Les mots qui blessent, les mots qui soignent... Deux projets artistiques présentés à « The House of Foundation » à Moss (Sud de la Norvège)
Moss est une ancienne petite ville industrielle du sud de la Norvège, à environ une heure d’Oslo, qui vivote doucement et où il ne se passait pas grand chose... Jusqu’à ce qu’un initiative très originale fleurisse dans le centre préservé de la vieille ville : The House of Foundation. Ce lieu multiple - créé en 2009 dans une ancienne fabrique et où l’atmosphère est chaleureuse (n’importe qui peut venir s’assoir, lire ou rêver pendant des heures) sert à presque tout ce qui est « alternatif » en Norvège : librairie/café/centre d’art et d’artisanat/collectif d’artistes/maison littéraire.
Le choix des livres et des journaux, par exemple, est exceptionnel. Pour l’instant, le centre reçoit des subventions publiques sans lesquelles il ne pourrait subsister, mais à en croire les animateurs, il pourrait bientôt « presque » vivre de manière autonome (sans faire de faramineux profits, mais ce n’est pas trop le but non plus...)
►http://www.house-of-foundation.no
Pour les conférences – et il y en a beaucoup – lorsque qu’on a besoin du projecteur et d’un peu d’obscurité, rien n’est prévu sauf une pile de grands sacs poubelle noirs qu’on scotchent à la hâte sur les fenêtres. Ici, tout est bricolé, et c’est sans doute pour ça que tout y est charmant.
J’ai été particulièrement touché par deux œuvres artistiques qui se trouvaient être par hasard côte à côte dans ce foisonnement :
les mots qui blessent, les mots qui soignent...
La première œuvre est de Shwan Dler Qaradaki, un artiste d’origine irakienne qui vit et travaille en Norvège.
▻http://www.qaradaki.com et ▻http://www.qaradaki.com/works.html
▻http://dlerqaradaki.tumblr.com
« Be patient » se présente comme une lettre dont le texte est symboliquement remplacé par du fil de fer barbelé. « Ces mots m’ont fait si mal, ils m’ont profondément blessé » . La lettre, c’est la réponse des autorités norvégiennes qui disent « non ! » à la demande d’asile politique. Demande rejetée ! Dehors ! La brutalité des formules administratives font l’effet d’un rasoir qui coupent la peau en de multiples endroits. La lettre reçu des autorités, ça représente soit la vie, soit la mort. Aussi simple et tragique que cela. Et en attendant de recevoir cette lettre, d’épuiser tous les recours, on dit aux réfugiés, aux demandeurs d’asile : sois patient... »
▻http://www.house-of-foundation.no/utstillinger/oversikt-25-2
Si ces mots peuvent écorcher, griffer, abimer, il faut alors prévoir de quoi cicatriser ces blessures.
C’est exactement le sens du projet de l’artiste danois Morten Søndergaard qui a créé la pharmacie des mots : il a mis sur le marché neuf boites de mots-médicaments après – bien naturellement – les avoir testé pendant longtemps...
▻http://mortensondergaard.net/Apotek.html
Dans cette « pharmacie des mots » (Ordapotek) on y trouve des remèdes sous forme de recommandations : pour telle pathologie, utiliser des verbes et des adjectifs. Parfois il faut utiliser plus d’adverbes ou de pronoms, ou encore des substantifs voire encore dans les cas les plus graves, des chiffres ou des conjonctions (surtout utilisés pour réhabiliter les liens [sociaux ou familiaux])
« Crie ! Cours ! Aime ! Dors ! Meurs ! Vis, l’enfer viendra bien assez tôt ! ». Bien lire la notice avant de commencer à utiliser les verbes. On peut utiliser les verbes sans nécessairement avoir une ordonnance, mais ne jamais dépasser la dose prescrite. En cas d’effet imprévus ou si vous voulez des renseignements supplémentaires, contactez votre écrivain familial.
Ne pas utiliser de verbes si vous craignez d’être froissé ou chahuté, mais en cas de désir de changer le monde (ou de bouger une chose d’une étagère sur une autre), vous pouvez utiliser les verbes en dose maximale prescrite.
L’adjectif est orphelin sans son substantif. Toujours utiliser les deux en combinaison pour le meilleur effet du « médicament ».
Dans chaque boite, une série de mots qui aident, qui aident à aller mieux, à mieux exprimer les idées, ou mieux dire ce qui nous fait mal.
Et toute la notice, toutes les notices (adjectifs, substantifs, etc...) relève(nt) de la même poésie, dans chaque boite, la notice explique en quoi le « médicament » est en « puissante relation » avec les médicaments des autres boites. Avec une idée centrale : utiliser les mots pour soigner et cicatriser les blessures de l’âme.
Cette « pharmacie » est une merveille, il faudrait penser à la traduire (surtout l’adapter) du danois/norvégien en français.