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  • Au tribunal, bras de fer musclé entre la Sacem et les héritiers du « Boléro » de Ravel
    https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/reportage/au-tribunal-bras-de-fer-muscle-entre-la-sacem-et-les-heritiers-de-ravel-


    Maurice Ravel photographié en 1929, un an après la composition du « Boléro »
    ©AFP - Archiv Setzer-Tschiedel

    L’audience s’est tenue mercredi après-midi au tribunal judiciaire de Nanterre. Avec une question : le « Boléro » était-il une œuvre « collaborative », comme le soutiennent ses ayants droit ? Compte rendu d’une audience électrique.

    À qui profitent les droits du Boléro de Ravel ? L’héritage de la célébrissime partition composée en 1928 déchaîne les passions, presque 100 ans après. Un procès se tenait mercredi après-midi au tribunal judiciaire de Nanterre. Il opposait la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) aux ayants droits de Maurice Ravel. Ces derniers souhaiteraient que le Boléro, tombé dans le domaine public en 2016, soit retenu comme une « oeuvre collaborative », ce qui prolongerait les droits d’auteurs - qui se comptent en centaines de milliers d’euros - jusqu’en 2039. Voire 2051, si l’on prend en compte la date de la mort de la première chorégraphe du ballet, Bronislava Nijinska. France Musique a assisté à l’audience.

    Haro sur la Sacem
    Lorsque l’on demande à un avocat s’il a quelques minutes pour parler de l’affaire du Boléro, il rétorque : « vous n’avez pas plutôt 3h ? », tant l’histoire est rocambolesque. Ce seront finalement près de 2h30 d’une audience où la question centrale sera : Ravel est-il l’unique créateur du Boléro, l’une des œuvres les plus jouées au monde ? 
    Les avocats des ayants droits du compositeur ouvrent le bal. Il concentrent leurs coups sur la Sacem, accusée d’être « opaque, partiale », la Sacem qui inspirerait une « crainte révérentielle » et revendiquerait le « fait du prince », déciderait de qui est l’auteur d’une œuvre « quand ça l’arrange ». « Uniquement sur le Boléro », même, martèle l’avocat de la succession de Ravel, qui pointe aussi des vidéos, des communiqués, où la Sacem se réjouissait de la tombée du Boléro dans le domaine public.

    Pour les ayants droits, le Boléro est bien une oeuvre collaborative. Indissociable du ballet d’origine, créé par Maurice Ravel, mais aussi par la chorégraphe Bronislava Nijinska, et par le scénographe Alexandre Benois. La Sacem a d’ailleurs selon eux mis « beaucoup d’énergie à faire disparaître Nijinska », allant jusqu’à modifier la page Wikipédia du Boléro.

    "La fiction n’a pas sa place dans le prétoire"
    « Faux », rétorque-t-on de l’autre côté de la barre. « La fiction n’a pas sa place dans le prétoire ». Pour la défense, « Ravel n’a cessé de se revendiquer comme le seul auteur du Boléro ». Il a d’ailleurs écrit « mon Boléro », à de multiples reprises. Et le fil rouge, de la mort de Ravel à aujourd’hui, serait l’ « extrême cupidité » de la succession, qui n’a pas hésité à recourir à l’ « optimisation fiscale », à des « sociétés écran », avec de « petits arrangements entre nouveaux amis ». Pour la Sacem, la danse de Nijinska est « détachable » de œuvre, tout comme les décors et les costumes d’Alexandre Benois.

    « Je crois que nous avons compris, à l’issue de cette audience, qu’il y avait un vide énorme de l’autre côté », assène l’une des avocates de la Sacem, Josée-Anne Bénazéraf : « Ce que j’attends, c’est que l’on arrête de salir le nom de Maurice Ravel et qu’on le rétablisse en sa qualité de seul auteur du Boléro. Que le tribunal mette en lumière que tout ce qui nous a été raconté n’est qu’une fiction, qui ne s’appuie strictement sur rien. Il y a un intérêt collectif, et de l’autre côté un intérêt individuel, exclusivement mercantile. »

    Gilles Vercken, avocat de la succession de Maurice Ravel, s’interroge de son côté sur le rôle de la Sacem : « L’enjeu du dossier est de déterminer quel est le pouvoir d’une société de gestion collective de décider, si oui ou non, telle oeuvre comporte un, deux ou trois coauteurs. » Les ayants droits espèrent mettre en lumière « la véritable histoire de la succession de Ravel, traînée dans la boue », estiment-ils, « depuis des décennies ». La décision du tribunal a été mise en délibéré au 24 juin prochain.