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  • "Fatima moins bien notée que Marianne", un livre choc sur les rapports islam/école | Raphaël Liogier

    http://www.huffingtonpost.fr/raphael-liogier/fatima-moins-bien-notee-que-marianne-un-livre-choc-sur-les-rapports-d

    ISLAM - Un an après Charlie Hebdo et après que l’école de la république a été mise en question dans sa fonction politique de construction du vivre-ensemble, deux mois après les attentats de novembre, l’ouvrage Fatima moins bien notée que Marianne, écrit par François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils, tous deux chercheurs au laboratoire EMA de l’université de Cergy-Pontoise, arrive à point nommé pour comprendre les relations école/islam en France.

    Les deux auteurs en appelaient déjà à la fin de l’école traditionnelle un an avant. Ils se demandent aujourd’hui si l’école française ne fait pas preuve de racisme envers les musulmans, manifestant un racisme institutionnel, qui n’est pas à repérer dans l’attitude d’individus singuliers mais dans la logique qui conduit à désavantager systématiquement certaines catégories socio-culturelles, ici les musulmans. Non, le racisme anti-musulman n’est pas une invention de sociologue mais bien une réalité empiriquement repérable.

    Une école islamophobe ?

    Les événements dramatiques de janvier 2015 ont mis en agenda l’Ecole dans sa capacité à créer du lien social. Les réactions de certains élèves lors de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats contre Charlie Hebdo ont questionné sur le degré d’adhésion à notre République. Les attaques du 13 novembre 2015 aussi interrogent sur le ressentiment de jeunes jihadistes qui ont fait leur scolarité au sein du système éducatif français. Depuis janvier, les discours proposant des solutions à l’emporte-pièce monopolisent les médias : blouses, uniformes, drapeau, « Marseillaise », sanctions et « cours » de morale laïque.

    Cette nostalgie collective d’une société de l’Ordre moral autour d’une école qui n’a jamais existé en dit long sur le processus d’amnésie, d’oublis sélectifs et de fantasmes. Il est donc plus que temps que les débats soient nourris par les sciences sociales. L’ouvrage propose une lecture atypique. Derrière le rejet et la peur de l’islam, se cache la peur de l’autre, de l’autre qui nous ressemble, de l’autre proche mais pensé comme différent. Il y a une certaine manière de penser la République qui en fait un monolithe, où l’indivisibilité du collectif doit nécessairement passer par l’invisibilité des individus. Cette conception a été largement portée par l’Ecole de la IIIe République. Sous couvert d’universalisme et de laïcité, une logique d’assimilation met au pas les différences portées par les jeunes issus de l’immigration. C’est toujours sous l’angle d’un problème posé par l’islam en France que l’on s’interroge, et non sous l’angle d’une incapacité de la république française à penser les mutations du vivre ensemble.

    Inverser les termes de la réflexion introduirait pourtant de nouvelles solutions car « L’école française n’est pas à la hauteur » quand il s’agit de transmettre les valeurs républicaines à l’école. Ainsi s’exprimait à l’Assemblée nationale la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem elle-même le mercredi 14 janvier 2015 après les quelques 200 incidents dans les établissements scolaires faisant suite aux attentats contre « Charlie Hebdo ». Les auteurs la prennent aux mots.

    Fatima moins bien notée que Marianne pour un devoir équivalent, Issam et Kader plus punis que Mathieu pour un même comportement, des écoles publiques qui concentrent 90 % d’enfants musulmans quand d’autres n’en comptent aucun, des manuels scolaires qui réduisent l’islam à l’islamisme, une véritable éducation séparée qui s’organise malgré tous les appels à la mixité sociale et ethnique. Il ne s’agit pas là d’impressions jetées en pâture au débat polémique, mais du résultat d’enquêtes et de recherches scientifiques qu’aucun ouvrage jusque-là n’avait synthétisées. A la crise économique dans laquelle nous sommes plongés depuis le début des années 1980, s’est ajoutée au milieu des années 2000 une crise plus profonde des identités collectives. L’école en tant que système y participe plutôt que d’en déjouer les embûches.

    S’en sortir par une laïcité d’inclusion

    Quand discours et pratiques sont dissonants, comment ces jeunes, qui sont les enfants de notre république peuvent-ils s’y retrouver ? L’école créée pour fabriquer du Commun discrimine aujourd’hui par toute une série de mécanismes que décryptent les auteurs, en particulier en nourrissant l’imaginaire de la menace identitaire. La crise de Suez marque la fin, en 1956, de la toute puissance européenne qui a abouti à ce que je nomme le « complexe de Suez » : sentiment de déclin, délire de l’encerclement qui découle de cette perte de puissance. Au cœur de ce sentiment de déclin, l’islam est devenu la menace identitaire par excellence, la preuve qu’il y aurait une « guerre des civilisations » en cours. Sentiment de guerre alimenté par des discours politiques qui présentent cette religion comme une force antisociale. Alors que l’on s’attendrait à ce qu’ils soient déconstruits, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils montrent que de tels discours de « guerres de civilisations » sont au contraire reproduits par notre école.

    Mais les deux auteurs n’en sont pas restés au simple constat. Ils proposent une « laïcité d’inclusion » capable de faire de l’école une arme puissante d’intégration, meilleur rempart contre les haines. Les appels à la morale laïque ne peuvent pas être de simples incantations ou le support d’une politique répressive qui scellerait l’échec de notre vocation à éduquer. Se dirige-t-on vers une laïcité policière, avec la possibilité d’inscrire sur un fichier les adolescents à surveiller ? Les auteurs en appellent à des solutions autres pour bâtir une laïcité bienveillante qui exigera de l’école de faire progresser tous les élèves, de n’en laisser aucun sur le bord du chemin ! Car, disent-ils, ce qu’il faut penser, ce n’est pas une école « avec » des cours de laïcité, mais bien une école « de » la laïcité.

  • L’école de la République est-elle islamophobe ?

    https://theconversation.com/lecole-de-la-republique-est-elle-islamophobe-52729

    Un an après les attentats contre Charlie Hebdo, on se doit de poser la question sans détour : l’école de la République est-elle islamophobe ?

    Bien sûr, les mots sont plombés et la terminologie contestée, mais il nous faut penser la fonction sociale et politique de l’école de la République. Les événements dramatiques de janvier 2015 ont mis en agenda l’école dans sa capacité à créer du lien social. Les réactions de certains élèves lors de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats contre Charlie Hebdo ont questionné sur le degré d’adhésion à notre République. Les attaques du 13 novembre 2015 nous interrogent aussi sur le ressentiment de jeunes radicalisés qui ont fait leur scolarité au sein du système éducatif français.

    Depuis janvier 2015, les discours proposant des solutions à l’emporte-pièce monopolisent les médias : blouses, uniformes, drapeau, « Marseillaise », sanctions et « cours » de morale laïque.

    Cette nostalgie collective d’une société proprement réactionnaire autour d’une école qui n’a jamais existé en dit long sur le processus d’amnésie, d’oublis sélectifs et de fantasmes qui produit les sociétés et le lien social. Il est donc plus que temps que les débats soient nourris par les sciences sociales.
    Une terminologie constatée et pourtant ….

    Charb écrit dans sa « Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes » :

    Si on l’aborde d’un point de vue purement étymologique, l’islamophobie devrait désigner “la peur de l’islam”. Or les inventeurs, promoteurs et utilisateurs de ce terme l’emploient pour dénoncer la haine à l’égard des musulmans. Il est curieux que ce ne soit pas “musulmanophobie” et, plus largement, “racisme” qui l’aient emporté sur “islamophobie”, non ? (…) Alors, pour quelles raisons le terme “islamophobie” s’est-il imposé ? Par ignorance, par fainéantise, par erreur, pour certains, mais aussi parce que beaucoup de ceux qui militent contre l’islamophobie ne le font pas en réalité pour défendre les musulmans en tant qu’individus, mais pour défendre la religion du prophète Muhammad.

    Cette grille de lecture, très largement répandue, met de côté les travaux scientifiques contemporains qui montrent précisément que l’hostilité à l’encontre de l’islam et le rejet des musulmans sont intrinsèquement corrélés.

    Les discours négatifs visent à la fois l’islam et les musulmans réels ou supposés, qui sont souvent liés de manière indissociable dans les perceptions générales. Même si les mots peuvent être instrumentalisés, essentialisés, détournés : sous couvert de la question musulmane se cache la question ethnique autant que la question sociale.

    Comme l’écrivait Charb avec justesse, si les musulmans de France se convertissaient tous au catholicisme ou bien renonçaient à toute religion, cela n’en serait pas fini du racisme ou de la recherche de boucs émissaires. Des Français arabes, non musulmans, en font déjà l’expérience, lorsqu’ils sont à la recherche d’un logement ou d’un emploi….
    Rapports conflictuels à l’Islam

    Derrière le rejet et la peur de l’islam, se cache la peur de l’autre, de l’autre qui nous ressemble, de l’autre proche, mais pensé comme différent. Il y a une certaine manière de penser la République qui en fait un monolithe, où l’indivisibilité du collectif doit nécessairement passer par l’invisibilité des individus. Cette conception a été largement portée par l’école de la IIIe République.

    La loi de 2004, acceptée par une grande partie des musulmans de France, aurait pu clore la question, mais l’actualité continue à mettre en agenda la laïcité dans ses rapports conflictuels à l’islam : faut-il supprimer les menus de substitution dans les cantines ? Faut-il autoriser l’accompagnement des élèves dans les sorties scolaires par les mamans voilées ? Faut-il interdire le port du voile à l’université ? Les parents d’élèves signeront-ils la charte de laïcité ?

    Une laïcité conquérante, se cherche et se trouve de nouvelles frontières, à moins que l’enjeu ne soit, derrière les objectifs affichés (émancipation de la femme, avancée de la rationalité, lutte contre ledit « communautarisme »…) de réduire le plus possible la visibilité des minorités au sein de l’espace public, tout en donnant des gages aux mouvements d’extrême droite en progression électorale.

    Ces questions émergent dans une société multiconfessionnelle dans laquelle la présence des minorités ne peut plus être pensée comme conjoncturelle. Elles imposent une interrogation sur l’école, qui est l’institution privilégiée pour construire du commun au sein de la République, via précisément cette notion de « laïcité » ?

    Sous couvert d’universalisme et de laïcité, une logique d’assimilation met au pas les différences culturelles, sociales et politiques portées par les jeunes issus de l’immigration et c’est sous l’angle d’un problème posé par l’islam en France que l’on s’interroge, et non sous l’angle d’une incapacité de la République française à penser les mutations du vivre ensemble. Et l’école participe de cette construction collective

    Inverser les termes de la réflexion introduirait pourtant de nouvelles solutions. L’école est au cœur de la fabrique du Commun en ce qu’elle produit les valeurs centrales de cohésion sociétale, mais il nous faut penser ce Commun grâce à une « laïcité d’inclusion ».
    Quand l’école véhicule des stéréotypes

    Chez Jules Ferry, qui fut l’un des pères fondateurs à la fois de l’école publique et de l’empire colonial, tous les peuples allaient petit à petit, grâce à la raison universelle transmise par l’école, accéder à la civilisation universelle incarnée par la patrie des droits de l’homme… Il en était des enfants comme des colonisés…

    Notre passé a beau être partiellement amnésique, il n’en laisse pas moins de traces. Notre idéal républicain est aujourd’hui écorné. Il n’a pas rempli ses promesses et montre ses limites à la lumière des mutations sociales, économiques et culturelles du pays, et ce notamment dans l’école, lieu de ségrégation sociale et ethnique.

    Dans cette tradition politique, la pluralité culturelle est suspecte, en ce qu’elle introduit de la résistance à cette civilisation rationnelle pensée comme uniforme.

    Fatima moins bien notée que Marianne pour un devoir équivalent, Issam et Kader plus punis que Mathieu pour un même comportement, des écoles publiques qui concentrent 90 % d’enfants musulmans quand d’autres n’en comptent aucun, des manuels scolaires qui réduisent l’islam à l’islamisme : une véritable éducation séparée se met en place.

    Il s’agit là, de ce que l’on peut nommer un racisme institutionnel, qui n’est pas à repérer dans l’attitude ou les pensées de quelques individus, mais dans la logique même d’un système qui conduit à désavantager systématiquement certaines catégories socioculturelles et se définit comme l’échec collectif d’une organisation à fournir un service approprié et professionnel à des personnes à cause de leur couleur, culture ou origine ethnique.

    « Quand un maire refuse de servir des repas sans porc, quand on ferme les sorties scolaires aux mamans voilées, quand on ne veut pas de voiles à l’université, la laïcité à la française n’est qu’une manière de dire : les Arabes dehors ! »

    Ainsi s’exprime en 2016 le sociologue François Dubet dans un entretien relayant plus d’une décennie après les propos de Pierre Bourdieu en 2002 : « La question patente- faut-il ou non accepter le port du voile dit islamique – occulte la question latente – faut-il ou non accepter en France les immigrés nord-africains ? ».

    Il nous faut donc penser une « laïcité d’inclusion ».

    Béatrice Mabilon-Bonfils est auteure avec François Durpaire de « Fatima moins bien notée que Marianne ».