• Le réseau électrique, un système technique qui ne peut être que capitaliste

    Le réseau électrique n’est pas une simple infrastructure technique mais la matérialisation d’une dynamique capitaliste par essence. Par la constitution d’un réseau interconnecté, l’électricité est devenue à la fois une énergie universelle et une marchandise. « Le Réseau interconnecté est une simulation de la concurrence parfaite, c’est-à-dire que les électriciens sont à la fois des planificateurs et des néo-libéraux absolus » 1. Son étude peut donc nous conduire à une compréhension du capitalisme attentive à sa traduction dans des dispositifs matériels, et voir dans quelle mesure ceux-ci maintiennent les humains dans le fétiche du travail, de la valeur, de la marchandise. Dans cette perspective, une première hypothèse serait que les systèmes techniques déployés par le capitalisme portent en eux-mêmes l’empreinte de sa logique, et ne sont pas des outils qu’une civilisation post-capitaliste pourrait récupérer pour son propre usage. Une deuxième hypothèse moins forte serait de comprendre comment tel ou tel système technique maintient ses utilisateurs dans une logique capitaliste, ou bien plus généralement fétichiste. Dans le cas du réseau électrique, on s’attardera sur les catégories propres à la fois à ce système technique et à la marchandise. Telle est notre problématique : trouver dans la matérialité des systèmes techniques le cœur logique qui commande à son extension indéfinie, et l’arrime à celle de marchandise et du travail abstrait. Un premier cas de système technique a été étudié dans ce cadre, l’informatique, en montrant que l’architecture à la fois logique et matérielle de l’ordinateur engageait à une extension indéfini de calculs2.

    Dans le cas des réseaux électriques modernes, voici quelques affirmations péremptoires qui découlent de cette problématique ainsi posée.

    Dans une société capitaliste, l’électricité est naturalisée comme une substance naturelle existant indépendamment du contexte historique spécifique qui en a fait une forme universelle d’énergie. Le concept d’énergie est appréhendé par la science comme un pur concept physique, indépendamment de rapports sociaux spécifiques où l’idée d’une énergie universelle, indépendant de tout usage particulier, s’est matérialisée dans des dispositifs concrets (transformateurs, câbles électriques, organes de coupure et de protection, formant ensemble le réseau électrique). Là où le travail abstrait producteur de marchandise est la forme générale d’activité, indépendante de son contenu particulier, l’électricité dans le réseau électrique est la forme générale de l’énergie indépendamment des appareils particuliers qu’elle alimente. Là où le temps abstrait quantifie le travail abstrait, la quantité d’énergie est la mesure quantitative de l’objectivation de l’usage de l’énergie universelle. Là où le travail concret n’est pas un travail singulier (incommensurable) mais la face concrète du travail capitaliste, les usages concrets de l’énergie universelle ne le sont qu’en étant intégrés au réseau électrique global. Comme dans le cas de l’ordinateur et du travail capitaliste, on distingue donc un double caractère, concret et abstrait, de l’électricité intégrée au réseau. Chaque usage particulier de cette énergie universelle est rapporté à tous les autres, sous l’angle d’une quantité d’énergie (exprimée en Wh, Watt par heure) et du fait que tous ces usages sont physiquement reliés entre eux par le réseau électrique.

    L’électricité est vue de manière fétichisée comme une substance d’énergie par essence universelle à acheminer du producteur au consommateur. C’est ce qu’elle est vraiment au sein de système technique, mais ce qu’elle n’est plus en dehors. C’est le réseau électrique qui actualise le caractère d’énergie universelle de l’électricité. Chaque usage particulier de l’électricité s’insère dans un circuit électrique particulier reliant les éléments concourrant à cet usage. Mais c’est le réseau électrique interconnecté, auquel sont reliés ces circuits et ces appareils, qui en fait une énergie universelle. L’électricité n’est donc pas une simple marchandise, comme la force de travail n’est pas une simple marchandise. Son usage généralisé, son déploiement comme énergie universelle par le réseau électrique, la croissance du réseau et des quantités d’électricité, engendre une totalité qui contraint les usages particuliers de l’énergie à user d’énergie universelle, et donc à se brancher sur le réseau électrique. Se débrancher du réseau électrique tout en souhaitant utiliser l’électricité sous forme d’une énergie universelle, c’est reconstruire le réseau électrique global, en miniature, c’est donc se coltiner localement toute la complexité technique aujourd’hui éclatée en de multiples acteurs et institutions3.

    Au début de son invention, l’électricité est d’abord une technique d’éclairage et popularisée comme telle. D’autres usages séparés se développent aussi, comme les moteurs, fonctionnant à partir d’une électricité produite sur les lieux même de sa consommation. Mais sous le capitalisme, l’électricité va assez rapidement devenir une énergie universelle au sein d’un réseau interconnecté qui se déploie au fur et à mesure de la croissance capitaliste. Ce contexte historique spécifique va sélectionner un type d’électricité particulier, le courant alternatif, pour des motifs qui tiennent au déploiement de ce réseau, et non en vertu d’une supériorité technique intrinsèque. La bifurcation de trajectoire de ce système technique n’est donc pas non plus une simple contingence. La difficulté de revenir en arrière, à un moment où il semblait que le choix entre plusieurs options était possible, doit aussi bien à la totalité que constitue le réseau, qu’à la totalité que constitue l’économie au moment de cette bifurcation à sens unique. Les options techniques une fois devenues dominantes sont à la fois optimales et indigentes, elles verrouillent matériellement ce qui devient une mécanique sociale, au service du déploiement indéfini de sa logique propre4. Les désavantages de ce système technique deviennent alors évidents à un nombre grandissant de personnes, sans qu’elles parviennent le plus souvent à renoncer à ce qui est à la fois un bienfait5 et le moteur de l’extension de ce système, et qui tient dans les deux cas dans le caractère universel et abstrait de son cœur logique. Le développement logique du fétiche de l’énergie universelle est homologue à celui de la machine de Turing universelle (c’est-à-dire l’ordinateur), indéfiniment programmable, et à celui de la force de travail marchandisée, indéfiniment exploitable. Les trois fétiches s’alimentent les uns aux autres chacun selon sa matérialité propre.

    Les gains de productivité consistant à diminuer la part de travail humain immédiat dans la production de marchandises conduisent à remplacer ce travail par celui de machines, dont le fonctionnement repose sur l’usage d’énergie. Le franchissement par le capitalisme des obstacles qui entravent son extension suscite la grande taille de macro-systèmes techniques (MST). Leur croissance continue, crise après crise, induit une « délocalisation de la puissance »6 qui favorise la conception d’une énergie universelle, apte à satisfaire une variété qualitative et quantitative croissantes d’usages. Le premier élément de ces MST est bien entendu la centrale électrique, et typiquement la centrale nucléaire, centrale qui suscite elle-même l’extension du réseau électrique afin d’absorber l’augmentation de l’énergie produite. Le réseau électrique matérialise donc le concept d’énergie universelle, qui elle-même conduit à sélectionner les éléments matériels du réseau les plus aptes à provoquer son extension indéfinie. La question de l’énergie nucléaire, du fait des quantités inédites d’énergie universelles introduites sur le réseau, ne peut être posée sans questionner le réseau électrique lui-même, et donc l’énergie universelle. C’est l’idée même de renoncer aux centrales électriques nucléaires sans renoncer au réseau électrique, du moins dans sa configuration actuelle (c’est-à-dire totalement interconnecté jusqu’au niveau continental), qui paralyse les luttes contre cette forme de production puisque ce refus appelle au remplacement d’un élément par un autre de même type. Il induit ainsi la recherche d’une source d’énergie de substitution, pour répondre aux problèmes posés par le réseau électrique, actualisant ainsi le fétiche d’une énergie universelle dont les humains auraient à se soumettre.

    L’électricité comme mise en relation généralisée

    Lorsque l’on consulte des documents publics sensés vulgariser la gestion du réseau électrique, l’électricité est toujours présentée comme une substance, qui se déplace dans des fils et des composants électriques. Ainsi on parle de « chemins de l’électricité », de « flux », d’« embouteillages » etc. L’électricité serait donc une substance qu’il faut transporter sur de « longues distances » et « distribuer » aux consommateurs. Cette métaphore substantialiste est cependant inexacte. Etant alternatif, le courant électrique se constitue plutôt comme une mise en relation généralisée et universelle des éléments matériels qui constituent le réseau électrique, à une fréquence d’oscillation donnée (50 Hz en France, soit 50 oscillations par seconde), qui est la même en tout point du réseau. Les centres de « dispatching » se servent de cette fréquence pour vérifier l’équilibre du réseau (cf. Figure 1 et Figure 2), une baisse de la fréquence signalant une consommation d’énergie trop importante par rapport à ce qu’est capable de fournir le réseau.

    Si le courant électrique s’écarte de la fréquence et de la tension prévus, cela endommage ou réduit la durée de vie tous les appareils électriques branchés sur le réseau, car leur fonctionnement présuppose que ces niveaux prévus soient respectés7.

    14 mai 2013.

    (1) Jacques Lacoste, « Interconnexion des réseaux d’énergie électrique. Raisons et enjeux de l’interconnexion en France 1919-1941 », Cahier / Groupe Réseaux n°4, 1986. pp. 105-141.
    (2) "Les dynamiques du déferlement informatique. De la machine de Turing à la production marchande" in Le monde en pièces. Pour une critique de la gestion, Groupe Oblomoff, Paris, La Lenteur, 2012.
    « Au plus près de la machine » in Le monde en pièces tome II, Paris, La Lenteur, à paraître.
    (3) On répond ici de façon raccourcie à la question qui est à l’origine de ce texte : que faire du réseau électrique de distribution (la partie la plus « locale » du réseau électrique) dans la perspective d’une autogestion relocalisée du réseau électrique ? Justifier cette réponse demanderait une étude plus complète, pas simplement technique, mais aussi sur le genre de collectif ou d’institutions qui pourrait concrètement porter un telle projet.
    (4) Les gestionnaires du réseau électrique affirment ainsi tout le temps que l’électricité ne se stocke pas, naturalisant ainsi la bifurcation de ce système technique vers la gestion et l’actualisation de l’électricité comme énergie universelle. Et justifiant ainsi la nécessité impérieuse de leur propre activité… A l’origine du réseau électrique, le principe d’une énergie électrique stockable, donc produite et consommée localement, n’était en effet pas compatible avec le développement sous le capitalisme des usages de l’électricité. Cela pourrait éventuellement évoluer, à la marge, et sans pour autant remettre en cause la catégorie d’énergie universelle. Compris dans un sens purement technique, le réseau électrique permet de « mutualiser » la production et la consommation d’énergie, en diminuant les décalages entre production et consommation, donc de s’éviter tout ou partie du stockage de l’énergie. Cependant le réseau électrique, en matérialisant une énergie universelle, engage son usage dans une extension indéfinie. Pour ne pas conduire à un blackout global, toute énergie consommée en un point du réseau doit être produite ailleurs.
    (5) A titre d’exemples, la coopérative française Enercoop et les scénarios de sortie du nucléaire de l’association Sortir du nucléaire se basent sur la catégorie d’énergie universelle, même si il est vrai qu’en remettant en cause le chauffage électrique, on pourrait faire un pas de plus vers une critique de cette catégorie.
    (6) Alain Gras, Grandeur et dépendance. Sociologie des macro-systèmes techniques, 1993, PUF.
    (7) La notion d’équilibre entre consommation et production n’a pas de sens hors de l’existence de telles normes de fonctionnement des appareils électriques. En effet, sur un plan strictement physique, production et consommation s’équilibrent de toute façon. La nature de la norme est que c’est l’appareil le plus contraignant qui impose tel seuil. Dans la perspective d’une déconnexion ou d’une relation plus lâche au réseau, il faudrait donc préciser ce qui, par delà les normes, relève effectivement d’un risque pour tel ou tel type d’appareil.

    #réseau_électrique #critique_du_capitalisme #postone

  • De l’électricité sans réseau ?

    Réflexions sur les possibilités d’une (auto)gestion décentralisée de l’énergie électrique

    mai 2013

    « Le Réseau interconnecté est une simulation de la concurrence parfaite,
    c’est-à-dire que les électriciens sont à la fois des planificateurs et des néo-libéraux absolus
     »

    « La France est le pays – par excellence – de l’interconnexion électrique » 1

    (1) Jacques Lacoste, « Interconnexion des réseaux d’énergie électrique. Raisons et enjeux de l’interconnexion en France 1919-1941 », Cahier / Groupe Réseaux n°4, 1986. pp. 105-141.

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    Introduction

    Notre époque est paradoxale. Alors que les débats et les réflexions sur l’énergie semblent être amenés à s’étendre, notre situation de consommateur reste banalement inchangée, au sens où nous demeurons radicalement éloignés de conditions qui nous donneraient prise sur une quelconque réalité matérielle. Pourtant, le fait premier est l’étrangeté des infrastructures qui nous pourvoient en énergie. Nous vivons dans un univers étranger aux macro-systèmes techniques dont nous dépendons. Cela vaut d’ailleurs aussi pour les salariés des entreprises qui gèrent ces systèmes, n’ayant qu’une vision localisée de ce que fait leur entreprise.

    Malgré cette situation, il peut être utile d’établir une sorte d’inventaire de ce qui existe, tant au niveau technique qu’au niveau institutionnel, et de replacer ces éléments dans la perspective historique d’une réappropriation – ou de ce qui l’empêche. Dans le cas de l’électricité – qui est l’objet de ce texte – notre approche sera de réfléchir systématiquement à partir du réseau électrique, et de questionner son existence au regard de ce qu’il nous permet de faire, et ce qu’il nous empêche de faire. Pourquoi un tel réseau, qui a pris aujourd’hui une taille continentale, a-t-il été développé, alors même que notre attention demeure focalisée sur les questions de production d’électricité ? Qui sont les acteurs qui gèrent et développent ce réseau ? Est-ce que l’on peut envisager une réappropriation par ses utilisateurs, à l’échelle très locale, de l’énergie électrique via ce réseau ?

    Par ailleurs, ce questionnement général trouve une actualité certaine dans le développement de la production dite "décentralisée" raccordée au réseau, qui lui-même reste dans l’angle mort des débats. Pourtant la structure et la gestion réseau découlent largement de la présence de grosses centrales assurant l’essentiel de la production. En l’état actuel le réseau s’accommoderait très mal d’une situation inversée, où la production serait essentiellement le fait de petits producteurs. L’équilibre du réseau est en effet géré par le « haut », c’est-à-dire en France par RTE au niveau des centres de dispatching commandant à distances les grosses unités de productions et les importations-exportations avec les réseaux des pays voisins européens. Plus localement, le réseau de transport n’est pour l’instant qu’une structure figée arborescente abreuvant les 35 millions de consommateurs, et essentiellement alimentée par le réseau de transport situé en amont.

    Le réseau électrique apparaît en effet comme une boîte noire, une infrastructure sur laquelle on peut compter et sur laquelle il n’y a qu’à brancher des producteurs et des consommateurs. Il nous faut questionner l’évidence de ce réseau pour comprendre ses effets propres. Mais le questionnement n’est pas uniquement technique car l’histoire de ce réseau s’insère pleinement dans une dynamique capitaliste. Celui-ci s’est en effet développé en faisant abstraction des usages, cette abstraction donnant au réseau une souplesse qui lui permet de s’adapter aux différentes étapes historiques de cette dynamique : hier, l’électrification du territoire et la centralisation de la production, aujourd’hui, un marché éclaté en multiples acteurs et techniques de production sollicitant d’avantage le réseau dans ses dimensions propres (gestion de l’équilibre).

    Un réseau, quel réseau ?

    Précisions d’emblée ce que recouvre la notion de réseau dans le cas du réseau électrique. Selon Alain Gras1, l’usage visé de l’énergie au sein d’un macro-système technique (MST) est d’abord une « délocalisation de la puissance », une énergie extraite en un lieu donné et diffusée sur un vaste territoire appréhendé au travers de ce MST. C’est bien en effet comme cela que nous apparaît le réseau électrique, dont le maillage serré innerve l’ensemble des territoires urbains et ruraux, et diffuse une énergie « universelle » prête à l’emploi, indépendante des usages, produite et gérée on ne sait comment.

    Mais l’existence d’un tel système ouvre au moins deux questions. Pourquoi une énergie universelle, et pourquoi pas plutôt des types d’énergie différenciés, pour des usages eux-mêmes différents ? Pourquoi un réseau d’un seul tenant, et pas une multitude de petits réseaux ? Si l’on remonte aux débuts de la constitution du réseau électrique (1870-1890), ces deux aspects n’allaient en effet pas de soi. L’électricité était d’abord une technique d’éclairage et popularisée comme telle. D’autres usages comme les moteurs se développent ensuite, via une électricité autoproduite sur les lieux même de sa consommation. Il peut donc être utile de remonter aux prémisses historiques du réseau électrique, pour se défaire de certaines évidences.

    (2) Alain Gras, Grandeur et dépendance. Sociologie des macro-systèmes techniques, 1993, PUF.

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    Les débuts historiques du réseau électrique

    Jusque vers 1920, la situation en France est celle où coexistent des réseaux locaux non reliés entre eux, alimentés par une centrale de production unique, dont la gestion incombe à une régie municipale ou est déléguée à une entreprise. En France, les premières interconnexions créées relient les centrales hydroélectriques du Massif central au réseau pour alimenter Paris, en combinaison avec les centrales alimentées par charbon (voir Figure 3).

    Comment s’est constituée l’interconnexion des réseaux électriques locaux, jusqu’à former aujourd’hui un réseau européen continental standardisé ?

    La bataille américaine des courants

    Aux Etats-Unis dans les années 1890, des groupes industriels privés s’opposent agressivement sur un marché naissant. Le réseau électrique est vu comme un « monopole naturel », c’est-à-dire comme une infrastructure matérielle pourvoyeuse de revenus et qui n’a pas vocation à être dupliquée. Deux options techniques s’affrontent, avec leurs avantages et leurs inconvénients. Le réseau électrique étant vu comme monopole naturel, il entraîne aussi que ces deux options sont considérées comme incompatibles l’une avec l’autre.

    La première option est celle du courant électrique continu. L’autre est celui du courant alternatif, technique développée dans un deuxième temps. C’est finalement le courant alternatif qui l’emporte. Mais pourquoi ? Aujourd’hui, la vision de l’histoire est celle du vainqueur. Quand on se demande pourquoi on utilise du courant alternatif, la réponse est que cela permet de l’acheminer sur de plus longues distances, au contraire du courant continu1. Par cette réponse, on présuppose la nécessité de délocaliser la production électrique, donc la nécessité d’un réseau électrique.

    Bien qu’aux Etats-Unis le courant alternatif s’impose rapidement après les années 1890, la situation n’est pas la même en Europe. Notamment en Grande-Bretagne, où le contexte institutionnel est différent. La loi stipule alors que les entreprises auxquelles les municipalités déléguaient la gestion du réseau électrique ne pouvaient pas se regrouper ou coopérer entre elles2. Jusque dans les années 1920, cette pluralité de marchés indépendants les uns des autres permettait de rendre viable économiquement la technique associant courant électrique continu et accumulateurs (pour stocker l’électricité produite et mieux répartir l’alimentation électrique dans le temps), au contraire des Etats-Unis où le processus d’interconnexion en courant alternatif et sans stockage d’énergie était engagé.

    Les raisons de l’interconnexion

    La situation des Etats-Unis en 1890 est donc celle d’une normalisation précoce, au regard de la construction d’un réseau électrique standardisé dans un contexte capitaliste. Ce n’est qu’au regard de cette dynamique capitaliste que la solution technique du courant alternatif s’est substituée complètement à celle du courant continu, et non pas en vertu d’une supériorité intrinsèque du courant alternatif3. Aux Etats-Unis, pendant la période de transition où les deux systèmes coexistaient encore, l’invention du « convertisseur rotatif » a permis de coupler les vieilles centrales à courant continu et leurs réseaux d’alimentation aux nouvelles lignes de transport à longue distance de courant alternatif à haute tension4. Cependant une fois la trajectoire d’interconnexion engagée, la solution des petits réseaux non reliés entre eux n’est plus viable. Plutôt que le stockage et l’autoproduction sur place d’énergie, sous contrôle municipal, c’est la grande taille du réseau qui permet d’équilibrer consommation et production, dans une course aux économies d’échelle qui favorise la construction de grosses usines de production (charbon, hydraulique). Mais cette grande taille nécessite aussi une gestion centralisée (voir plus loin), reléguant les municipalités au seul rôle du développement du réseau électrique, notamment dans les zones rurales, ce réseau étant systématiquement relié et alimenté par le réseau global (ce que l’on appelle le réseau de transport).

    La logique réticulaire permet une croissance continue de la demande et des capacités de production5, en accord avec la dynamique capitaliste se saisissant du concept d’énergie comme marchandise et comme catégorie générale, indifférente aux usages particuliers. Par dynamique capitaliste, il ne faut pas entendre ici le capitalisme au sens restreint d’une mise en concurrence sur un marché, mais bien d’une mise en rapport abstraite et quantitative du travail humain, indifférente au caractère particulier et concret de chacun des travaux. Quand le travail-marchandise devient médiation sociale6, l’énoncé du problème de l’énergie demeure « comment produire le plus possible d’énergie au moindre coût ». Le domaine énergétique induit donc une activité marchande particulièrement pure, du fait d’un soubassement scientifique et technique qui conduit à naturaliser un concept d’énergie indifférente aux usages. De fait, les Etats relaieront les entreprises privées lorsque celles-ci se montreront par trop incapables de poursuivre la dynamique capitaliste, comme ce fut le cas en France dès les années 1930. Le congrès de la CGT de 1937 est une première attaque contre un « patronat malthusien » en vue d’une nationalisation du macro-système électrique. La substitution de l’entreprise publique EDF aux entreprises privées en 1946 intervient comme l’aboutissement logique d’une intervention de plus en plus directe de l’Etat7, notamment dans l’achèvement de l’interconnexion des réseaux entamée dans les années 1920.

    (3) Ce qui est vrai à l’époque, mais pas aujourd’hui. Dans leur cours, Lasne, Gianduzzo et Geoffroy mentionnent que le courant continu devient économiquement avantageux à partir de 800 km de longueur de lignes. On parle aujourd’hui d’HDC (High Voltage Direct Current) ou CCHT (courant continu haute tension) pour désigner le transport de courant continu électrique à grande distance et que l’on trouve sur toutes les installations pharaoniques réalisées (barrage des Trois-Gorges en Chine) ou en projet (DESERTEC, alimenter l’Europe via des centrales solaires thermiques géantes dans les déserts nord-africain).
    (4) Bunn, David, Flux, n°6, 1991, p.41.
    (5) « Il ressort de la lecture des revues techniques et des magazines de l’époque qu’il n’y eut pas un consensus immédiat sur les mérites respectifs des deux sortes de courants. Il y avait des chercheurs et des inventeurs respectés, qui avaient participé aux débuts de l’industrie électrique, qui refusaient de reconnaître la supériorité technique du courant alternatif. Et de fait le courant continu se révéla également susceptible d’améliorations qui à la fois mettaient en valeur ses avantages spécifiques et élargissaient les conditions dans lesquelles il était compétitif. », Bunn, David, Flux, n°6, 1991, p.39.
    (6) Bunn, David, Flux, n°6, 1991
    (7) C’est la même logique qui joue pour Internet, où l’on voit se développer des data centers absoluement gigantesques, comme celui de Google qui compte deux millions d’ordinateurs.
    (8) Postone, 2009, pp.221-235.
    (9) Poupeau, 2004, p.12.

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    Le courant électrique

    Lorsque l’on consulte des documents publics sensés vulgariser la gestion du réseau électrique, l’électricité est toujours présentée comme une substance, qui se déplace dans des fils et des composants électriques. Ainsi un parle de « chemins de l’électricité », de « flux », d’« embouteillages » etc1. L’électricité serait donc une substance qu’il faut transporter sur de « longues distances » et « distribuer » aux consommateurs.

    Pourtant, le courant électrique présent sur le réseau électrique actuel est alternatif, et si l’on suit la métaphore substantialiste, le courant ne ferait qu’osciller en tout point du réseau, à une fréquence unique et constante (50 Hz en France, soit 50 oscillations par seconde). Le courant électrique alternatif ne se déplace donc pas d’un endroit à un autre du réseau : il se constitue plutôt comme une mise en relation généralisée et universelle des éléments matériels qui constituent le réseau, à une fréquence d’oscillation donnée. Cela explique que les centres de « dispatching », qui gèrent l’équilibre global du réseau électrique, surveillent que la fréquence du réseau reste proche du niveau standard (cf. Figures 3 et 4), une baisse de la fréquence signalant une consommation trop importante.

    (10) Voir par exemple le « Blog du transport de l’électricité » : http://www.audeladeslignes.com/aiguilleurs-electricite-reseau-regional-haute-tres-haute-tension-67

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    Le réseau électrique actuel

    Les niveaux de tensions HTB, HTA, BT

    Le réseau électrique actuel est divisé selon un schéma arborescent, des plus hautes tensions vers les plus faibles.

    Au niveau le plus élevé correspond le réseau de transport, géré en France par RTE (8 500 salariés). La gamme des tensions se nomme HTB, elle varie de 63 000 V à 400 000 V. 628 centrales de production sont connectées à cette partie du réseau.

    La partie « avale » du réseau est le réseau de distribution, géré en France par ERDF (36 000 salariés) pour l’essentiel, et pour 5% du réseau par 26 autres entreprises, dites ELD (entreprise locale de distribution). Entre le réseau de transport et le réseau de distribution se trouvent les postes sources, transformant le niveau de tension HTB en HTA (20 000 V, 15 000 V). Le courant HTA est ensuite transformé en basse tension, BT (400V1), par des postes de transformation pour alimenter quelque 35 millions de clients. Pour donner une idée, un poste HTA/BT peut alimenter une centaine de maisons individuelles.

    Il est important de bien distinguer le réseau de transport et le réseau de distribution car ils ne sont gérés de la même façon. La raison est que la production électrique est très fortement centralisée, avec un petit nombre d’unités de production qui alimente le réseau de transport. Cette différence est amenée à être remise en question avec le développement d’unités de production plus petites reliées au réseau de distribution. Dans l’optique d’une réappropriation du réseau électrique, c’est évidemment le réseau de distribution (en particulier BT) qui est le plus intéressant. Cependant, ce réseau dans son fonctionnement actuel est tout à fait dépendant du réseau de transport, ce qui oblige à l’étudier lui aussi.

    Les éléments du réseau

    Le réseau électrique est essentiellement constitué de transformateurs et d’organes de coupure, reliés par des lignes électriques, aériennes ou souterraines.

    Au niveau le plus local du réseau (réseau BT), les transformateurs HTA/BT sont enfermés dans des postes électriques de type divers (au pied d’un immeuble, dans un abri en parpaing, souterrain, fixé à un poteau…). Ils sont alimentés par le réseau HTA ou bien dans quelques rares cas par un producteur HTA, et transforment le courant HTA en courant BT, distribués aux consommateurs BT via plusieurs départs BT.

    Les organes de coupures fonctionnement comme des interrupteurs, ils permettent d’isoler manuellement ou automatiquement une portion du réseau. Certains d’entre eux sont télécommandables à distance, via un réseau telecom ou hertzien, par un centre de téléconduite (ou dispatching), ce qui permet donc de brancher ou débrancher certaines portions du réseau et leurs consommateurs. Les organes de coupures peuvent être dans des postes ou isolés sur le réseau.

    Les activités du gestionnaire du réseau

    Pour se représenter ce que fait un gestionnaire de réseau, on peut citer les différents types d’activité que l’on trouve chez ERDF :
    • L’exploitation du réseau : il s’agit du personnel intervenant physiquement sur le réseau pour son entretien.
    • Le développement du réseau : il s’agit de bureaux d’étude dessinant l’évolution du réseau (nouveaux postes, nouvelles lignes, enfouissement des réseaux aériens etc.) et du personnel supervisant ou réalisant les chantiers de construction.
    • Le raccordement du réseau : relation avec les clients dans leur raccordement physique au réseau électrique.
    • La conduite du réseau : il s’agit du personnel présent dans les centres de dispatching agissant à distance sur le réseau, via un système de télécommunication ouvrant ou fermant des interrupteurs.

    La conduite du réseau est intéressante à explorer. Bien que n’occupant qu’une minorité du personnel de l’entreprise, elle permet de comprendre le fonctionnement du réseau à travers sa fonction essentiel : la gestion de l’équilibre permanent entre production et consommation de l’électricité transitant sur le réseau.

    (11) Le courant électrique est triphasé, c’est-à-dire porté par 3 fils différents. En BT, 400V correspond à la tension composée efficace (tension entre deux fils), ce qui correspond à 230V =400*racine(3) de tension simple efficace (tension entre le fil de phase et le neutre, celle utilisée par le consommateur BT, c’est-à-dire nous).

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    La gestion de l’équilibre production-consommation

    Avant d’entrer dans le descriptif des techniques de gestion de l’équilibre entre consommateurs et producteurs électriques du réseau, imaginons une installation autonome sans réseau, réunissant à portée de main la production d’énergie électrique et l’outillage électrique à alimenter avec cette production. Si je veux faire fonctionner un appareil électrique (mon lave-linge), je ne vais pas me contenter d’appuyer sur le bouton "On", mais je vais d’abord vérifier si la puissance et une autonomie électrique suffisante sont disponibles. C’est précisément en réalisant cette opération "sur un coin de table", celle consistant à m’assurer que j’ai les moyens électriques des mes ambitions du moment, que je me passe du réseau électrique. Le réseau électrique n’est rien d’autre qu’une infrastructure géante à qui je délègue ces opérations.

    Les automatismes de protection

    L’équilibre du réseau est appréhendé au travers de deux paramètres électriques : fréquence et tension du courant électrique. La fréquence est unique dans tout le réseau et doit rester autour de 50Hz1. La tension elle aussi doit être fixe (400V en BT). Si le courant électrique s’écarte de la fréquence et de la tension prévus, cela endommage ou réduit la durée de vie tous nos appareils électriques dont le fonctionnement présuppose que ces niveaux prévus sont respectés2. C’est pourquoi le réseau électrique comporte de nombreux automatiques détectant les écarts, et déconnectant producteurs et consommateurs à partir de certains seuils. Ces systèmes de délestage automatiques, indispensables pour protéger les appareils, sont aussi responsables de réactions en chaînes qui peuvent se propager sur l’ensemble du réseau, très rapidement3 et de manière parfois innatendue.

    Les automatismes de réglage

    A tout moment, nous dit-on, la quantité d’électricité consommées doit être égale à la quantité produites. Et cela parce que l’électricité "ne se stocke pas". On nous dit aussi que, du fait de cette absence de stockage, c’est l’interconnexion généralisée qui permet l’équilibre global entre consommation et production, puisque les variations de chaque unité (production ou consommation) sont noyées dans la masse, compenser par l’action de toutes les autres. Le réseau est alors vu comme la mutualisation rationnelle des moyens de production, se soutenant les uns les autres en cas d’incidents.

    Remarquons que même avec le stockage d’énergie, cette contrainte de l’équilibre demeure. Quant à l’interconnexion généralisée, elle ne résout pas vraiment le problème de l’équilibre entre consommation et production. Par ailleurs, la structure du réseau est largement figée. Par structure, il faut entendre la topologie (les liens électriques entre les différents éléments) et les caractéristiques électriques (comme la quantité maximum d’électricité qui peut transiter dans telle lignes) qui sont autant de contraintes matérielles fixées au moment de la construction du réseau.

    En fait, la plupart des éléments de l’équilibre sont donnés dès le départ, et choisis par les ingénieurs à partir des hypothèses qu’ils peuvent faire sur la consommation d’une part, la production d’autre part. Cette planification est cruciale pour l’équilibre du réseau. Au jour le jour, la gestion de l’équilibre-production ne peut se faire qu’à partir d’un nombre relativement restreints de paramètres : activation des réserves de production dans certaines centrales et ouverture d’interrupteurs pour déconnecter les consommateurs.

    Sur le réseau de transport

    Le réseau électrique est principalement alimenté par de gros centres de production connectés au réseau de transport4. Dès lors, le réglage de la fréquence et de la tension est principalement assuré par ces centrales de production.
    Une partie du réglage est automatique est réalisé au niveau même de ces producteurs (réglages primaire et secondaire). Toute variation de vitesse de rotation de l’alternateur de la centrale provoque la même variation de la fréquence du courant électrique du réseau connecté à la centrale. Ainsi le régime (vitesse de rotation) de l’alternateur est détecté et régulé par un mécanisme modifiant la puissance débitée, par exemple en agissant sur l’ouverture de la vanne dans le cas d’une centrale hydraulique.

    Si ces automatismes de suffisent pas à régler la fréquence, il faudra l’ajuster « manuellement » en agissant plus directement sur les centrales. Par ailleurs, la planification de l’équilibre production-consommation est réalisée par le gestionnaire du réseau de transport.

    Le réglage de la tension a lieu aussi plus localement, au niveau des transformateurs. Dans les postes sources HTB/HTA, interfaces entre le réseau de distribution et le réseau de transport, les transformateurs sont équipés de « régleur en charge », qui est un automatisme ajoutant ou supprimant des spires sur les enroulements du transformateur, de façon à compenser les petites variations de tensions sur le réseau autour d’une valeur fixée (la consigne). Mais au-delà de ce réglage, la valeur de la consigne étant fixée, c’est bien le réseau de transport qui gouverne l’équilibre du réseau HTA.

    Sur le réseau de distribution

    La puissance du transformateur est choisie en fonction des puissances appelées (i.e. consommées) par le réseau qu’il alimente.
    Pour le réseau BT, on peut dire que les possibilités d’ajustements en temps réel entre la consommation et la production sont inexistantes : dans les postes HTA/BT, les transformateurs sont réglés manuellement et hors tension5, pour délivrer tel niveau de tension. C’est dire si le réseau BT est dépendant du réseau amont à l’heure actuelle.

    (12) La fréquence du réseau européen est lisible en temps réel sur le site de l’ENTSO-E (European network of transmission system operator for electricity) : https://www.entsoe.eu/system-operations/the-frequency
    (13) La notion d’équilibre entre consommation et production n’a pas de sens hors de de l’existence de telles normes de fonctionnement des appareils électriques. Sur un plan strictement physique, production et consommation s’équilibrent de toute façon. La nature de la norme est que c’est l’appareil le plus contraignant qui impose tel seuil. Dans la perspective d’une déconnexion ou d’une relation plus lâche au réseau, il faudrait donc préciser ce qui, par delà les normes, relève effectivement d’un risque pour tel ou tel type d’appareil.
    (14) "(...) compte tenu de l’inertie mécanique relativement faible de certains composants des systèmes électriques (groupes de production et moteurs) et de la grande vitesse de propagation des phénomènes, les réseaux THT créent un couplage dynamique très fort entre les moyens de production, d’une part, et les charges (consommation), d’autre part. Du fait des interconnexions internationales, une perturbation importante en Europe du Nord peut être ressentie quelques secondes plus tard en Europe du Sud.", G. Testud, P. Bornad, M. Pavart, Réseau d’interconnexion et de transport : fonctionnement, 2005, Ed. de l’Ingénieur.
    (15) En 2004 en France, 95% de la production d’électricité est injectée sur le réseau de transport. Source : JL Fraisse, La production décentralisée raccordée au réseau public de distribution, présentation 02/12/2004.
    (16) Par la prise à vide transformateur.

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    Le réseau et la marchandise

    Réseau et dynamique capitaliste

    Comme la gestion de l’équilibre électrique est réalisé au niveau global et que l’électricité est une marchandise, le système tend à s’étendre du moment que le client paie l’électricité qu’il consomme. La gestion de l’équilibre consiste à toujours fournir l’électricité qui est consommée. Le « métier » d’un gestionnaire de réseau est de s’adapter aux nouveaux usages de l’électricité, et plus exactement de savoir faire payer suffisamment ces usages pour délivrer un service capable de les satisfaire. Chaque extension du domaine des usages (par exemple, les véhicules électriques) est l’occasion d’une mobilisation d’une ingénierie qui doit répondre à ces « besoins », avec les proclamations habituelles en forme de « défis » qui vont la joie des nouveaux projets.

    On reconnait dans ce mouvement la structure de la forme marchande dans sa dynamique à deux faces :
    • Une face abstraite qui représente la dimension permanente d’un ressort qui s’apparente à un automatisme : ici, acheminer de l’énergie du moment qu’elle soit payée
    • Une face concrète constituée par les activités humaines répondant au coup par coup aux contraintes imposées par le pôle abstrait de la dynamique : ici, construire et organiser une gigantesque infrastructure technique imparfaitement résumée par une métaphore, « le réseau ».

    Impact de la production décentralisée sur le réseau

    La production décentralisée sollicite la gestion du réseau de distribution sur un domaine qu’il n’a pas l’habitude (ni les moyens techniques) de gérer : la gestion de l’équilibre du réseau à travers le réglage de la fréquence et de la tension. La difficulté réside moins dans le caractère décentralisée de la production que de son caractère intermittent, du fait de l’origine des énergies primaires : vent, soleil. Dans un premier temps la présence d’une production décentralisée oblige à revoir le genre d’étude de raccordement que l’on faisait auparavant (et ce que l’on appelle le « plan de tension » c’est-à-dire les règles que l’on se donne pour assurer la tension constante 400 V à délivrer sur le réseau BT). Dans un deuxième temps, il se pose un problème de conduite dans la mesure où la production électrique en un point donné n’est plus constante.

    Malgré l’éventail des solutions possibles, on s’oriente néanmoins vers une complexification croissante du réseau électrique « local », l’installation de nouveaux matériels en nombre gigantesque (des millions de nouveaux compteurs et concentrateurs). Une nouvelle étape dans l’informatisation de cette gestion s’amorce ainsi (smart grid), à la grande satisfaction des acteurs économiques du domaine. Le qualificatif d’« intelligent » masque le fait que l’on déjà répondu à une question avant même de l’avoir posée : comment gérer l’équilibre du réseau ? Les « smart grid » sont en fait la réponse toute faite à cette question en continuité avec les exigences de la dynamique marchande : produire un environnement tel que l’électricité peut demeurer une marchandise, en dépit de toutes les complications que cela oblige à générer. Loin de remettre en cause la forme marchande de l’énergie, les motifs écologiques de la production décentralisée viennent alimenter un nouvel espace marchand à construire. Un des éléments techniques essentiels dans cette construction est le compteur communicant (aussi appelée « compteur intelligent », en France le fameux « Linky » « proposé » par ERDF).

    Les compteurs intelligents : le rationnement piloté à distance

    Une expérimentation en Bretagne peut aider à comprendre à quoi serviront les nouveaux compteurs (Linky). La Bretagne produit moins de 10% de l’électricité qu’elle consomme17 et un des enjeux du gestionnaire de réseau est de « sécuriser » l’approvisionnement en électricité, c’est-à-dire de limiter les coupures et les désagréments ressentis par les consommateurs finaux. L’expérimentation a lieu sur les deux îles Houat et Hoedic, alimentées par un unique câble de 20 kV. Les consommateurs sont équipés des compteurs commandés par l’agence de conduite de Rennes, via des concentrateurs situés dans chaque poste HTA/BT alimentant les consommateurs. L’agence a la capacité de réduire la charge électrique (c’est-à-dire l’électricité consommée) de façon répartie, de façon à ce que chaque consommateur ait un minimum d’électricité disponible, au lieu de procéder aux délestages habituels fonctionnant en mode « tout ou rien » (on déconnecte une grappe de consommateurs le temps que la production ne revienne à niveau qui permet de les réalimenter). L’agence de conduite agit également de façon coordonnée sur un groupe électrogène situé sur l’île et sur un ensemble de sites de productions photovoltaïques.

    (17) On peut dire qu’une des raisons principales est que le projet du site nucléaire de Plogoff est le seul que le mouvement anti-nucléaire a réussi à faire échouer.

    #réseau_électrique #critique_du_capitalisme #postone

  • Chevalle Majiq

    https://chevallemajiq.bandcamp.com/releases

    Vos bancs Vauban
    https://www.youtube.com/watch?v=1w0pj98-9mY

    Ils construisent
    Des immeubles vides
    Ils construisent
    Des hypermarchés
    Ils construisent
    Des écoles publiques
    Ils construisent
    Des entreprises privées
    Ils construisent
    Des zones de partage
    Ils construisent
    Des bases de loisirs
    Ils construisent
    Des pôles d’échange
    Ils construisent aussi
    Des espaces verts

    REFRAIN
    Ils construisent des bancs / Où on peut pas s’asseoir
    Ils construisent des places / Nettes et sécurisées
    Ils mettent de la mousse / Sous les balançoires
    Et des digicodes / A toutes les entrées

    Ils construisent
    Des usines chimiques
    Ils construisent
    Des centrales nucléaires
    Ils construisent
    Des domaines skiables
    Ils construisent
    Des stations balnéaires
    Ils construisent
    Des parcs éoliens
    Ils construisent
    Des zones commerciales
    Ils construisent
    Des gendarmeries
    Ils construisent aussi
    Des espaces verts

    REFRAIN

    Ils construisent
    Des tours à Dubaï
    Ils construisent
    Des murs végétalisés
    Ils construisent
    Des tribunaux
    Ils construisent aussi
    Des ronds-points carrés
    Ils construisent
    Des salles de sport
    Ils construisent
    Des ascenseurs
    Ils construisent
    Des aéroports
    Ils construisent aussi
    Des espaces verts

    Ils vivent dans un monde
    En images de synthèse
    Avec des gens heureux
    Hyper-propres et stylés

    Sans problèmes et sans poils
    Qui s’rangent bien dans les cases
    Les cases bien carrées
    Qu’ils ont dessinées
    Ils détruisent
    Ils détruisent
    Ils détruisent
    C’est moins cher que réparer

    Ils construisent
    Des open-spaces
    Ils construisent
    Des prisons blindées
    Ils construisent
    Des salles d’attentes
    Ils construisent
    Des rues blanches pavées
    Ils construisent
    Des cités en carton
    Ils construisent
    Des villas sur la côte
    Ils construisent
    Des centres de rétention
    Ils construisent aussi
    Des espaces verts

  • https://www.youtube.com/watch?v=AfzhfvBCrYQ

    Deux belles crapules libertariennes qui nous parlent de « vrais prix » et satisfont impeccablement à la ligne de Thinkerview (on a tout compris nous, tout va s’effondrer, surtout ne pas paniquer, le chacun pour soi est inévitable). Une critique anti-élite comme si ces gens qui ont fait carrière dans la gestion de patrimoine des riches n’en faisaient pas partie. Au delà de cette ligne, le format fleuve de l’émission où l’invité se permet de monologuer avec assurance avec très peu de contradictions (ou aucune ici) m’interroge.
    Il y a en tout cas chez les invités de cette émission une naturalisation imbécile car auto-satisfaite de toutes les catégories de l’économie, qui fait que les « canards sans tête », ce sont eux, et pas seulement les « politiques », vaste catégorie rituellement dénoncée et qui serait finalement la cause dernière de l’effondrement individualiste qui vient.

    #discussions-de-comptoir #thinkerview

  • "Je travaille et je ne veux pas être payé pour cela..."

    Texte écrit peu avant mon boulot de merde de distributeur de prospectus...

    « Et toi tu fais quoi ? »... Cette question revient sans cesse quand une personne inconnue me rencontre, et quand elle me demande « ce que je fais », c’est qu’elle veut savoir quel est mon travail. Je suis toujours gêné de répondre, car je n’ai pas de travail au sens de la société marchande où je suis né, mais dont je suis un dissident. Seul un flux d’argent vient valider socialement une activité. Sans cela, ce n’est pas du travail, mais une simple occupation ou un loisir, et non un rôle social reconnu, une contribution légitime, un service rendu à la société.

    Donc au sens strict, je n’ai pas de travail. Mais pourtant, je suis actif, je prends au sérieux mon activité, j’y mets un grand soin. Ce n’est pas une activité solitaire, elle demande au contraire de coopérer avec autrui, des moments d’organisation et de planification. C’est une activité reconnue comme utile, des personnes me remercient. Elle a aussi une dimension matérielle, elle relève de l’autoproduction, au sens où d’ordinaire ce sont des professionnels dûment rémunérés qui s’en chargent. Au sens économique ce n’est pas du travail, donc, mais elle possède bien des dimensions qui peuvent faire penser à du travail. 

    Je pourrais donc peut-être répondre à mon interlocuteur que je travaille, mais naturellement ce serait l’induire en erreur. Pour être plus précis, je pourrais lui répondre que je travaille mais que je ne reçois pas d’argent pour cela. Dans ce cas, il pourrait simplement penser que je suis bénévole dans une association, et que je reçois une rémunération par ailleurs pour subvenir à mes besoins. Cependant, être bénévole reste une activité dont le statut est inférieur à celle d’un professionnel. Un bénévole est souvent moins bien formé et, dans beaucoup d’associations, il ne fait que passer, à l’inverse d’un salarié attaché à des horaires de travail et à une organisation contraignante. En outre, un bénévole donne de son temps pour autrui, il agit généralement dans un but caritatif pour des bénéficiaires composant un public dit « en difficulté ». Ce n’est pas comme cela que je situe mon activité. Certes, je donne de mon temps, mais je reçois aussi des autres, mon activité combinée à celle des autres répond à une partie de mes besoins, matériellement et socialement.

    Maintenant, après ces réflexions, j’aurais envie de répondre que « je travaille mais que je ne veux pas être payé pour cela ». Pour quelles raisons ? D’abord parce que je mot « travail » me situe sur le terrain d’une utilité sociale et matérielle, celui normalement occupé par les activités marchandes, menées par des professionnels rémunérés. Et, précisément parce que je revendique par ailleurs le souhait de ne pas être payé en retour, je fais entendre une voie différente, antagoniste. Oui ce serait plus confortable « socialement » de chercher un travail rémunéré le moins pénible et le plus épanouissant possible. J’entends par là qu’une telle démarche est vivement encouragée par la société, c’est une norme, et c’est le propre des normes de ne pas être perçue tant qu’on n’entre pas en contradiction avec elles. Il est par conséquent « naturel » de chercher un travail épanouissant, et cela exige radicalement moins d’efforts que la démarche inverse, qui se heurte systématiquement à l’hostilité, la moquerie ou l’incompréhension. C’est pour cela que revendiquer pour moi de faire un « travail » est une façon d’alléger le pouvoir de coercition de cette norme. Et, revendiquer de faire un travail et à la fois de ne pas être payé pour cela, c’est une façon d’entrer dans la lutte contre ce pouvoir sous de meilleures augures, mieux armée pour mettre en question l’évidence que tout ce qui est utile et efficace, et reconnu socialement comme tel, serait du côté du travail rémunéré.

    « Je ne veux pas être payé pour cela... ». Le risque évidemment est d’être compris comme relevant d’une posture aristocratique, de quelqu’un qui a une richesse ou un privilège quelconque qui lui permet d’avoir de l’argent par ailleurs. Cela reste cependant une supposition de l’interlocuteur. Face à ce soupçon, je peux peut-être préciser dans un deuxième temps que j’ai un petit boulot par ailleurs pour gagner de l’argent. En faisant cela, j’inverse l’ordre de préséance des activités : c’est l’activité rémunérée qui vient en second dans ma présentation de moi. Par ailleurs, j’affirme aussi en creux que mon moyen de gagner de l’argent est différent de mon rôle social, et que mon revenu en argent est décorrélé de ce rôle.

    Et si je ne veux pas être payé pour ce rôle, c’est que je veux pas entrer dans une relation d’échange, c’est je ne veux pas être un acteur marchand. Je ne veux pas de cette puissance acquiescement qui est celle de l’argent. Je ne veux pas de ce confort qui se paie au prix fort d’une dépossession collective de notre puissance d’agir correctement dans ce monde. Je ne veux pas courir après un fétiche qui me fait croire que ce je suis est validé socialement, pour découvrir finalement que cela est au prix de tous les renoncements puisque, manifestement, cette société marchande qui me valide a produit le désastre qu’est notre monde aujourd’hui où, produite pour être vendue, notre subsistance nous rend malades et ravage partout le vivant humain comme non-humain. Je ne veux pas être validé par un fétiche autour duquel la société marchande s’agrège, et qui est la seule chose qui importe finalement et avant tout autre critère. Je ne veux pas corriger la société marchande de ses excès parce que, au fond de moi, je ne suis pas un producteur-échangiste séparé-relié avec tous les autres par l’argent. Je ne sais pas ce que je suis d’ailleurs, je sais simplement que cette société marchande n’a pas d’avenir, et qu’il ne sera pas possible de la refonder sur d’autres bases, en corrigeant ses outrances, ses inégalités, ses absurdités et toute l’impuissance politique que nous ressentons tous quand il s’agit d’orienter, ne serait-ce que de façon un peu moins destructrice, nos destinées collectives.

    Mener une activité d’autoproduction collective et solidaire, dans un collectif ouvert structuré par le don et le partage, est donc en soi une lutte, parce qu’elle se confronte à tout moment à ce que nos comportements les plus anodins doivent à notre socialisation dans une société marchande depuis la naissance. Aujourd’hui, nos collectifs sont imprégnés des habitudes contractées sous l’égide de la norme du travail rémunéré, comme seul horizon existentiel possible, depuis l’enfance et l’école, en passant par le sas plus ou moins long des études, pour terminer dans les changements de tafs, les burn-out, les formations et les tentatives de reconversions à la recherche du Graal du travail-qui-a-du-sens et qui en plus serait payé correctement, le tout se déroulant de bout en bout dans un environnement concurrentiel, où seuls les meilleurs obtiennent ce qui à la fin ne les satisfont même pas. Ces habitudes tenaces sont le fait de principes de vision et de division du monde, hiérarchisant les activités, pour faire de la productivité le critère d’élection des tâches les plus estimées, tandis que toutes les autres sont une charge pour la société, bien qu’elles en dépendent tout autant et même bien plus. Un autre principe de division est celui distinguant la liberté totale du consommateur -d’autant plus qu’il dispose d’argent- et la soumission tout aussi totale du salarié ou du travailleur à la stricte organisation de son travail et à la concurrence permanente. C’est peut-être cette socialisation qui nous fait considérer nos petites associations comme de simple boutiques où il est possible d’entrer et de sortir, à y rester tant que ce n’est pas trop prise de tête, en attendant de retourner bosser ou de se construire une existence sociale plus assurée par un rôle professionnel, qui prendra tout aussi la tête, mais au moins qui sera mieux à même de répondre sans effort à l’innocente question « Et toi tu fais quoi ? ». Et nos collectifs demeureront faibles, fragiles, marginaux et conflictuels, de peu d’ambitions et de puissance d’agir, tant qu’il nous manquera une culture de l’insoumission au travail rémunéré.

    #anti-travail #autoproduction #bénévolat #résistance_à_la_société_marchande

  • « Installer un million de paysans dans les campagnes, seule façon de limiter le recours aux pesticides »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/01/nous-avons-pour-objectif-d-installer-dans-les-campagnes-francaises-un-millio

    Je m’appelle Nicolas Mirouze, je suis vigneron dans les Corbières (Occitanie), mais aussi ancien élève d’AgroParisTech et sociétaire de la coopérative d’intérêt collectif L’Atelier paysan, qui agit pour un changement de modèle agricole et alimentaire. Je me suis établi en 1999 sur un domaine viticole en agriculture conventionnelle et j’ai décidé, dès la deuxième année, de changer de mode de culture, en délaissant les engrais chimiques et en limitant l’emploi de pesticides. Il m’a fallu vingt longues et difficiles années pour m’extraire complètement du modèle de l’agriculture industrielle intensive tout en rendant ma ferme pérenne. J’ai aujourd’hui 50 ans, j’en avais 27 le jour ou j’ai décidé de « bifurquer »

    #agriculture #agroécologie #paywall

    • la suite :

      En France, une partie non négligeable de la population n’a pas les moyens de l’alimentation qu’elle voudrait choisir. Parfois, elle ne peut même pas acheter l’alimentation la moins chère disponible en grande surface : c’est ainsi que, selon l’inspection générale des affaires sociales, 5,5 millions de personnes en grande précarité alimentaire dans la France de 2018, antérieure à la crise due au Covid-19, se procuraient leurs repas quotidiens grâce à l’aide alimentaire.

      Cynisme

      Cette aide, devenue systémique en France, est distribuée par plus de 200 000 bénévoles, qui subissent quotidiennement toute la violence de cette pauvreté. Elle est abondamment pourvue par les surplus inconsidérés de l’agriculture industrielle intensive (car il faut toujours produire plus) et participe directement à la compression des coûts des produits agricoles et donc à la diminution du revenu des agriculteurs. Elle est également abondamment pourvue par les invendus de la grande distribution, qui se voit ainsi dotée d’une efficiente filière de recyclage. Comble du cynisme : cette nourriture « recyclée » est une source de défiscalisation pour des entreprises dont la contribution est assimilée à un don. Peut-on continuer à traiter d’une façon aussi indigente les plus pauvres d’entre nous, les bénévoles qui les soutiennent, les paysans qui voudraient les nourrir ?

      L’autre face de cette triste réalité est que, sur la période 2010-2019, 77 % des revenus des agriculteurs proviennent des aides nationales et européennes. Sur la même période, 25 % des agriculteurs ont un revenu annuel moyen inférieur à 8 400 euros. Sur l’année 2018, 14 % des exploitations françaises ont un résultat courant négatif, selon les chiffres publiés en 2020 par le ministère de l’agriculture. Ce tableau stupéfiant est celui d’un système qui ne fonctionne pas du tout, qui – sans même parler de dégâts écologiques, de rendements énergétiques négatifs ou de perte de qualité nutritive – ne remplit aucun de ses objectifs initiaux : rémunérer les agriculteurs pour qu’ils fournissent une alimentation suffisante, satisfaisante et à la portée de tous.

      Parmi toutes les technologies paysannes que nous défendons à L’Atelier paysan, la machine tient une position singulière. Nous accompagnons des agriculteurs à concevoir des outils qui sont assemblés lors de formations. Les participants se réapproprient un savoir-faire qui a, bien souvent, disparu de nos campagnes : celui du travail du métal. Ces formations sont une première étape vers une autonomie technique paysanne. La mécanisation industrielle telle qu’elle s’est déployée en France, soutenue par des politiques publiques depuis soixante-dix ans, a créé de terribles dépendances techniques et financières, qui expliquent la prolétarisation avancée d’une grande partie des agriculteurs de notre pays. Elle a aussi contribué à la destruction des communautés paysannes en engageant les agriculteurs dans une course à la terre : il faut « bouffer l’autre avant d’être bouffé ».

      Fuite en avant

      Ce sont bien des choix politiques qui ont condamné les agriculteurs vers une fuite en avant insensée. Mais comment s’extraire aujourd’hui de ce modèle ? Avec, selon l’Insee, 400 000 exploitants et 650 000 travailleurs et travailleuses de la terre au total, en 2019, l’usage massif de pesticides est absolument inévitable : il n’y a plus suffisamment de ressources dans nos campagnes pour réaliser le travail que suppose une agriculture sans recours à une chimisation massive.

      L’avenir est déjà là, avec l’agriculture « 4.0 », qui représente la « nouvelle frontière » du lobby agro-industriel : les drones, les robots et le numérique. L’histoire se répète : cette mise en application du progrès ne servira que des intérêts sans rapports directs avec celui de l’alimentation de la population. Elle se fera au détriment des agriculteurs, dont les dépendances aux équipementiers et aux banques vont s’aggraver. Ce qui nous est promis, c’est une agriculture pratiquée dans une campagne complètement déshumanisée, définitivement vidée de ses paysans.

      Depuis plus de dix ans, nous accueillons, dans nos maisons de L’Atelier paysan, les « bifurqueurs » de tous horizons, le mouvement est donc durablement installé. Nous avons encore beaucoup de travail pour faire en sorte que les colères et les larmes deviennent une puissance de transformation sociale plutôt qu’une fuite. Notre projet politique est consigné dans un manifeste : Reprendre la terre aux machines (Seuil, 2021). Ce projet refuse de dissocier la question de l’autonomie paysanne et celle de l’autonomie alimentaire. Nous avons pour objectif d’installer dans les campagnes françaises un million de paysans et ce sera la seule façon de limiter significativement le recours aux pesticides. L’agroécologie paysanne ne sera alors plus pratiquée par quelques marginaux cantonnés dans des sortes de « réserves », mais deviendra le modèle agricole dominant à l’échelle d’une nation comme la nôtre. Un bouleversement aussi important ne sera pas concédé par les élites politiques et économiques sans le surgissement d’un mouvement social. Il n’aura jamais lieu sans un rapport de force assumé, il sera conquis par la lutte ou il n’adviendra pas.

    • L’Atelier paysan, coopérative d’autoconstruction

      Plaidoyer : souveraineté technologique des paysans

      https://latelierpaysan.org/Plaidoyer-souverainete-technologique-des-paysans

      Dans un contexte de recherche d’efficacité de la dépense publique, le Pôle InPACT demande à l’Etat – via une note explicative ci-jointe – de questionner l’enveloppe de 10 Milliards d’euros qu’il semble attribuer sans réticence aux secteurs du numérique, des biotechnologies et de la robotique.

    • Entretien accordé à Ballast : Atelier paysan : aller vers une socialisation de l’alimentation. (17 mai 2022)

      https://www.revue-ballast.fr/atelier-paysan-aller-vers-une-socialisation-de-lalimentation

      La remise des diplômes n’est pas passée inaperçue : il y a quelques jours de ça, de jeunes ingénieurs agronomes ont appelé à déserter les postes pour lesquels ils ont été formés. « Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur Terre. Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques. » Et les trouble-fêtes d’inviter leurs pairs au sursaut : « Vous pouvez bifurquer maintenant. » Dans un ouvrage paru l’an passé, Reprendre la terre aux machines, la coopérative l’Atelier Paysan affirmait quant à elle : l’autonomie paysanne est le projet politique collectif qui émancipera celles et ceux qui travaillent la terre, tout en assurant une alimentation de qualité à l’ensemble de la population. Pour y parvenir, le collectif parie sur la socialisation de l’alimentation. Nous nous sommes entretenus avec lui. Cinquième et dernier volet de notre semaine « Agriculture paysanne ».

  • J’ai commencé un boulot de distributeur de publicité dans les boîtes aux lettres depuis deux semaines. Si j’éprouve un malaise au sujet de ce boulot, ce n’est pas à cause de ce boulot en lui-même, mais du fait du regard négatif en réaction à cela, émanant de mon entourage. Ce regard est emprunt de pitié, parfois d’une désapprobation. J’aurais aimé une telle unanimité dans la négativité quand je faisais un boulot de codeur informatique ou d’ingénieur. A l’époque je me sentais coincé dans ce genre de tâches, consistant à faire augmenter la productivité des gens, et ce dans un contexte où je ne côtoyais que des salariés ayant fait des études supérieures. Dans ce genre de milieu, on se pense un peu privilégié. Non loin de mon ancienne boîte il y avait des camionnettes le long des routes où officiaient des prostituées, et mes collègues se sentaient loin de cela, à l’abri de façons de gagner de l’argent jugées indignes. De mon côté, une grosse partie de ma souffrance au travail émanait du hiatus entre l’obligation de paraître motivé et la réalité de ma motivation profonde, qui était que j’étais là par absence d’alternative pour gagner des euros. J’ai fini par me faire virer pour vivre un temps des allocations chômage, jusqu’à être confronté au manque d’argent à nouveau.

    Nous sommes des « travailleurs libres » écrivait Marx, et cela signifie que nous ne sommes pas attachés à un maître, une communauté ou un lieu. Notre force de travail est disponible à la vente, et cette liberté est une fiction juridique nécessaire pour contractualiser avec un employeur ou un client.

    Cette liberté de contracter, institution nécessaire au capitalisme, nous fait croire que c’est un choix de faire tel ou tel type de travail. Mais l’éventail de ce choix, si jamais il fallait le revendiquer, est de toute façon un privilège de ceux qui ont fait un peu d’étude, qui ont la bonne couleur de peau, qui ont des papiers ou qui habitent les bons quartiers. Je pense que dans des milieux plus modestes, personne n’aurait rien à redire au fait de distribuer de la pub pour ramasser quelques euros. De mon côté, je peux sans doute me faire embaucher pour quantité de boulots différents, mais à l’intérieur d’un choix vraiment restreint. Par exemple, quitte à courir partout dans une hâte permanente plusieurs heures d’affilées, je préférerais me rendre utile dans les services d’urgence d’un hôpital. Mais je n’ai aucune des qualifications requises pour cela, et je suis lassé de toutes ces années de formation derrière moi. De plus, je ne veux pas travailler à plein temps, ou plutôt si j’en étais obligé, je pense que je (re)deviendrais très vite une personne aigrie et déprimée. Je tente donc de vivre avec le minimum d’argent possible pour travailler le moins possible. Et je souhaite dans la mesure du possible compartimenter les choses en réservant un temps dédié et limité dans la semaine réservé au gain d’euros.

    Aussi dans ce boulot de distributeur de pub, j’ai pu découvrir et apprécier ce que je n’avais pas du tout observé dans mes boulots plus qualifiés. L’absence de fierté et la modestie des gens, même de la part des responsables, qui directement auto-critiquent l’activité de la boîte. Il est vrai que la distribution de pubs en boîte aux lettres est sur la sellette, tellement elle est illégitime, et que bientôt elle disparaîtra sans doute complètement. Ceci dit, c’est la première fois aussi dans mon boulot et pratiquement dès mon arrivée, des gens parlent de faire grève et de bloquer le dépôt. Socialement c’est un univers où je me sens beaucoup plus à l’aise car j’y retrouve ce que je cherche ailleurs. Malheureusement ce n’est pas un boulot éthique, il est non seulement peu utile socialement, mais injustifiable écologiquement parlant, avec ces tonnes de papiers imprimés à peine consultés avant de rejoindre la poubelle. Les personnes âgées peuvent en être friandes toutefois, et dans les immeubles de logements sociaux, je ne vois que très peu de « stop pub » sur les boîtes aux lettres. Ce papier publicitaire est indéniablement une source d’information pour qui veut optimiser son budget courses. Cela ne justifie pas pour autant ces tonnes de papier que nous distribuons chaque semaine.

    Il est clair que pour moi, la seule chose qui justifie ce boulot c’est l’argent, et ma volonté de ne pas compromettre ma subjectivité dans des boulots où l’on me demandera d’être motivé pour l’exercer. Ici, il n’est pas question de défendre un métier, un outil de travail, une éthique professionnelle ou une entreprise. Et c’est heureux. Et ça devrait l’être partout et pas seulement dans la distribution de pubs. Ici, la seule issue positive d’un mouvement social à mes yeux est de foutre le feu à ces dépôts, à condition toutefois de ne pas s’arrêter là. Car j’aimerais bien m’adresser aux personnes qui font un boulot plus acceptable à leurs propres yeux, c’est-à-dire ni totalement nuisibles ni totalement futiles, mais quand même un peu. Ce sont des boulots utiles dans cette société-là, mais insensés dans une société décente. Tant que notre subsistance de base restera fondée sur la vente de notre temps de vie, et bien plus encore quand nous y pensons en dehors de ces heures, ce sera toujours l’exploitation qui gouvernera nos prétendus choix. Tant que nous ne commencerons pas à construire un socle de subsistance inconditionnel et débarrassé de l’argent, les discussions éthiques sur le travail ne resteront qu’un bavardage entre gens privilégiés. Tant qu’on en est à se juger les uns les autres sur nos prétendus choix de vie, en fermant les yeux sur les règles sociales qu’il faut changer pour réellement avoir le choix de ne pas aller collectivement dans le mur, on ne fait que propager et reproduire notre propre aliénation à la marchandise.

    #distributeur-prospectus #anti-travail

    • Par rapport aux « boulots de merde » de Brygo (ou « bullshit jobs » de Graeber), un point qu’il cherche à faire comprendre, il me semble, c’est que justement il y a plus ou moins un consensus pour dire que ce type de boulot est négatif (pour l’environnement, et souvent pour les salariés), mais que de nombreux autres devraient l’être tout autant, pour deux raisons différentes, qui ne se situent pas au même niveau :
      – de nombreux métiers valorisés socialement (à cause du niveau d’étude entre autre), sont tout aussi négatifs pour la société, comme développeur informatique ou installeur de logiciels ERP, si le but est d’augmenter la productivité des gens dans une entreprise par exemple, c’est participer pleinement à l’un des cœurs du fonctionnement capitaliste : produire toujours plus, toujours plus vite, pour faire plus de marge, même si ça abime des gens en bout de chaine
      – dans le capitalisme tout travail devrait être reconnu comme négatif quelque soit son but, car tout travail est une vente de son temps contre de l’argent, même dans les activités « gentilles » (soigner des gens, fabriquer des jouets en bois, être journaliste à CQFD…)

    • merci aussi @deun pour ton texte

      Je croise pas mal de personnes, assez jeunes pour la plupart, qui disent choisir de vivre en squats parce qu’elles considèrent que payer pour se loger, boire de l’eau, s’éclairer est une aberration sociale et environnementale. Je souligne que ces personnes sont jeunes car c’est loin d’être simple de vivre ainsi toute une vie.
      Le gain financier du travail (et son augmentation prévue lors d’une « carrière ») nous rassure en nous exemptant de la culpabilité d’être des « parasites de la société ». Il permet également de lever la culpabilité de consommer des produits aussi terrifiants que des SUV ou des carottes râpées sous barquette plastique, devenus l’absurde compensation symbolique du travail.
      Nous nous permettons cet égoïsme sordide parce que nos modes de représentation politique (vivre ensemble) ont été totalement remodelés de manière à nous enjoindre de nous conformer à un modèle de réussite individuelle si bien intégré que nous ne savons plus vivre ensemble. Jusqu’à nous faire croire que la roue soit disant collective qui va de plus en plus vite dans le ravin que nous poussons à force de travail est la seule et unique à être valorisable.

      Une vieille amie chinoise me disait que nous ne connaissons pas notre chance de pouvoir passer notre journée à déprimer alors qu’ailleurs, la journée est par nécessité consacrée à trouver à manger. Ici, en Europe, nous ne travaillons plus que pour maintenir le décor en place : des pantins à l’assemblée nationale aux ordres des maitres du monde maintenus par des imbéciles qui veulent occuper leur journée.

      Pour ce qui est des déprimé·es, de plus en plus nombreux, et ceux qui craquent psychologiquement du travail sous toute ses formes, le pire est sûrement quand il faut revenir à la place attribuée, être lâche à nouveau, avoir peur de se défendre des exploiteurs ou de se retrouver à vivre en squatt.

    • @rastapopoulos

      Concernant ceci, est-ce la position des auteurs du livre « Boulots de merde » de Brygo et Cyran ? Je suis curieux de savoir comment ils la justifient si c’est le cas.

      dans le capitalisme tout travail devrait être reconnu comme négatif quelque soit son but, car tout travail est une vente de son temps contre de l’argent, même dans les activités « gentilles » (soigner des gens, fabriquer des jouets en bois, être journaliste à CQFD…)

      C’est évidemment ce que je pense aussi. La négativité dont il est question n’est pas dans la dimension concrète du travail rémunéré, mais dans le type de rapport social que ce travail vient actualiser. C’est ce que j’essaie de raconter dans mon autre texte « je travaille et je ne veux pas être payé pour cela ».

    • Ah non non @deun ça c’était mon commentaire de ce que toi tu avais décrit :p , en réponse à @vanderling qui mettait justement un lien vers les boulots de merde de Brygo plus haut. Et donc en disant que ce que toi tu disais allait plutôt à l’encontre de ça, ou tout du moins allait bien plus « profond » car ne se limitait pas à dire que tel ou tel boulot est merdique écolo-socialement, mais que tout le rapport social est pourri.

    • Un autre lien qui apportera peut-être plus de réponse à tes questions @deun
      https://seenthis.net/messages/959382
      Je ne peux pas répondre car je n’ai pas lu ces livres, dans ton autre texte tu conclus par le manque d’une culture de l’insoumission au travail rémunéré. Pour mon cas, je ne me considère pas comme un insoumis mais comme un assisté et un fainéant invétéré suffisamment résistant. Ma liberté n’a pas de prix et j’accepte de vivre de ce que j’aime, c’est-à-dire pas grand-chose. Le sens commun, quand il n’est pas perdu, nous invite à refuser l’adaptation et à tenter de recréer un monde, c’est-à-dire les conditions d’une habitation disait Hannah Arendt. Sauf que là, la maison brûle et qu’il n’y a jamais eu autant de pyromanes. Un autre copain (assisté lui aussi) m’a dit : « Le dernier qui m’a vu travailler est mort et le prochain qui me verra retravailler il est pas né. »

    • ... en tout cas dans l’entreprise de distribution de pub on te fait bien comprendre la logique sociale du « temps socialement nécessaire » où la norme pour être payé pour son temps de travail c’est d’atteindre la vitesse de la personne la plus performante. (Et il me semble qu’avant le système de la badgeuse gps, les gens s’échinaient à finir leur tournée en bien plus d’heures qu’ils étaient payés, et se retrouvaient donc à être payé un 1/2 Smic horaire. Maintenant ce truc de faire travailler les gens à la tâche qui leur a fait perdre des procès au prud’homme n’est pas possible sous cette forme. Mais ça revient sous une autre, par exemple en appliquant des pénalités appelées « écrêtage » sur les tournées où le logiciel a détectée des « anomalies », comme par exemple des tournées incomplètes dans le temps dit « théorique » payé au distributeur).

      Ceci dit j’ai observé la même logique dans un bureau d’étude technique employant des dessinateurs bac+2 : le chef du machin dimensionnait les tâches en fonction du plus performant, et il trouvait normal que le débutant passe des heures non payées le temps d’atteindre l’objectif. En fait tout le monde trouvait ça normal et c’est normal parce que c’est la logique capitaliste.

    • pas de côté en paca - via Le Ravi

      https://www.leravi.org/social/alternatives/la-region-paca-loin-de-lextreme-droite-est-aussi-une-terre-de-resistance-a-l

      N’est-il pas plus beau pied-de-nez que d’avoir à passer devant le domicile de Christophe Castaner à Forcalquier pour aller à Longo Maï ? Une communauté autonome et autogérée bien implantée dans la région puisque présente aussi dans le Luberon et la Crau.

      Emblématique de cet attrait pour le pas de côté, deux lieux à Marseille (Manifesten et la Déviation) appartiennent au Clip, un réseau de lieux en propriété d’usage, en clair, un système de propriété collective qui permet à une demi-douzaine d’espaces gérés collectivement de « sortir » du marché immobilier ! Et, lors de l’AG annuelle, plusieurs projets en Paca se sont fait connaître, notamment du côté d’Avignon mais aussi dans les départements alpins.

      Comme le disait en rigolant un occupant de la « Zone à patates », cette Zad visant à préserver des terres agricoles de l’extension d’une zone industrielle à Pertuis : « Entre le bocage nantais et une Zad dans le sud, y a pas à hésiter ! » Même si la « Zap » est désormais expulsable à tout moment.

    • Intervention qui m’a un peu laissé dubitatif, par l’écart entre l’ampleur du problème décrit (avec des mots très justes) et la faiblesse de ce qui est mis en avant en conséquence, c’est à dire pas grand chose d’autre que la fuite individuelle. Une référence bienvenue à Terre de Liens qui font un gros boulot pour l’installation des jeunes, mais c’est à peu près tout.
      Ou alors j’ai pas pigé le propos...

    • @koldobika vers quelle alternative organisée pourraient-elles et ils se tourner ? ce qui est frappant, c’est l’émergence parmi les jeunes « éduqués » d’un tel courant exprimant le refus d’entrer « dans le système  » ; refus fondé sur des motivations diverses plus ou moins politiques (de la conscience du caractère destructeur du système, que ce soit social ou écologique, au rejet des perspectives de vie qui s’offrent à elleux). Qui aujourd’hui porte un tel rejet ?

      Par mon bout de lorgnette : j’interviens depuis pas mal de temps en tout de fin de cycle d’une spécialisation dans le domaine de l’énergie destinée à des ingénieurs tout juste sortis d’école ; ça fait 3-4 ans que certains d’entre eux expriment ce refus du système et sortent « ailleurs » que dans les débouchés naturels, les grands du secteur ou les startups variées, les unes comme les autres faisant pourtant miroiter à leur destination un monde nouveau à créer plein d’énergies renouvelables et de consommation maîtrisée par des réseaux intelligents… Je n’ai, hélas, pas la possibilité de suivre ce qu’elles et ils deviennent dans la durée.

    • @simplicissimus Est-ce du fait de l’endroit où j’habite, je m’attendais à ce qu’ils parlent de l’urgence à développer des systèmes nourriciers robustes en dehors de ce système destructeur qu’ils décrivent parfaitement bien. Des chambres d’agricultures issues de la paysannerie comme #EHLG, des associations d’aide à la conversion ou installation en bio, des centres de recherche comme le CREAB dans le Gers, batailler pou une sécurité sociale de l’alimentation, pour des modèles agricoles moins dépendants d’intrants globalisés, des initiatives comme https://www.prommata.org/?lang=fr, comme https://latelierpaysan.org etc. Il existe plein d’initiatives qui ne demandent qu’à être étendues, copiées, propagées, et je m’attendais à ce que ces jeunes agros les connaissent bien mieux que moi, et lancent un appel à reconstruire des agricultures non nuisibles et capables de survivre au bordel qui s’installe. Car malheureusement ce ne sont pas les fuites individuelles qui pourront contrecarrer les famines qui s’annoncent.

    • @latelierpaysan même
      https://www.creabio.org
      https://securite-sociale-alimentation.org

      Des désertions rendues publiques pour des raisons politiques, il y en a toujours eu, au moins depuis les années 70, et on voit bien que ça n’a jamais changé quoi que ce soit. Ce qui change un peu, ce qui est particulier, c’est peut-être la précocité de ces désertions, avant même d’être vraiment incorporés au système (même si les écoles d’ingé c’est déjà en faire partie). Mais même pas sûr si on lit les archives des années post 68, yavait aussi des très jeunes comme ça.

      Donc oui c’est pas ça qui va changer la face du monde, et c’est vrai que publiciser dans une grande salle + dans une vidéo devenue pas mal virale, des initiatives comme l’atelier paysan ou la SSA, ça aurait carrément eu plus de gueule que juste dire « je vais faire du miel à la place ». Une occasion un peu manquée.

    • Il y a un autre phénomène qui n’a pas été soulevé : c’est le nombre important de bac + 5 ou plus qui s’installent en tant qu’agriculteurs. Pour ma part, je n’y vois pas forcément un effet de cette désertion, mais de la complexité de la démarche même de l’installation agricole.

    • Je trouve ça plutôt inquiétant. Dans ma vision idéale du futur, il n’y a pas besoin de faire bac + 5 (avec tout ce que ça suppose à la fois en terme de concurrence pour y accéder à ce niveau que de vision du monde acquise via un tel parcours) pour cultiver la terre et nourrir autrui.
      Je ferai même un lien avec l’influence du réseau salariat dans les alternatives alimentaire et agricoles, lequel propose un salaire à vie dont le montant est fonction de la qualification.

    • @deun Le problème c’est que les études sont vues comme un « bagage », une compétence potentielle. Et on se juge beaucoup plus sur ce qu’on pourrait être que sur ce qu’on est.

      Un bac+5 / 7 / 11 est encore vu comme supérieur à un bac-3 / 0 / 2 / 3 dans l’esprit collectif. Même quand le second fait un truc bien plus utile et nécessaire que le premier (comme ramasser les poubelles, faire pousser des légumes ou faire du pain). Et le salaire, n’en parlons même pas, va en proportion des études. Souvent indexé sur les « responsabilités », qui est un synonyme de domination des autres (combien de personne tu encadres) ou les capitaux engagés (combien de fric tu brasses, alors qu’en général, c’est pas le tiens).

      Donc les études, c’est un peu un pare-chocs social, un badge que tu brandis quand on est un peu trop condescendant envers toi : « Je pues le poireau et le lisier de porc ? Mais j’ai fait des études, je sais écrire et parler, je maitrise la rhétorique aussi bien que l’algèbre, alors viens pas me chercher sur l’échelle sociale ! »

      Bon, ça ne rend pas confiant en soi pendant des décennies quand tu fais un boulot chiant et nul ou éco-destructeur à te maudire sur 13 générations, et ça rendrait même un peu schizophrène. Et puis c’est un peu une reproduction du système qu’on refuse tant.

    • Partie 2, c’est peut etre aussi pour cela que le syndicalisme ne reprend pas de membres ou se divise en petits syndicats.
      Et oui, les salariés étant plus instruits, ils se sentent aussi plus apte à se défendre individuellement, là où d’autres complétaient leurs lacunes en s’unissant.

  • « De chacun selon ses moyens » ?

    Une critique de la sécurité sociale

    Pour critiquer ou défendre l’argent, il faut le comprendre, mais comprendre l’argent c’est toujours choisir un angle particulier pour la défense d’une thèse. Si l’argent n’est qu’un moyen d’échange, alors pourquoi s’en passer ? Si l’argent peut être réapproprié sous forme de nouvelles monnaies éthiques ou sociales, alors pourquoi le critiquer en tant que tel ? Si l’argent actuel n’est que l’effet du rapport d’exploitation capitaliste, pourquoi vouloir l’abolir ? Si l’argent est si plastique et malléable, alors pourquoi souhaiter sa disparition ? 

    Il est un fait que vouloir abolir l’argent n’est pas vu comme très sérieux. Pourtant, les volontés d’abolition et les alternatives qui maintiennent des formes de monnaies rencontrent pour l’essentiel des objectifs similaires. Il s’agit dans tous les cas de contrer la domination de la valeur capitaliste sur les sociétés contemporaines. Celle-ci consiste à sélectionner les activités humaines selon un critère qui domine tous les autres : gagner de l’argent. Pour y parvenir, peu importe les moyens. Mais ceux-ci sont de deux types, qui peuvent être combinés : les gains de productivité et l’exploitation des ressources, humains compris.

    Là où nos positions divergent, entre abolitionnistes de la monnaie et défenseurs d’institutions alternatives avec monnaies, c’est où placer le levier du changement. Pour certaines personnes comme celles du réseau Salariat, il existe à l’intérieur de l’économie capitaliste des institutions non-capitalistes, comme la sécurité sociale de santé. Mais selon d’autres courants, comme celui de la critique de la valeur, ces institutions ne seraient que des enclaves inoffensives à l’intérieur de l’empire de la valeur capitaliste qui l’engloutiront bientôt.

    Dans les deux cas, on peut convenir qu’il est tout de même possible d’organiser un usage alternatif de l’argent -quand bien même il serait fragile ou temporaire- de telle sorte que de puissants mécanismes de solidarité soient possibles. Ainsi, les cotisations sociales en France, prélevées sur des échanges économiques, alimentent depuis l’après-guerre des caisses dont le fonctionnement ne relève pas de l’échange monétaire, puisque ses bénéficiaires peuvent les solliciter en fonction de leurs besoins et en partie gratuitement. Pour le réseau Salariat, lutter contre le capitalisme, ce serait augmenter les cotisations pour étendre ces mécanismes de solidarité à d’autres domaines que la santé, par exemple à l’alimentation et à la production agricole, au travers de la proposition d’une sécurité sociale alimentaire. 

    Il est difficile d’être contre une proposition qui semble être le prolongement heureux d’une réalité sociale déjà là. Le problème est que cette réalité est au moins ambivalente, sinon totalement insatisfaisante. 

    Ambivalente parce qu’elle est entièrement construite sur la contrainte monétaire du rapport salarial : c’est donc en échangeant sa force de travail contre l’argent nécessaire pour (sur)vivre, que l’on construit un pot commun de ressources. Autrement dit, on a construit du commun comme un effet de bord du chantage à la subsistance qu’est le fait de vendre son temps pour simplement reproduire son existence au quotidien. Ce qui est très différent de construire du commun avec du commun. Certes, je peux être satisfait de payer mes cotisations, quand je destine mentalement une partie de mes efforts à ce pot commun et précisément pour cette raison. Cependant, dans la plupart des cas, le travail est d’abord vécu directement, dans le contenu concret des tâches et du cadre où elles s’insèrent, du besoin de gagner de l’argent pour payer les factures, et non par le truchement d’un imaginaire solidariste. 

    Si on peut balayer d’un revers de main la critique patronale des "charges sociales" qui fait baisser la rentabilité de la boîte, il est moins facile de contrer un sentiment plus diffus de ressentiment, lequel peut s’exprimer à l’égard de supposés profiteurs, qui traduit moins la réalité d’abus avérés qu’une insatisfaction de ce que l’on vit soi-même. Payer sa cotisation n’est pas vécu et pensé comme un don, qui produirait une forme de reconnaissance sociale, mais comme un échange monétaire mobilisant un travail contraint, pour lequel on est tous sensés être quittes les uns envers les autres, ce qui est le propre de tout échange. 

    On touche là la limite de communs construits avec des outils qui ne sont pas faits pour construire des communs. Ce sont en réalité des "presque communs" qui, parce que construits sur des échanges marchands inéquitables et contraints, sont toujours susceptibles d’être contestés comme tout aussi inéquitables et contraints. 

    Un véritable commun posséderait des fondements institutionnels cohérents avec sa nature, où des besoins communs sont répondus en commun, par des contributions volontaires propres aux moyens de chacun, selon la première partie de l’adage "de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins".

    Les cotisations sociales ne respectent ce principe qu’en apparence, sous la forme de l’abstraction monétaire de taux de cotisations qui peuvent en effet varier selon le niveau de salaire. Mais qu’est-ce que cela change concrètement quand de toute manière chacun travaille trente cinq heures par semaines quel que soit le salaire obtenu ? Dire que le taux d’effort d’un salarié mieux payé est supérieur à un autre salarié moins payé, parce que sa contribution monétaire en cotisations sociales est plus élevée, c’est confondre la dimension vivante de l’activité avec sa représentation monétaire, qui conduit à attribuer plus de mérite et de valeur aux activités qui rapportent plus d’argent. Si cela est bien cohérent avec la convention de valeur capitaliste, cela ne l’est pas avec la prétention du réseau salariat à faire du mécanisme de cotisations sociales une institution anticapitaliste.

    Cette réalité déjà-là des cotisations sociales est aussi totalement insatisfaisante du fait de la dégradation continuelle de la santé physique et mentale des gens depuis plusieurs dizaines d’années, que la sécurité sociale n’a pas pu prévenir. Le cocktail de pollutions et de nuisances psychiques qui font l’ordinaire de nos vies est justement produit par des activités économiques, dont le fondement est de dégager de l’argent avant tout autre critère, et ce sont ces activités qui génèrent les cotisations sociales alimentant la sécurité sociale de la santé. Bien-sûr il n’y pas de lien de cause à effet, entre ceci et cela. Il reste que c’est bien là la manifestation que la valeur capitaliste domine l’ensemble de la société, et que la petite mécanique des cotisations sociales est toujours restée une simple enclave inoffensive. La sécurité sociale dépend de la poursuite d’activités économiques que tout le monde sait néfastes - mais pas l’inverse. Aussi, la médecine elle-même semble au prise avec un paradigme mécaniste qui en limite sérieusement la portée en tant qu’activité de soin, tandis que de vastes firmes engrangent l’argent des cotisations sociales pour vendre des médicaments dont l’efficacité est au minimum discutable.

    #sécuritésociale #abolitiondelargentetdutravail #désargence #critiquedelavaleur

  • Lettres d’Ukraine // partie 2

    (...)
    Après presque un mois de guerre, quel est l’état des relations entre le gouvernement ukrainien et les factions nationalistes ?

    Il est clair que le gouvernement de Volodymyr Zelensky, qui a pourtant fait état de tendances "pro-russes" tout au long de sa présidence, tente de naviguer prudemment dans les eaux dangereuses des pourparlers de paix. Bien que les nationalistes et les nazis ne soient pas à la tête de l’État ukrainien et n’aient jamais bénéficié d’un soutien politique important, ils se sont fermement établis dans l’armée régulière et dans diverses milices. L’invasion russe étant actuellement le plus grand vecteur de popularisation du nationalisme ukrainien et les livraisons d’armes affluant de monde entier, dans le futur, les chefs des milices pourraient être prêts à tester leur pouvoir si Zelensky venait à faiblir.

    La relation entre le nationalisme et l’État ukrainien est toutefois plus complexe. Comme tout État-nation, il tente de concilier des récits historiques contradictoires et veut rejeter toute opposition sur le plan de la démocratie en la dépolitisant. Cela finit par réduire toute singularité historique au grand récit d’une nation unie, enfin libérée de l’éternel Empire russe, sans que l’on s’interroge sur la radicalité de la « libération » en question. Bohdan Khmelnytsky, Simon Petliura et Stepan Bandera coexistent ainsi avec l’image d’Ukrainiens libérant les camps de concentration [NDLR ces derniers sont des figures clés du nationalisme ukrainien, et chacun d’eux a perpétré des pogroms anti-juifs]. Défendre uniquement le versant libéral de cet État est impossible car son maintien nécessitera la violence fasciste dès que l’ordre se verra réellement menacé. Ces derniers jours, on voit même comment la démocratie peut être rapidement suspendue et des partis interdits pour renforcer l’unité nationale dans les efforts de mobilisation.

    De plus, la stagnation économique a pour effet d’intensifier une violence exacerbée à laquelle peut se mêler un certain sadisme social. On a vu récemment des pillards être déshabillés, puis attachés à des poteaux téléphoniques en guise de punition immédiate. Le gouvernement voulant par-là s’assurer la bonne santé économique de la nation, n’a pas hésité tout bonnement à suspendre « temporairement » les droits du travail. Mais encore plus, l’usage d’une langue non ukrainienne peut aujourd’hui suffire à vous rendre suspect aux yeux des « défenseurs » du corps national.

    Contre l’histoire nationaliste, ma conception n’est pas celle de l’empathie pour la muséification des luttes passées. Elle n’est pas non plus motivée par la curiosité ou la recherche de parallèles à tout prix. Le seul parallèle entre nous et les personnes que l’État a jeté aux oubliettes de l’histoire, c’est que nous nous battons toujours pour un monde à venir et notamment contre le monde tel qu’il actuellement configuré. Tout mouvement social le remettant en question devra faire exploser les contradictions qui assurent en même temps la bonne marche de la société civile ukrainienne.

    (...)

    https://tousdehors.net/Lettres-d-Ukraine-partie-2

    #Ukraine #nationalismes

  • Lettres d’Ukraine // partie 1

    (...) L’histoire de l’après-Maidan est un excellent exemple de la façon dont des milices de droite ont réussi à consolider leur pouvoir dans la rue, en établissant de nombreux contacts et en se dotant d’une relative influence au sein des institutions militaires, de la police et de l’État, tandis que divers groupes anarchistes ont lentement périclités ou sont même désormais pour certains ouvertement patriotes.

    L’Euromaidan et l’invasion russe dans le Donbass qui a suivi ont permis l’émergence d’un gigantesque réseau de volontaires. Comme aujourd’hui, les initiatives politiques visant à renforcer l’armée étaient alors considérées comme extrêmement populaires. Ces réseaux souvent apolitiques ont fini par alimenter certains bataillons d’extrême droite qui avaient créé leurs propres centres de formation. Ils ont ainsi pu activement recruter des jeunes, souvent prêt à faire le coup de force dans la rue en tabassant par exemple des homosexuels.

    Ce que vous ne lirez dans presque aucun article occidental vantant les performances de l’armée ukrainienne aujourd’hui et ce que la plupart des gens ne comprennent pas, c’est que l’entrainement, la maintenance et l’armement de l’Ukraine, ainsi que les exigences du FMI en matière de crédits accordés à l’État, sont en même temps les causes structurelles du démantèlement des hôpitaux, du sous-investissement dans l’éducation, des pensions de misère pour les retraités, de l’absence d’augmentation des salaires dans le secteur public. L’austérité est aussi l’avenir qui attend l’Ukraine si elle est un jour acceptée dans l’UE.

    https://tousdehors.net/Lettres-d-Ukraine

    #Ukraine #nationalismes

  • Chief Rabbi of Ukraine demolishes Putin’s excuse for Russia’s invasion
    27/02

    https://khpg.org/en/1608810144

    extrait (google trad)

    « La communauté juive fait partie intégrante de l’Ukraine et se tient aux côtés du peuple, du gouvernement et des forces armées ukrainiens pour défendre l’Ukraine.

    Le gouvernement ukrainien a soutenu la communauté juive depuis que l’Ukraine est devenue indépendante en 1991. »

    Il a ensuite ajouté : « Il a défendu et s’est lié d’amitié avec la communauté juive. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que le président et l’ancien Premier ministre ukrainiens sont juifs. »

    La Russie a tenté pour la première fois de justifier son invasion de la Crimée et son agression militaire dans le Donbass il y a huit ans, lorsque Poutine a affirmé que la principale préoccupation de la Russie était « l’orgie de nationalistes, d’extrémistes et d’antisémites dans les rues de Kiev ». En 2014, de telles affirmations ont été très publiquement rejetées par les dirigeants religieux et civiques juifs ukrainiens, dont le grand rabbin Bleich. Début mars 2014, il a souligné que les incidents antisémites en Ukraine étaient rares et que le premier acte de vandalisme antisémite en Crimée était intervenu deux jours après la prise de contrôle par les troupes russes. Il a ajouté : "" Nous nous attendons à une provocation. Nous prévoyons que les Russes voudront justifier leur invasion de l’Ukraine. Ils affirment déjà dans les médias que les partisans de Bandera courent et attaquent les synagogues, mais rien de tout cela ne se produit.

    #ukraine #nazis

  • Il n’est jamais possible d’éviter complètement le risque. Il s’agit de déterminer le degré de risque avec lequel vous êtes à l’aise et de vous comporter de telle sorte que si quelque chose tourne mal, vous n’aurez aucun regret, sachant que vous avez pris toutes les précautions que vous avez jugées nécessaires. En partageant votre vie avec un groupe d’affinité, vous bénéficiez des meilleurs éléments de prudence et de convivialité.

    Bien entendu, votre groupe d’affinité ne suffira pas à lui seul à répondre à tous vos besoins. Que faire si vous avez besoin de ressources auxquelles aucun·e d’entre vous ne peut accéder en toute sécurité ? Et si vous tombez tou·te·s malades ? Vous devez être relié·e·s à d’autres groupes d’affinité dans un réseau d’entraide, de sorte que si un groupe du réseau est débordé, les autres puissent lui venir en aide. En participant à un tel réseau, vous pouvez faire circuler les ressources et le soutien sans que tou·te·s aient besoin de s’exposer au même niveau de risque. L’idée est que lorsque des personnes de différents groupes au sein du réseau interagissent, elles appliquent des mesures de sécurité beaucoup plus strictes, de manière à minimiser les risques supplémentaires.

    CrimethInc, Survivre au virus : une méthode anarchiste
    Capitalisme en crise – Hausse du totalitarisme – Stratégies de résistance
    , 18/3/20

    https://de.crimethinc.com/2020/03/18/survivre-au-virus-une-methode-anarchiste-capitalisme-en-crise-hausse-

    #covid #politique-sanitaire-par-le-bas

    • Aussi partagé là dès la publication (= au tout début de la pandémie, en tout cas des mesures gouvernementales en France, en mars 2020), avec la trad qui était sur mars-infos :
      https://seenthis.net/messages/833579

      Notons qu’on est désormais deux ans plus tard, et que donc les connaissances sur le virus, comment il se propage, comment on l’attrape majoritairement, etc, ont énormément (vraiment énormément) évolué, vu l’ampleur du problème et donc la quantité de recherches qui ont été menées dans le monde entier en deux ans. La direction générale, le cap, pouvant être le même (promouvoir une autonomie sanitaire), les solutions plus précises, elles, sont forcément à relire au regard des connaissances largement augmentées désormais.

    • calquer sur les nécessités de la (semie ?) clandestinité (le groupe, le cloisonnement des groupes). très limité pour appréhender un phénomène éminemment social telle une maladie contagieuse, spécialement « en bas » où règne, non sans partage, la séparation, l’isolement, les vies contraintes (famille, travail, école, transports, institutions de soin).

      #anarchisme

    • La proposition qui me semble la plus intéressante est dans la dernière phrase : "L’idée est que lorsque des personnes de différents groupes au sein du réseau interagissent, elles appliquent des mesures de sécurité beaucoup plus strictes, de manière à minimiser les risques supplémentaires."

      En fait je pense qu’il faut abandonner l’idée d’avoir une seule façon de faire et qui serait la meilleure en soi. Par contre, quand deux façons de faire se rencontrent, c’est celle qui est la plus contraignante/stricte qui l’emporte.

    • Et pourtant on peut bien comparer les manières de faire : certaines tuent plus que d’autres. Je ne vois pas quel relativisme absolu empêcherait d’avoir un jugement moral « là ya X milliers de gens qui crèvent + X milliers qui finissent avec un handicap à durée indéterminé ; tandis qu’en faisant plutôt ça yen a juste quelques centaines », et d’en conclure que ce serait mieux l’option où ya pas des milliers de morts.

      Encore une fois, la santé publique à l’échelle d’un territoire (même déjà une commune, même pas métropole), c’est pas des choix individuels ou à petite échelle : dans la vraie vie sur une population entière (et pas un mini groupe de 15 anars) comme le rappelle @colporteur, tout le monde croise tout le monde tout le temps : les vieux, les jeunes, au travail, gosses à l’école, courses, etc. Une manière de faire autarcique n’existe pas, à part pour 2-3 personnes. Réfléchir à « qu’est-ce qu’on ferait/aurait aimé faire nous, en temps que camps des luttes, pour prendre soin les uns des autres », c’est y réfléchir au grand minimum à l’échelle d’une commune complète, pas des 3 potes du groupe qui vivent déjà ensemble, il me semble.

    • Je vais être plus clair alors : pour moi il n’est pas question de cesser de respirer le même air que les autres êtres humains ou de voir leur visage dans les interactions quotidiennes. Ce qui fait que le genre de société défendu par le « camp de la lutte/zéro virus » n’est pas ma société. Le territoire dont tu parles je ne m’y balade pas depuis un moment déjà ne serait-ce parce que je n’ai pas de pass pour en passer les multiples portillons.
      Par contre je veux bien respecter leurs coutumes quand j’interagis avec eux. Même si je pense que leur combat est d’arrière-garde, dans une société qui a déjà accepté tout ce qu’ils proposent, en l’occurrence une vie sociale à bonne distance par écran interposé, culpabilisation de la sociabilité ordinaire, acceptation du pass policier.

    • Longtemps plus tard, revoyant la notif, je ne vois pas le rapport entre ton paragraphe et la (petite) partie (en minorité) du « camp des luttes » qui tentent de prendre soin les uns des autres réellement. Encore le fameux amalgames entre « si tu promeus une méthode qui est fortement prouvé, et que le gouvernement (parmis plein de merdes) promeut aussi cette méthode, même si totalement incohérent avec plein d’autres choses qu’ils disent, bah c’est que t’es avec le gouvernement », ou pour simplifier « si Macron dit que le feu ça brûle, que c’est mieux de pas mettre sa main dedans, et que toi aussi, c’est que t’es un macroniste ».

      Comme dit dans le message d’avant, je ne parle même pas d’énorme territoire, ne serait-ce qu’une commune, voir un quartier d’une grande commune : dans la vraie vie d’un groupe élargie comme ça, tout le monde fini par voir tout le monde, il n’y a pas d’isolement réel. Les enfants à l’école, on refile des choses à la maison, on va voir les grands parents, on travaille dans tel et tel bureau ou atelier, etc. Donc dans ce cadre bien réel, il n’est pas compliqué de comprendre que mettre un masque en intérieur fermé protège le plus grand nombre, avec un effort ridiculement minime.

      Dire que vouloir plus d’aération (pour « pas respirer le même air ») ou avoir des masques en lieu fermé, c’est un truc tellement trop immonde horrible anti humanité, c’est vraiment parano et disproportionné. Et par ailleurs du même genre que les critiques qui disaient que se laver les mains régulièrement ça sert à rien 1 ou 2 siècles plus tôt. Alors que généraliser ça a très clairement sauvé des millions de vie au fil du temps pour un effort minime : mais ça ne marche que pour les maladies par contact. Or il existe très assurément (et de plus en plus) des maladies transmises par aérosols, et donc c’est un cheval de bataille d’hygiène de base (et non pas hygiéniste) qui est loin d’être négligeable et qui est tout aussi assurément minoritaire (et non pas dominant DU TOUT).

      M’enfin ce camp a clairement gagné, et c’est justement ça être factuellement du côté des gouvernants/great barrington : ne pas se préoccuper de l’air, ne pas promouvoir les ffp2 en intérieur, etc.

  • Quand je pense que j’ai été « d’extrême droite » ! Quand je pense que je le suis peut-être encore sur bien des points – mais d’une manière trop peu méchante pour être crédible auprès des vrais. Tant pis ou tant mieux, il faut mûrir et grâce au Covid, je serai enfin devenu politiquement adulte. Les réactions de certains face à la crise sanitaire (et que j’ai explorées ici) m’auront ouvert les yeux sur l’imbécilité congénitale de « mon camp ». Antivax et anti passe auront fait en trois semaines ce que les antiracistes n’auront pas réussi à faire en trente ans. Parce que je ne sais pas, vous, mais moi, les bigots obtus, les terreux fin de race, les jobards de « la vie d’avant », tous plus ou moins conspi, je n’en peux plus.

    Pierre Cormary, « Extrême droite modérée, je crois que c’est ce qui me correspond le plus… », Causeur, 14/9/2021

    https://www.causeur.fr/extreme-droite-moderee-antivax-210007

    #covid #extrême-droite

  • La vie, dit Illich, « tend à vider le concept de personne de son contenu tant moral que légal. » Selon lui, c’est « dans la notion de personne que s’ancre l’humanisme de l’individualisme occidental. » Une personne est clairement délimitée et son intégrité est inviolable. Ce n’est pas le cas d’une vie. On est une personne, on peut, comme on dit, « vivre sa vie ». Les vies se prêtent à des évaluations et à des améliorations, ce qui est impensable lorsqu’on parle d’une personne. Un médecin, qui me fait face en tant que personne, fait face à une certaine histoire et à un certain destin inconnus, et il lui faut apprendre beaucoup de choses sur moi afin de me soigner. Un médecin qui m’aborde en tant que vie peut trouver tout ce qu’il a besoin de savoir dans mes résultats d’analyses.

    David Cayley, Lettre ouverte à Jean-Pierre Dupuy et Wolfgang Palaver, 2021

    https://sniadecki.wordpress.com/2021/11/22/cayley-vie

    #covid #vie

  • Être le spécialiste d’un seul art ou d’une seule technique est considéré comme dégradant. Quelqu’un qui se réserverait pour une seule tâche sous prétexte qu’il y excelle serait considéré comme un moins-que-rien. Le sous-entendu d’une telle attitude est inévitablement que ce qu’il estime ne pas avoir à faire doit revenir aux autres. Cela n’empêche en rien l’excellence et l’adresse : simplement, le ou les domaines où certains excellent ne les privent pas d’assumer toutes sortes d’autres activités. Celui qui est doué dans un domaine peut aussi travailler dans un jardin collectif, préparer des repas, participer à la moisson l’été ou à divers chantiers communautaires. Personne ne l’y force : il ne le fait pas parce qu’il s’y sent obligé, mais parce que, s’il ne le faisait pas, il ne se verrait pas comme une personne accomplie.

    Léon de Mattis, Utopie 2021, p.31

    #communisation

  • Oui, des gauchistes et même des anarchistes tombent dans un complotisme facile, ce qui n’est finalement pas nouveau, mais des gauchistes et même des anarchistes trainent dans un anticomplotisme ridicule où devient taboue la critique des technologies vaccinales, de la 5G et des lobbys pharmaceutiques ce qui fait aussi le jeu du gouvernement et du Capital. Il faut aller au bout du processus consistant à mettre dos à dos complotistes et anticomplotistes – devenus irrationnels à force de rationalité. Dans le cas où c’est la peur du virus et de la maladie qui parle chez nos ami.e.s et qui est seule légitime, ce qu’il y a de particulièrement dangereux c’est que le pouvoir et ses solutions biopolitiques peuvent apparaître comme désirables. Non seulement les mesures gouvernementales ont été massivement acceptées mais également désirées jusque chez les radicaux et les anti-système.

    https://lundi.am/Toujours-sur-la-catastrophe-et-comment-en-sortir

    #covid #anticomplotisme

    • N’oublions pas que la convergence objective entre la droite « libérale », qui a toujours été séduite par la vision anglo-saxonne d’un Etat minimal réduit à ses fonctions régaliennes, et une gauche « libertaire » qui rejette toute institution répressive est une réalité.


    • « J’ai lu l’article Sur la catastrophe en cours et comment en sortir, et j’étais trop content de lire un truc sur tout ça, parce que dans nos collectifs, c’est le déni de la situation qui prévaut et l’évitement des débats ! Il faut foutre un coup de pied dans la fourmilière. Après j’étais pas d’accord avec tout, et j’ai eu grave envie d’y répondre, ça a pris la forme d’un article qui est à la fois une réponse et une continuité, qui participe à la réflexion en cours, mais je sais pas... en tout cas ça donne envie de lancer une vraie réflexion collective : quelles positions radicales dans ce bordel ? »

      Un tel texte est nécessaire et désirable car depuis deux ans nous flottons dans une confusion et une stupeur qui suspend les mouvements de la réflexion. Recouvert par la fureur des médias, pris au piège dans les dualismes et les mots de l’ennemi, notre pensée stagne et ne parvient plus à trouver les chemins du dépassement. Dans une telle période historique des franchissements « ne pas savoir » est sûrement une marque de bon sens, mais dernièrement les affects entourant la question de la catastrophe, des vaccins, étaient tellement intenses et virulents que des formes de déni et d’évitement des débats ont pu avoir lieu, il est temps d’y mettre fin. Ouvrir les questions que posent l’époque, nourrir les conflits, déplacer les certitudes, mettre à l’épreuve les théories, voilà ce à quoi nous aimerions participer, voilà la recherche d’une théorie radicale : comment s’en sortir.

      Premier point : les complotistes et les anti-complotistes font dispositif, ces deux postures trempent dans l’impuissance et la dénonciation. Mais d’une certaine manière, la posture complotiste est déjà connue et bien documentée ; c’est le complot des anticomplotistes qui passe pour un phénomène exotique. Cette nouvelle raison d’être de la #gauche_bourgeoise, nouveau détour dans la mésaventure de la #pensée-critique, prend peut-être son essor avec l’hystérie anti-Trump. Cela n’est pas assez souligné dans le premier texte, mais l’anticomplotiste est un ennemi de premier ordre, l’évolution monstrueuse du flic-citoyen trop heureux de montrer son pass sanitaire comme preuve de sa bonne moralité. Et puis oui : les complots existent. Le piège grossier de l’attaque sémantique anticomplotiste est évidement de nous cantonner à une #critique-réformiste où l’on ne pourrait plus dénoncer les complots bien réels et historiques des dominants dans leur systématicité et dans leur existence terrestre.

      Bien que les rapports sociaux soient complexes et que la domination est toujours structurelle, il est vital pour les révolutionnaires de pouvoir la contester dans ses incarnations humaines et pas seulement dans le ciel des structures sinon le camp des révolutionnaires se limite aux seules personnes ayant suffisamment de conscience politique et se condamne à un avant-gardisme néfaste. « Quiconque attend une #révolution-pure ne vivra jamais assez longtemps pour la voir », ce n’est pas un spontanéiste qui parle mais bien Lénine lui-même à propos de la révolution de 1905 : « il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour des objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait de groupuscules qui recevaient de l’argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. […] sans cette participation, la lutte des masse n’est pas possible. Et tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leur erreurs. Mais objectivement ils s’attaqueront au Capital. »

      La période est révélatrice : les anticomplotistes préférant ne pas se compromettre avec de mauvais alliés en viennent à se cantonner dans la critique des structures et passent à côté de tous les sursauts de résistance des populations. Ces deux dernières années on a vu l’ultragauche déserter la critique des mesures sanitaires et autoritaires en laissant le champ entier de la défense des libertés aux droites.

      Finalement, l’ennemi ultime est peut-être un rapport social, mais ce rapport s’incarne dans des institutions, des habitudes, des objets, voire des personnes. Il ne suffit pas de dénoncer la police et imaginer comment s’en passer, il faut aussi parfois lui jeter des pavés, alors même qu’existe le risque de la fétichiser et de rester bloqué dans une lutte contre la répression. De la même façon, il ne faut pas caricaturer le pouvoir au point de croire en sa toute puissance et de devoir inventer des forces surnaturelles pour l’expliquer, mais il faut bien donner des responsables concrets et dénoncer les chiens de garde du rapport social : pour Stengers, par exemple, il est important de rendre les petites mains capitalistes responsables du capitalisme, s’en prendre à elles et pas seulement dénoncer « le système ».

      Il y a une tendance humaniste dans la gauche à considérer qu’il n’y a pas de véritables ennemis. Le fait de nommer des ennemis est certes une mauvaise habitude mais « une mauvaise habitude de révolutionnaire » où la politique redevient cette capacité à « reconstituer de nouvelles communautés antagonistes, des lignes de partage, des divisions sans possibilité de synthèse : #destitution ». Donc d’un côté la dénonciation des structures « qui ne descendent pas dans la rue » et de l’autre « le camp des amis de la politique antagoniste ».

      Un grosse erreur, la stupeur mise de côté, fut de ne pas parvenir à se saisir de tous les enjeux quotidiens pour ancrer notre position destituante : pendant deux ans, il n’exista que très peu de discours radicaux sur la catastrophe capables de s’ancrer dans ce que nous vivions pourtant tous – au moins partiellement – comme une rupture de l’ordre et de la réalité capitaliste.

      Deuxième point : la peur n’est pas à fuir, il faut partir d’elle. Nous le saurons pour la prochaine, dans la catastrophe la peur est une émotion partagée et qui partage : que ce soit la #peur-du-virus ou la #peur-de-la-gestion-biopolitique qui domine, notre réaction ne sera pas la même et on se trouvera pris au piège à des endroits différent des dualismes : pro et anti. La peur est généralement cachée, infusant inconsciemment dans les débats – surtout chez les rationalistes. La peur est à la fois ce par quoi on nous gouverne et ce par quoi, si elle est mise en commun et dépassée, on se révolte. Mais la peur est un affect qui pousse à s’organiser si et seulement si on la dépasse collectivement, dans le cas contraire elle n’est qu’une fuite qui mène dans les bras « du premier charlatan ou sauveur auto-proclamé », qu’il soit officiel ou officieux, que ce soit la tisane au miel ou le vaccin magique.

    • Une part du mouvement antivax, certains complotistes, comme d’autres fascistes, surfent sur la peur en roue libre, peur de la science, des autres, du savoir, de la vérité, du virus, qui peut aussi se convertir en peur irrationnelle des étrangers ou du vaccin. Mais la peur est commune à tous, c’est aussi le provax convaincu, militant de « la suspension critique » qui parfois sans le dire, charrie sa peur de la maladie, du virus et qu’il reporte sur les pauvres, les marginaux, ceux qui ne comprennent rien etc.

      La peur paranoïaque est le dénominateur commun de l’époque, il se trouve aussi du côté de ceux qui ont peur de la maladie parce qu’ils ont peur de la mort – peur de la vie qui englobe fatalement la mort et la maladie. On peut certes vouloir être soigné par un robot ultra technologique mais on peut aussi préférer mourir comme Illich. La question n’est pas de savoir ce qui est mieux, ce serait stupide puisque derrière nos préoccupations théoriques, ce sont nos affects qui agissent et qu’on se fout pas mal de savoir comment chacun s’arrange individuellement avec les chantages de l’Empire ...

      ... Si nous sommes assez honnêtes c’est bien là où nous en sommes : à devoir construire une connaissance approchée de la catastrophe en cours. Et dans ces temps de redéfinition une question que l’on se pose est celle que toute politique suppose : quels ennemis, quels amis ? Au delà des choix individuels de se faire ou non vacciner : avec qui pouvons nous construire une santé communiste ?

      [ Cette construction ] pose d’ores et déjà un certain nombre de questions :

      -- Il est inacceptable que le monde de l’économie poursuive son exploitation en temps de pandémie mondiale alors même qu’il en est à l’origine. Comment en témoigner ?

      -- Il est assez évident que la crise du coronavirus est une répétition générale de la fin du monde, que les catastrophes vont continuer à s’enchaîner, la question étant comment tenir une position communiste dans cette époque, en quoi la pandémie aura-t-elle ou pas remis en question les théories de la destitution et ses présupposés ?

      -- Que veut dire matériellement, économiquement et énergétiquement cette ultime alliance technocratique opportuniste de la crise : sommes nous en train d’assister à une transformation profonde du capitalisme ? Quels en sont les contradictions et les faiblesses ?

      -- Stratégiquement, faut-il appuyer la gravité de la pandémie en démontrant les manques de l’État – au risque d’être dans une demande d’État contre-productive et pris au piège dans les règles du jeu sémantique des dirigeants – ou bien refuser la Pandémie comme nouveau paradigme et, sans nier l’existence d’une épidémie de covid 19, s’opposer à l’instrumentalisation par l’État de la crise sanitaire ?

      Rendons cette réflexion collective, car nous aurons besoin de toutes les ressources radicales pour parvenir à une théorie digne de l’époque.

    • Ce texte mérite d’être mis en valeur beaucoup mieux que vous ne l’avez fait, cf le messages/944728 (message un peu fourretout, avec des commentaires du type : En ce 24 janvier, l’organe du Horsolistan persiste dans le n’imp )
      Je suis en train de tenter de « l’analyser » sans prétention :) et de le comprendre en profondeur si on peut dire, d’essayer de faire le tri, et de le taguer.
      Il me semble que Cristina del Biaggio procède très souvent de cette façon en raison de sa profession et j’aimerais pour une fois avoir la liberté de faire de même sans avoir à subir les remarques de la « modération » @rastapopoulos :)

      Maintenant si cela dérange @deun je supprime tout.

  • Nous proposons de bâtir un système fondé sur cinq piliers où, demain, des entreprises de la filière alimentation seront conventionnées par les caisses de Sécurité sociale selon des critères qui favoriseront une économie postcapitaliste. Ces entreprises seront composées de salarié·es copropriétaires d’usage de leur outil de travail qui percevront un salaire à vie. Des millions de personnes pourront s’installer en agriculture paysanne et intégrer des collectifs de travail autogérés (fermes, ateliers de transformation, épiceries, etc.) en ayant la garantie du salaire et dans le cadre d’une filière alimentaire débarrassée des objectifs lucratifs qui prédominent pour l’instant. Il sera possible de produire des aliments dans des conditions de travail désirables puisque décidées collectivement. Cette matière première abondera les marchés, les ateliers de transformation, les magasins alimentaires et les lieux de restauration collective.

    Laura Petersell, Kévin Certenais, Régime Général. Pour une Sécurité sociale de l’alimentation, p. 98

    https://riot-editions.fr/ouvrage/regime-general-pour-une-securite-sociale-de-lalimentation-laura-peters

    #agriculture #sécurité-sociale

  • Même lorsque la zone révolutionnaire est assez large et que la production à des milliers de kilomètres est possible, la voie la plus sensée sera de localiser la production alimentaire autant que possible, non seulement pour réduire l’utilisation d’énergie dans le transport, mais aussi pour établir une situation dans laquelle une grande partie des besoins alimentaires des gens est immédiatement disponible et prête à l’emploi, à une distance raisonnable, ce qui rend beaucoup plus difficile pour eux d’être subjugués par une couche bureaucratique, un pouvoir hostile ou une tentative émergente de restauration capitaliste. La localisation partielle de la production de denrées alimentaires et d’autres produits de première nécessité éviterait le besoin d’argent ou de pseudo-monnaie, de salaires ou de tickets de travail, permettant aux biens prêts à l’emploi d’être distribués sur demande, avec un niveau d’administration relativement faible. La production et la distribution des fruits de l’activité sociale pourraient, sur cette base, se faire volontairement et librement ; même si l’argent et l’échange persistaient en marge pendant un certain temps – très probablement en raison de la présence de différentes factions, poursuivant des voies révolutionnaires différentes – si la plupart des besoins des gens pour vivre étaient organisés de cette façon avec succès, sur une base communiste, le communisme se stabiliserait. Et s’il se stabilisait, il se répandrait, car l’existence de personnes répondant à leurs propres besoins et s’épanouissant sans la médiation de l’argent, des salaires ou de la contrainte violente serait extrêmement destructrice pour le capitalisme et la société de classe ailleurs.

    Jasper BERNES, “Le ventre de la révolution : L’agriculture, l’énergie et l’avenir du communisme”, Chou blanc Editions

    https://choublanceditions.noblogs.org/post/2022/01/13/le-ventre-de-la-revolution-lagriculture-lenergie-et-laven

    #communisation #agriculture