• Dans des concessions #Tesla, le #management « à l’américaine » fait disjoncter les équipes

    Derrière l’aura du géant de la voiture électrique et celle de son patron, #Elon_Musk, se cachent des conditions de travail toxiques à #Nantes comme dans beaucoup d’autres sites français. Certains salariés ont accepté de briser le silence pour notre partenaire Mediacités.

    Travailler à Tesla ? C’était « un peu [son] rêve américain ». Lorsqu’on lui a demandé, lors de l’entretien d’embauche, ce qui le motivait à rejoindre l’empire d’Elon Musk, Julien* a répondu qu’il voulait « mettre des paillettes dans les yeux des gens ». Alors que des centaines de candidat·es se bousculaient pour le poste, ce Nantais d’une trentaine d’années, novice dans le milieu automobile, a été embauché comme « Tesla Advisor » (conseiller des ventes) au magasin du nord de Nantes, à Saint-Herblain.

    « Hyper excité » à l’idée d’intégrer ce « lieu de prestige », Julien est séduit à l’époque par la polyvalence de ses missions et le confort salarial : une rémunération annuelle brute de 35 000 euros. À peine arrivé, il déchante. « Formé à l’arrache » par des collègues « dans le jus complet », le jeune homme doit apprendre sur le tas.

    Mais il s’adapte vite, signe ses premières ventes et s’« éclate » dans son nouveau travail. Entre l’accueil des client·es, les essais, le lavage « à la chaîne » ou la livraison de ces onéreux véhicules électriques (un Model Y coûte aujourd’hui 46 000 euros), il ne compte pas ses heures. En tant que commercial, son temps de travail est forfaitaire. Il doit travailler 218 jours par an.

    Les choses se compliquent en juin 2022, quand le grand patron, Elon Musk, annonce devoir supprimer 10 % des effectifs à travers le monde. Le niveau de pression monte d’un cran. Julien, dont les performances sont davantage scrutées que celles d’autres commerciaux, ne tient plus. Placé en arrêt de travail, il commence par se sentir coupable de n’être pas assez « fort mentalement » pour supporter les exigences managériales liées aux ventes, de l’ordre, parfois, de quatre voitures vendues par semaine.
    Ruptures conventionnelles

    Un psychologue du travail confirme son état d’anxiété. « Il m’a fait énormément déculpabiliser », témoigne Julien, placé sous anxiolytique pendant des mois. « J’ai pleuré comme rarement. L’environnement était trop toxique pour moi. » Julien, dont le témoignage est corroboré par ceux d’un peu moins d’une dizaine de salariés (actuels ou passés) joints par Mediacités, obtiendra sa rupture conventionnelle les mois suivants.

    D’abord persuadé d’être un cas isolé, il réalise que non. Dans les semaines qui suivent, trois de ses collègues commerciaux, sur la vingtaine d’employés de la concession, demandent à leur tour à quitter le site nantais, dont deux par rupture conventionnelle.

    Inauguré en 2017, le site n’est pas le seul concerné par des situations de mal-être au travail. Une source en interne évoque de « gros soucis » à Bordeaux, Mulhouse, Strasbourg… Et des histoires qui se ressemblent. « Ce sont majoritairement des profils d’employés jeunes, sur un premier emploi, qui acceptent tout, jusqu’au moment où… Les gamins sont ratatinés par la pression managériale », poursuit cette source, évoquant au moins plusieurs dizaines de départs sur le plan national l’année dernière. « Les jeunes arrivent avec la passion dans les yeux, Tesla le sait et en joue », affirme François, récemment licencié, qui a évacué cette « énorme charge mentale » depuis qu’il n’y est plus.

    Sur son site internet, Tesla, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’informations, assure pourtant vouloir créer « un environnement inclusif » où « la notion de hiérarchie d’entreprise et les conventions bureaucratiques » sont remplacées par « un environnement de travail collaboratif, axé sur une communication ouverte ». Il est question d’horaires flexibles, de « ressources de fitness », d’avantages sociaux, d’assurances… pour aider les salariés « à faire de leur mieux ».

    Insuffisant pour l’inspection du travail, qui a enregistré 270 arrêts maladie au sein de Tesla France (sur une estimation d’un peu moins de 500 salariés à l’époque) durant les six premiers mois de l’année 2022 et qui suit la situation de près. Avec l’appui du CSE, et alors que Tesla aurait « freiné des quatre fers », l’inspection a obtenu la réalisation d’une enquête sur les risques psychosociaux par une entité extérieure, dont les résultats devraient être connus prochainement.

    Réclamée de longue date, l’enquête arriverait néanmoins « trop tard » selon certains, car beaucoup de salariés susceptibles de témoigner, y compris au niveau des ressources humaines, ne sont plus là. « Tesla dira de toute façon qu’il y a des problèmes comme partout. Si c’est pire ailleurs, c’est que ça va chez eux », maugrée un salarié basé à Nantes. « Cela ne va pas les inquiéter plus que ça », se désole de son côté François.

    Les contrôleurs du travail sont déjà conscients de ce qu’il se passe au sein d’une entreprise où le nombre de syndiqués se compte sur les doigts d’une main, qui n’aurait « pas l’habitude du Code du travail » et voudrait « agir comme aux États-Unis ». « Ce que nous avons accepté, ce n’est pas possible dans un monde du travail français. On se sent un peu trop au Texas… », formule François.

    Lorsque ce dernier était en poste, il était soumis à un système de notation allant du 1 (« inacceptable »), pour des performances jugées bien en deçà des attentes, au 5 (« au-delà de l’exceptionnel »). Dans une note interne de 2020, où il est question de ce système, il est par ailleurs recommandé de « travailler respectueusement avec ses collègues, sans être un connard [« jerk » dans le texte – ndlr] ». « On est dans l’enfantillage, on est en train de scolariser les employés », s’agace un salarié basé à Nantes. Selon lui, ces notes, distribuées tous les six mois par les managers, participent à la pression collective.
    Le « PIP », « un truc pour faire péter un câble aux salariés »

    Dans le collimateur des personnes interrogées, on trouve aussi le « PIP » (Performance Improvement Plan ou plan d’amélioration des performances), véritable « bête noire » en interne. Ce plan d’action vise à « améliorer » les performances d’un vendeur en lui fixant des objectifs personnalisés (voitures vendues, clients approchés…) à atteindre sur une période donnée, six semaines par exemple. « Dans un monde idéal, c’est quelque chose de bien. Sauf qu’il y a un côté sanction chez Tesla », commente François.

    « Des PIP non atteints, généralement, ça ne se passe pas bien pour le collaborateur… », formule notre source en interne. « Mon psychologue du travail m’a dit que c’était un truc pour faire péter un câble aux salariés », rapporte Julien, visé par une telle mise à l’épreuve. « On était trois commerciaux en PIP, les trois à finir devant le médecin du travail. »

    Ancien manager d’un magasin Tesla de la zone ouest, Bruno se souvient du jour où son responsable lui a demandé de réduire son effectif en « virant » deux de ses commerciaux. « Tu vas mettre tes gars en PIP, tu vas voir, ils vont partir d’eux-mêmes », lui souffle-t-on alors. Mais « jouer » avec des vies ne convient pas au responsable. « J’ai exprimé mon mal-être aux ressources humaines deux jours avant mon arrêt. On m’a répondu : “OK, et sinon, les ventes du magasin ?”, rapporte Bruno. La valeur humaine n’est clairement pas une valeur de la marque. » Victime d’un burn-out lié aux méthodes imposées, celui-ci obtiendra lui aussi sa rupture conventionnelle, après deux ans passés chez Tesla.

    Les candidatures pleuvent

    Selon nos témoins, ce turnover n’inquiète pas les dirigeants. Au contraire, « ça les arrange bien », juge Bruno. L’entreprise et son patron charismatique bénéficient d’une telle aura que les candidatures ne cessent d’affluer, année après année : plus de… 3,6 millions reçues en 2022 à l’échelle mondiale. Un record. Les postulants savent qu’en cas d’embauche, ils auront accès à des actions Tesla qui se débloquent progressivement et dont la valeur évolue avec la cotation de la société en Bourse. « Une sorte de carotte », commente François.

    «  L’idée est que chaque voiture vendue compte et qu’on est dans le même bateau car il faut que l’action monte », assure l’ancien salarié. Ce dernier admet avoir eu « les étoiles dans les yeux » quand on lui a parlé de débloquer 20 000 euros. « C’est bien le problème, commente une source en interne. Quand on licencie une personne, on en a dix derrière qui sont prêtes à prendre le poste et qu’on payera encore moins cher. Et on continuera à embaucher parce qu’on a des besoins considérables en matière d’expansion. »

    Cette même logique s’appliquerait dans la relation client. Les salariés ou ex-salariés rencontrés ne manquent pas d’anecdotes de livraisons chaotiques, loin, très loin de l’« expérience fluide et exceptionnelle » promise par l’entreprise. Clients avertis la veille pour le lendemain, changement au dernier moment de la ville de livraison… « La voiture a une rayure ? Votre financement n’est pas terminé ? Cela ne vous plaît pas ? Eh bien, laissez la voiture, ne vous inquiétez pas, on vous rembourse le chèque de réservation. Il y a 500 clients derrière. Au revoir, à bientôt, prend en exemple notre source en interne. On sait que c’est catastrophique. Sur les réseaux sociaux, on se fait laminer. »

    Toutefois, les retours d’expérience positifs semblent beaucoup plus nombreux. Julien compare le phénomène à « l’accouchement d’une femme. Ils peuvent pleurer, insulter… Dès qu’ils ont leur Tesla, leur bébé, ils ne disent plus rien. C’est fou ! » Le « rêve » Tesla semble avoir de beaux jours devant lui.

    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/181123/dans-des-concessions-tesla-le-management-l-americaine-fait-disjoncter-les-
    #travail #conditions_de_travail #France