• « Le #bien-être est toxique, transformons-le »

    Chaque mois de septembre, nous sommes des millions à nous inscrire dans des cours de fitness ou de relaxation. Prof de yoga et militante, #Camille_Teste imagine un « #bien-être_révolutionnaire ».

    Reporterre — À chaque rentrée, nous sommes nombreuses et nombreux à nous ruer sur les cours de yoga, fitness et autres coachings. Dans votre livre, vous épinglez ce marché du bien-être, « devenu poule aux œufs d’or du #capitalisme ». En quoi le bien-être est-il le « meilleur ami du #néolibéralisme » ?

    Camille Teste — Le système néolibéral nous considère comme des entreprises individuelles à faire fructifier. On nous enjoint donc de nous « auto-optimiser », afin de devenir « la meilleure version de nous-mêmes », via des pratiques de bien-être. Il s’agit d’être en bonne santé, le plus beau et le plus musclé possible, mais aussi — surtout depuis le Covid — le plus spirituellement développé.

    Cette « #auto-optimisation » a deux intérêts : nous pousser à consommer — le #marché du bien-être générerait près de 5 000 milliards de chiffre d’affaires chaque année dans le monde [1] — et nous enfermer dans une forme d’#illusion. Car derrière cette #idéologie, il y a la promesse du #bonheur. Il suffirait de faire du sport, de la méditation et de bien se nourrir pour être heureux. Or résumer le bonheur à une question d’#effort_individuel relève de l’arnaque. La société capitaliste n’est pas structurée pour notre #épanouissement. On peut faire tout le vélo d’appartement qu’on veut, rien n’y fera, nous ne serons pas heureux.

    Vous écrivez : « Face à la planète qui brûle, nous ne savons que faire. Alors, à défaut de changer l’ordre du monde, nous tentons de nous changer nous-mêmes. » Autrement dit, le néolibéralisme se servirait du bien-être pour évacuer la crise climatique.

    Tout à fait. Le monde est en train de s’écrouler : croire qu’on va régler les grands problèmes du XXIe siècle à coups de pratiques de développement personnel, c’est faux et dangereux. Surtout, ça nous détourne de l’#engagement et de l’#organisation_collective.

    « Un bien-être révolutionnaire favorise les #luttes »

    C’est pour ça que les milieux de gauche et militants regardent avec une très grande méfiance les pratiques de bien-être. Je trouve ça dommage, il me semble qu’elles pourraient nous apporter beaucoup, si elles étaient faites autrement. Le bien-être est ringard, inefficace et toxique ? Transformons-le !

    Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain…

    Oui, les pratiques de bien-être ont tout un tas de #vertus dont il serait dommage de se passer dans la construction d’un autre monde. Elles sont avant tout des pratiques de « #care » [#prendre_soin], et permettent de créer des espaces de douceur, d’attention à l’autre, de soin, où l’on accueille les vulnérabilités. Ce sont aussi des espaces où l’on se sent légitimes à déposer les armes, à se reposer, à ne rien faire, à cultiver le non agir.

    À quoi pourrait ressembler un bien-être révolutionnaire ?

    Ce serait un bien-être qui favorise l’#émancipation_individuelle. Pas juste pour maigrir, être efficace au travail ou pour nous faire accepter la crise climatique. Les pratiques de bien-être peuvent nous libérer, nous faire ressentir plus de #plaisir, plus de puissance dans nos corps…

    Un bien-être révolutionnaire favorise aussi les luttes. Comment faire dans un cours de fitness pour sortir des discours individualisant, pour avoir un discours plus collectif, politique ? Par exemple, plutôt que de rappeler, à l’approche de l’été, l’importance de « se donner à fond pour passer l’épreuve du maillot », on pourrait parler patriarcat et injonction à la minceur.

    Que peuvent apporter les pratiques de bien-être aux luttes ?

    Dans les milieux militants, on s’épuise vite et on reste dans une forme d’#hyperproductivisme chère au capitalisme. Le #burn-out_militant est une réalité : on ne peut pas passer tout son temps à lutter ! Quand un ou une athlète prépare les Jeux olympiques, elle ne fait pas que courir et s’entraîner. Il faut aussi dormir, se relâcher. De la même manière, il est essentiel dans nos luttes d’avoir des espaces de #repos. Toutes les pratiques qui visent la pause, le silence, le non agir — comme le yoga, la méditation, la retraite silencieuse, la sieste, la marche — me semble ainsi intéressantes à explorer.

    Les pratiques de bien-être créent aussi du #commun, du #lien : s’entraider, prendre plaisir à être en groupe, être attentif aux autres, apprendre à communiquer ses besoins, expliciter ses limites. Tous ces outils sont utiles pour des milieux militants qui peuvent être toxiques, où l’on peut vite s’écraser, ne pas s’écouter.

    Certaines #pratiques_corporelles permettent aussi de développer l’intelligence du corps. Ce sont des pratiques de #puissance. Personnellement, depuis que mon corps est assez fort, je ne marche plus devant un groupe de mecs de la même manière ; je me sens davantage capable d’aller en manif, de faire en sorte que mon #corps se frotte aux difficultés. Attention, ça ne veut pas dire que si on fait tous de la muscu, on pourra faire un énorme blocage d’autoroute ! Mais ça peut aider.

    Enfin, il y a aussi une question de #projet_politique. Comment donner envie aux gens de nous rejoindre, d’adhérer ? Un projet à la dure ne va pas convaincre les gens : le côté sacrificiel du #militantisme, ça ne donne pas envie. Il faut une place pour la #joie, le soin.

    Le bien-être, tel qu’il est transmis actuellement, est fait pour les classes dominantes (blanches, riches, valides). Peut-on le rendre plus accessible ?

    Le bien-être est aujourd’hui un produit, une #marchandise, que l’on vend en particulier aux classes moyennes et supérieures. Pourtant, nombre de choses qui nous font du bien ne sont pas forcément des choses chères : faire des siestes, être en famille, mettre de la musique dans son salon pour danser ou marcher dehors.

    Les espaces de bien-être sont très normés du point de vue du corps, avec des conséquences très directes : il est par exemple difficile pour les personnes se sentant grosses de venir dans ces lieux où elles peuvent se sentir jugées. On peut y remédier, en formant les praticiens, en adaptant les espaces : les salles de yoga où l’on considère qu’un mètre carré par personne suffit ne sont pas adéquates. Des flyers montrant des femmes blondes minces dans des positions acrobatiques peuvent être excluants.

    Il s’agit aussi de penser la question de l’#appropriation_culturelle : les pratiques de bien-être piochent souvent dans tout plein de rites culturels sans les comprendre. Il faudrait interroger et comprendre le sens de ce qu’on fait, et les conséquences que cela peut avoir. La diffusion à grande échelle de la cérémonie de l’ayahuasca [une infusion à des fins de guérison] a par exemple profondément transformé ce rite en Amérique latine.

    Vous expliquez que les pratiques de bien-être pourraient nous aider à « décoloniser nos corps » du capitalisme. Comment ?

    Le capitalisme ne nous valorise que dans l’hyperaction, dans l’hyperactivité. Cela crée des réflexes en nous : restez une demi-journée sans rien faire dans votre canapé, et sentez monter l’angoisse ou la culpabilité ! De la même manière, le système patriarcal crée des réflexes chez les femmes, comme celui de rentrer notre ventre pour avoir l’air plus mince par exemple.

    Observer nos pensées, nos angoisses, nos réactions, ralentir ou ne rien faire… sont autant de méthodes qui peuvent nous aider à décoloniser nos corps. Prendre conscience des fonctionnements induits par le système pour ensuite pouvoir choisir de les changer. Ça aussi, c’est révolutionnaire !

    https://reporterre.net/Le-bien-etre-est-toxique-transformons-le
    #développement_personnel #business

  • Coronavirus : les soignants de Mondor à Créteil en « danger grave et imminent » selon les syndicats , Le Parisien, 23 avril

    [...] L’intersyndicale CFDT-CGT-SUD Santé-FO Henri-Mondor à Créteil a déposé en fin de semaine dernière un avis de « danger grave et imminent » auprès de la direction. Pour alerter de la « situation très préoccupante au niveau psychologique des personnels de santé et l’épuisement dû aux conditions de travail actuelles ».

    Le danger grave et imminent qui sera examiné par l’inspection du travail porte sur trois points : la mise en place des horaires imposés, le bilan des moyens de protections individuels et collectifs à disposition et la reprise d’activité des blocs opératoires pendant la crise. [...] « Depuis la semaine dernière, on nous fait travailler à deux fois douze heures, soit près de 50 heures par semaine, ce qui conduira à 50 heures supplémentaires au bout de quatre semaines. Les conditions de travail sont catastrophiques. On parle de diminution du nombre de patients en réanimation, mais il n’y a rien de flagrant, nous avons toujours 85 patients en réanimation », argumente David Jacquelin de SUD Santé.

    [...] « Le rythme que l’on nous impose, c’est de la folie. Il faut prendre soin des soignants. S’ils tombent malades qui soignera ? Ce que l’on vit dans les hôpitaux est d’une violence absolue, comme on n’a plus l’habitude de la connaître depuis l’épidémie HIV il y a trente ans. On fait front, mais ça ne pourra pas durer comme ça, des soignants solides et expérimentés s’effondrent et ça n’est pas normal ! », dénonce Eric Tricot qui a remis ses délégations syndicales SUD à la direction en rejoignant le service de réanimation. « Pendant ce temps-là, on se sent méprisés par le gouvernement, poursuit-il. On nous habille avec des guenilles, on nous file des masques périmés et nos ministres se baladent avec des costumes à 3000 balles ! C’est la stratégie de casse du service public qu’on se prend en pleine face. Ça fait un an que nous faisons grève pour le dire ! »

    Saint-Malo. Prime Covid : préavis de grève à hôpital
    https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-malo-35400/saint-malo-prime-covid-preavis-de-greve-hopital-6816800

    Saint-Nazaire. Un préavis de grève à l’hôpital déposé par Force Ouvrière
    https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/saint-nazaire-44600/saint-nazaire-un-preavis-de-greve-a-l-hopital-depose-par-force-ouvriere

    Valognes. Un préavis de grève contre la suppression de postes à l’hôpital
    https://www.lamanchelibre.fr/actualite-869437-valognes-un-preavis-de-greve-contre-la-suppression-de

    #hôpital #prendre_soin_des_soignants #soignants #conditions_de_travail #syndicats #préavis_de_grève
    voir le dicton sans cesse asséné par Jean Oury "commencer par prendre #soin de l’#institution" à propos de l’hôpital, se promener du côté de la critique de la gestion des resources humaines, j’aime bien

  • L’éthique du care | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm

    Zielinski Agata, « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », Études, 2010/12 (Tome 413), p. 631-641. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm

    Si le terme n’est pas toujours traduit, c’est que sa richesse sémantique ne s’épuise pas dans un unique équivalent français : prendre soin, donner de l’attention, manifester de la sollicitude… Entre soin et sollicitude, la notion de care invite à une réflexion sur son mode d’acquisition. D’où nous vient de prendre soin ? D’où nous vient la capacité à nous soucier d’autrui ? Et la conduite consistant à agir pour répondre aux attentes de celui-ci ?

    Tronto présente quatre phases du care [10][10] Tronto, p. 147-150., auxquelles correspondent quatre qualités morales spécifiques. De là ressort que le care ne se réduit pas à la morale, et que la morale dont il est question s’expérimente dans une pratique plutôt qu’elle ne se donne à connaître dans des grands principes.

    Le premier aspect du care est défini comme caring about, « se soucier de » : il s’agit de constater l’existence d’un besoin, de reconnaître la nécessité d’y répondre, et d’évaluer la possibilité d’y apporter une réponse. Nous voyons ici apparaître en filigrane une nuance entre nécessité morale et possibilité pratique : quelque chose s’impose – une nécessité « intérieure » – qui n’est pas de l’ordre de l’obligation par devoir, mais doit être passé au crible de la réalité, c’est-à-dire de l’évaluation de ce qui est possible.

    Vient ensuite l’aspect du taking care of, « prendre en charge » : assumer une responsabilité par rapport à ce qui a été constaté, c’est-à-dire agir en vue de répondre au besoin identifié. La responsabilité est ici entendue comme une forme d’efficacité.

    Suit la dimension du care giving, « prendre soin », qui désigne la rencontre directe d’autrui à travers son besoin, l’activité dans sa dimension de contact avec les personnes. Nous retrouvons ici la dimension de singularité du soin : singularité des personnes et de la situation, et plus directement la dimension relationnelle vers quoi converge le soin.[...] Au care giving correspond la qualité morale de la compétence : il ne suffit pas d’entrer en relation avec autrui, il est nécessaire de lui procurer efficacement ce qui pourvoit à ses besoins.

    Tronto termine sa description du processus du care par le care receiveing, « recevoir le soin ». Pour le « donneur » de soin, il s’agit de reconnaître la manière dont celui qui le reçoit réagit au soin. C’est la seule manière de savoir si une réponse a été apportée au besoin, autrement dit, de voir si le soin a produit un résultat.

    Le care permet de redonner une place à la vulnérabilité dans le lien social. Alors que le libéralisme tend à exclure la vulnérabilité de la place publique, les éthiques de la sollicitude en rétablissent la visibilité [20][20] Brugère (2008), p. 89.. Le care est encore confrontation à sa vulnérabilité propre : difficulté à comprendre et identifier les désirs ou attentes, fragilité de l’adéquation des réponses aux besoins, ouverture à l’autre qui demande un investissement de l’attention, du corps, des affects… exigeant et parfois épuisant. Les compétences les plus pointues n’assurent pas une réponse parfaite. Intégrer sa propre vulnérabilité, c’est apprendre un care qui doute, qui ne se satisfait pas d’apparentes évidences, qui sait que l’adéquation de la réponse demande adaptation et tâtonnements. La sollicitude et l’activité de soin transforment ceux à qui elles s’adressent, mais aussi ceux qui les exercent. Cette interdépendance est en même temps processus d’indépendance, acte pris de la commune vulnérabilité.

    Ainsi, le rôle de l’attention est bien d’identifier non seulement les besoins mais encore les capacités (ou « capabilités » [22][22] Cf. Amartya Sen ou Martha Nussbaum, cités par Tronto...). En effet, contrairement au cliché que peut générer l’association du care au « maternage » ou au « paternalisme », prendre soin ne consiste pas à laisser le sujet passif. Prendre soin ne se résume pas à donner, mais cherche à solliciter la participation, le choix, et finalement l’action d’autrui. Autrement dit, le care est une relation entre deux acteurs – et non entre un sujet actif et un sujet passif (un patient), ce à quoi le réduisent ses détracteurs.

    #Care #Prendre_soin #Philosophie