créés et la situation d’un capitalisme de bas régime, le plein emploi actuel prend une forme particulière. Il ne renforce pas le pouvoir des salariés, mais au contraire les maintient dans des logiques de faibles rémunérations et de conditions de travail dégradées.

      Certes, ceci conduit à des formes de rébellion qui peuvent entraîner des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs. Mais ces pénuries n’amènent pas pour autant de vrai changement en termes de situation des travailleurs parce que le tissu économique, soumis à la pression de la faible productivité, ne le supporte pas.

      Aussi voit-on émerger une situation nouvelle : le plein emploi dans le capitalisme de bas régime est un plein emploi répressif qui permet de justifier des politiques antisociales et n’est pas synonyme d’améliorations salariales. Pour contraindre les travailleurs à accepter les emplois mis sur le marché sans broncher dans les conditions dictées par le capital, l’État renforce alors les contraintes sur le monde du travail.

      La politique de l’actuel gouvernement français en est l’illustration parfaite : les créations d’emplois le conduisent à proclamer la nécessité de « travailler plus » et lui permettent de justifier une réforme répressive de l’#assurance-chômage et du #RSA.

      En réalité, on peut même imaginer que les deux réalités se chevauchent : pour imposer ce plein emploi répressif, une poussée de chômage n’est pas inutile. Elle permet de discipliner à nouveau le monde du travail et de l’amener à se contenter de ce que lui donne le capital. Ceci doit sans doute inciter à modifier la réflexion de Kalecki : ce que les classes dominantes refuseront toujours politiquement, c’est un plein emploi qui remet en cause leur pouvoir. Mais l’émergence d’un plein emploi qui le renforce est désormais un fait nouveau à prendre en considération.

      #chômeurs #chômage

  • Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-zilsel-2020-2-page-15.htm

    Rien ne distingue en soi un énoncé scientifique d’un autre qui ne l’est pas ; ce n’est pas plus le statut de l’énonciateur qui confère un caractère scientifique à son énoncé. Ce qui établit la scientificité, ce sont les normes de probation scientifiques, qui ont une histoire et présentent de légères variations selon les domaines, composant une géographie disciplinaire. La véridiction savante repose sur la recension de faits objectivables, publiés avec leur appareil probatoire (données, graphiques, raisonnements, développement en métalangage mathématique, etc.), avec une bibliographie établissant l’état de l’art sur le sujet. Elle suppose l’absence de conflits d’intérêts, ou leur explicitation, quand ils ne sont pas de nature à fausser l’objectivité. Elle passe par la disputatio des résultats obtenus avec les pairs, c’est-à-dire avec les autres scientifiques ayant produit un travail savant dans un sujet connexe : il n’y a de vérité scientifique que comme visée collective, jamais comme dévoilement individuel d’une vérité préexistante.

    […]

    Le pseudo-rationalisme se nourrit ainsi de la frustration de cadres supérieurs qui conjuguent un attrait pour la science et un éloignement prolongé vis-à-vis de sa pratique : la formation professionnelle des Grandes Écoles ne les a jamais confrontés qu’à des problèmes qui admettent des solutions calculatoires préétablies. Il témoigne de l’héritage délétère du système napoléonien, fondé sur le concours, qui n’a jamais réussi à se réformer pour se rapprocher du système humboldtien, fondé sur la science.

    […]

    Pourtant, de la méthode scientifique, telle que je l’ai définie plus haut, il ne reste presque rien hormis la reproduction objectivée et raisonnée de phénomènes présentés comme paranormaux. En particulier, toute la dimension collective du travail de véridiction scientifique s’en trouve évacuée. La zététique prétend au contraire transposer la méthode scientifique à l’échelle de l’individu comme mode d’appréhension de son environnement quotidien, le doute méthodique et l’exercice du raisonnement étant supposés lui permettre de réfuter des croyances par leur seul exercice. Comparé au rationalisme, c’est non seulement l’institution scientifique qui est congédiée au profit du seul doute, mais aussi la responsabilité du savant dans le développement technoscientifique.

    […]

    Plus récemment, Michael Shermer, fondateur et président de la Skeptics Society, et rédacteur en chef de la revue Skeptic, fondamentaliste chrétien devenu « libertarien », a écrit que Mussolini et Hitler étaient les représentants de la gauche italienne et allemande des années 1920, puis ceci, qui témoigne du degré de finesse analytique de cette communauté : « Good to remember that Nazi = National Socialism. Not far right but far left. » On peut conclure a minima que le bréviaire du doute méthodique et des biais cognitifs n’immunise pas contre la falsification historique, et ne saurait remplacer ni la fréquentation de livres d’histoire ni une solide culture en sciences humaines. Cependant, il convient de s’interroger sur la permanence d’une porosité de la communauté pseudo-rationaliste au confusionnisme politique.

    […]

    La seconde caractéristique des pseudo-rationalistes est de substituer la « vulgarisation » à la publication scientifique. […] Il s’agirait donc de substituer l’exercice du doute et de la raison individuelle au régime collectif de véridiction scientifique. Wikipedia qui privilégie ordinairement les sources secondaires (quotidiens, rapports d’agences gouvernementales, etc.) sur les sources proprement scientifiques, a peut-être contribué à façonner le vocabulaire des plus jeunes des pseudo-rationalistes, qui ne cessent de se revendiquer du « consensus » contre le « cherry-picking » – termes inusités dans la recherche scientifique. À supposer qu’il y ait une crise du journalisme scientifique, liée au double impératif de rendre compte de l’« actualité » et de capter l’attention, l’éthique minimale consisterait à promouvoir les références à la littérature scientifique primaire. S’il faut prêter attention à ces polémiques, c’est plutôt comme symptôme d’un mal réel plus profond : l’abandon graduel de l’éducation du plus grand nombre au raisonnement et à la science.

    (signalé dans un com par @colporteur mais méritait un seen dédié)

    #Bruno_Andreotti #raison #rationalisme #science #scientificité #épistémologie #méthode_scientifique #extrême-droite #confusionnisme #marxisme_culturel

  • Il est devenu visible que les prolétaires n’ont pas d’autre intérêt commun dans le capitalisme que la disparition de celui-ci. C’est là précisément ce que la croyance en une classe homogène pouvait masquer jusque dans les années 1970. Quand le prolétariat s’identifiait plus ou moins à une figure unique, celle de l’ouvrier de la grande industrie, le mythe de l’intérêt commun dans le capital pouvait coexister avec celui de la révolution. Désormais, cette coexistence est devenue impossible. Tel segment du prolétariat a des intérêts opposés à tel autre parce que le prolétariat est hiérarchiquement divisé par la société du capital. Cette segmentation est constamment soulignée par les idéologies nationalistes et identitaires qui opposent les prolétaires les uns aux autres. Cependant, ces idéologies n’auraient pas un tel succès si elles ne s’appuyaient pas sur des divisions bien réelles. La fragmentation du prolétariat même attisée par la propagande, est indéniable et conduit à la constatation suivante : il n’y a aucune unité du prolétariat à rechercher dans la société du capital, parce que le prolétariat ne peut pas y être uni.

    Léon de Mattis, Utopie 2021 , p. 106

    #communisation #prolétariat

  • Expulsion de la ZAP et destructions du vergers et des cultures

    https://mars-infos.org/communique-de-presse-de-la-zap-6445

    Je m’interroge sur la signification politique des plantations qui ont été faites sur la ZAP (verger, blé, etc), sachant qu’on voit aussi ce genre d’initiative dans d’autres occupations en défense des terres agricoles menacées de bétonisation.

    S’agit-il simplement de défendre ces terres agricoles pour faire ensuite de l’agriculture dans le cadre d’un rapport social inchangé (produire pour vendre) ? Ou bien s’agit-il d’une initiative des occupants squatteurs, pas seulement symbolique de l’occupation mais relevant d’une autoproduction (i.e. mener une activité de subsistance sans être professionnel de cette activité ), non relayée politiquement et assortie d’aucun discours , qui n’entre manifestement pas dans le cadre des revendications simplement écologistes de la coalition des associations de défense de l’environnement ?

    Dans le 1er cas, comme avec la Zad de Nndl, une fois que les autorités ont abandonné le projet de bétonisation, l’occupation, et avec elle toutes les expérimentations porteuse d’une autre rapport social , qui ne consiste pas à défendre des terres agricoles ou protéger l’environnement, peut légitimement être détruite par les autorités, sans que la coalition d’associations environnementales n’ait grand chose à redire puisque ses revendications ont été satisfaites. Il ne restera ensuite qu’à normaliser les usages de ces terres en les faisant entrer dans un cadre professionnel et économique. Ce qui contraste singulièrement avec la façon dont une vie matérielle s’était déployée pendant l’occupation, par des gens éloignés de l’emploi - mais qui n’avait fait l’objet d’aucun discours politique, celui-ci étant dominé par la vision finalement très conservatrice des coalitions militantes seniors où rien de ce qui fait la société marchande n’est jamais critiqué.

    Ainsi, le communiqué de presse suite à l’expulsion de la ZAP n’est pas tout à fait exact :

    Peut-être parce qu’elles [les destructions du verger et des cultures] sont le signe le plus visible de la violence d’un état policier déterminé à raser tout ce qui lui oppose résistance, fut-ce aussi symbolique que des arbres fruitiers.

    Il aurait fallu écrire :

    Peut-être parce qu’elles [les destructions du verger et des cultures] sont le signe le plus visible de l’insuffisance des luttes écologistes, lesquelles ne revendiquent que la préservation des ressources naturelles et humaines, dans le cadre marchand qu’elles partagent avec les autorités auxquelles elles prétendent s’opposer

    #zap #écologie #zad #luttes #autoproduction #subsistance

    • Je ne comprend pas trop pourquoi l’autoproduction ainsi définie (sans sens juxtaposé, sans vocation à la revente) peut être exempte de la critique que tu fais — ne caractérise-t-elle pas en effet l’ensemble de la production, auto ou pas ? C’est quoi la limite ? Le rapport ou non à la totalité sociale ?

    • Oui, j’autoproduction en elle-même ne porte pas tellement de dépassement du capitalisme. Surtout que la plupart du temps elle est confondue avec l’autoconsommation (ce qui est un contresens). Par exemple dans cet extrait émanant d’une association soutenant les occupants :

      De quel droit et à quel titre peut-on expulser des jeunes qui veulent tout simplement vivre dignement et se nourrir sainement.

      https://zappertuis.noblogs.org/post/2022/07/01/communique-de-sos-durance

      Il y a quand même la reconnaissance de quelque chose d’autre qui se joue, mais ça reste tellement vague :

      De jeunes humains inquiets pour leur avenir, occupent des maisons, s’organisent, inventent de nouvelle forme de vie collective et plantent de quoi se nourrir sur des terres fertiles et irriguées.

      Pour avoir quelques éléments sur l’autoproduction, tu peux lire l’article de Wikipedia :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Autoproduction

      A mon sens l’autoproduction, peut être une pratique intéressante, comme remise en cause du rapport social capitaliste, à condition que ses produits circulent au delà du cercle des autoproducteurs.

      #autoproduction